Citations de Kent (44)
L'oreille de l'autre ouvrait la sienne. Seb trouvait a sa musique une tristesse noble, une mélancolie océanique. La nostalgie cachée d'un homme pour une vie manquée. Il n'avait pas dit ces derniers mots, mais c'est ce que Vincent avait perçu en sa présence. Ses mains, courant librement sur les claviers, avaient puisé dans son tréfonds la musique de ses regrets refoulés, cette hypersensibilité sous scellés, inavouable, dont il ne voulait rien entendre. Le mystificateur était démasqué, trahi par lui-même, mais au lieu de tomber, il s'élevait. C'eût été cocasse comme scénario de comédie, avec fin heureuse et baiser d'amour à la clé. Mais celle qu'il devait embrasser n'était plus et il s'était acharné des mois durant à l'accuser de tous les torts.
Le vouvoiement. Cela l'a d'abord fait sourire la première fois qu'il y eut droit, avec Kevin et le reste de l'équipe. Ce n'était qu'une politesse convenue dictée par une différence d'âges, mais qui ecartait d'emblée une possible connivence. Il a rapidement imposer le tu à la place du vous. Néanmoins il a dû se rendre à l'évidence qu'il demeurait un vouvoye pour leur entourage élargi.
Ta vie, c'est une étagère avec des livres couverts de papier kraft pour en cacher la teneur et des rencontres comme la nôtre pour te servir de marque-page.
On se fond dans un personnage pour éluder des questions insolubles et tout le monde est content. C'est tellement plus simple d'avoir affaire à des principes et des certitudes autonomes plutôt qu'à une masse douloureuse de sentiments dont on peut se sentir responsable. On accepte n'importe quoi pour se convaincre que la vie est simple. L'homme vrai, le poilu, le concret, se dit tout le temps qu'il y a des choses qu'il ne faut pas chercher à comprendre. C'est bien comme ça. Il entretient les silences et les zones d'ombre comme un jardin interdit à la promenade. Pas touche, tabou ! On est tous des faussaires de plus ou moins grande envergure. Willy et moi, on a vécu ensemble plusieurs années mais tout ce temps sa vie est restée un mystère pour moi.
- Il n'y a pas de mystère dans les comportements humains, il n'y a que des secrets.
- C'est de vous ?
- C'est de lui.
Un fou rire ressemble parfois à un chagrin travesti. Il sert à libérer pudiquement un trop-plein d'émotion mais qu'importe. (p.24)
Dans notre société malade, on a davantage honte de la misère étalée que de l'argent planqué. (p.152)
Un secret se garde, se livre, se perce ou se partage. c'est une denrée. Libre à celui qui le possède d'en faire ce qui lui plaît. mais personne ne possède un mystère. C'est un mot magique pour cacher une ignorance. (p.21-22)
Il ne garderait de Karen que les souvenirs substantiels. Il passait sous silence ce qu'il éprouvait réellement. Il cachait à Ad son ressentiment de s'être fait mener en laisse par Karen.
Il ne savait pas encore bien s'habiller sans tomber dans les mêmes choix que Karen. Elle lui avait imprimé ses goûts au fond de la rétine.
Karen avait une Austin Mini, l’ancienne, l’originale, coquetterie de fan des sixties. Petite auto toute mignonne, toute fragile. Vincent imagina qu’il n’en restait rien. Karen était morte avant l’arrivée des secours. Il redoutait l’épreuve qui l’attendait à la morgue. Il gara la voiture sur le parking des visiteurs, vérifia que les roues ne mordaient pas sur les lignes peintes au sol et se rendit à l’accueil. Il déclina son nom et la raison de sa visite. On le fit attendre quelques secondes, le temps qu’un responsable arrive et le guide à travers l’établissement. Vincent suivait l’homme en observant les sabots en caoutchouc qu’il avait aux pieds. « J’aurais pu venir en sandales. »
Il fut à deux doigts de tourner de l’œil à la vue de la civière et du corps recouvert d’un drap. On lui parla avec beaucoup de gentillesse. On lui expliqua les circonstances du drame. Il entendit tout cela au travers d’un bourdonnement cotonneux. Il lui sembla qu’on s’adressait à lui dans une langue étrangère, un créole bureaucratique qu’il maîtrisait mal. Il devait se concentrer pour comprendre.
Des colonies équatoriales au nirvana hippie, les Occidentaux avaient toujours trouvé des excuses pour s'enrichir de la tête ou du portefeuille en allant faire chier des indigènes.
- Tu penses que les gens sont meilleurs aux antipodes?
- Je n'en sais rien et je suis curieux de savoir. Mais si ce n'est pas le cas, ils ont une excuse: ils ont des mômes à nourrir avec les miettes qu'on leur laisse.
Je me moque de tout le monde pour agacer mes restes d'altruisme. C'est de la tendresse grimée. (p.33)
En me confiant à vous, je fais le point à haute voix sur mes sentiments, sur moi-même. j'y vois plus clair et je me sens mieux. (p.32)
Néanmoins les réseaux sociaux ne se prêtaient pas aux épanchements. Les émoticônes réduisaient les états d'âme à des figurines enfantines ; les correspondants se promettaient un échange plus approfondi, remis toujours à plus tard ; personne n'avait plus le temps ou le courage d'écrire et de lire plus de cinq lignes.
Vincent avait l'intention de faire le deuil de Karen en renouant avec le libertinage. C'était sa manière de reprendre du poil de la bête. Il n'aimait pas l'homme médiocre qu'il était devenu. Il voulait retrouver sa personnalité d'antan que Karen, il en était convaincu maintenant, avait affadie au fil de leur relation.
Il lui avait à son tour offert des vêtements. Il savait qu'on habille l'autre à l'image de son propre désir plutôt qu'au goût de la personne.
Ses camarades musiciens subissaient aussi les turpitudes de la concurrence générationnelle. Même s'ils suivaient au plus près les nouvelles tendances, leur opiniâtreté se sentait aspirée au fond d'un sablier.
Parce que la vanité rend hypermétrope. Parce qu'on était toujours libre de rester un imbécile.
On ne s'entêtait pas à peindre des sentences lapidaires lues par des millions de personnes sans un ego de compétition.