🏆 Prix Voix d'Afriques 2022
J’ai invoqué mes ancêtres pour qu’ils me protègent contre cet étrange personnage et depuis d’autres phénomènes inexplicables ont envahi mon quotidien : je fais des rêves prémonitoires, je me sens traversée par des énergies magnétiques, où que je sois, des présences invisibles me parlent, me touchent, m’avisent, me protègent et me consolent, et un regard bienveillant ne me quitte plus : mon arrière-grand-mère me visite en songe.
A chaque génération, il y a des choisis. C’est un privilège que la colonisation n’a pas réussi à détruire
Les hommes partent vite ! C’est un mystère jamais élucidé. Il y a plus de veuves au village que de veufs. Les tout-petits sont à l’école, les vieux aux travaux champêtres. Les adolescents quittent le village juste après le baccalauréat pour explorer de nouveaux horizons et trouver du travail.
Les lieux sans ton souffle frôlent le désert, et même les animaux domestiques que tu aimais tant se font absents. Père, parce que je n’ai pas eu d’autre figure paternelle que la tienne, me voici, je te reviens innocente telle que tu m’as connue, telle que tu m’as nourrie. »
La peur se dresse, on doit de temps en temps les dépasser, eux et leurs énormes chargements de bois, de boissons ou de diverses marchandises. Plus loin, on passe devant le funeste panneau : ici 58 morts. Le mois dernier, un gendarme a perdu le contrôle de sa voiture sur la falaise et a foncé dans un bus qui revenait de Douala, avec plus de soixante passagers à bord. Les bidons de gaz ont arrosé le bus qui a pris feu.
L’ambiance se dégrade. Ces femmes qui commentent, crient, rient aux éclats, toussent n’ont aucune limite. Je suis rabat-joie, je le sais. Il me faut supporter cette bastingue sur deux cents kilomètres encore. Le bus avance, s’arrête, embarque, s’arrête encore, pour permettre aux passagers d’acheter des vivres et autres denrées rares qui manquent au village.
Chaque jeune se débrouille comme il peut, pour gagner sa vie. Nos politiques ne pensent qu’à leurs ventres. Que vaut le peuple quand il y a de monstrueux budgets à se partager ? Ici on dit que tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit. Il faut souvent accepter un métier au salaire d’esclave pour payer son loyer.
Où est donc le Cameroun des grandes ambitions, le Cameroun des grandes réalisations, le Cameroun de la force de l’expérience1 ? La terre est ferme, rouge et belle. Nous sommes Sàŋ cÿó, au mois d’avril, la saison sèche a fait ses adieux.
J’ai des poches sous les yeux et mon front n’est pas joli, je le sais. L’acné l’a marqué à vie. Quand j’étais enfant, j’avais entendu Mamé dire à une jeune femme qu’elle n’aurait pas de tache sur le visage si elle vivait avec un homme.
J’obéis à mon intuition, à cette voix qui me souffle des idées. Elle me trompe peu. Ce sera aussi l’occasion de quitter cette ville, de mieux respirer et de prendre soin de ce corps assommé.