Les peuples ne se haïssent que faute de se connaître
L’originalité de ces œuvres s’explique à la fois par le caractère de Nadar, prompt à l’amitié et fin psychologue, par son talent de caricaturiste qu’il a exercé durant une douzaine d’années avant de passer dans le camp de Daguerre, et par une curiosité native pour les sciences qui lui a permis d’approfondir les structures anatomiques du visage. Son dynamisme, sa truculence, sa fidélité et sa générosité en faisaient un compagnon idéal qui cultivait et collectionner les amis : Guys, Philipon, Murger, Gautier, Baudelaire, et tant d’autres. Les meilleurs de ses premiers portraits seront des constats d’amitié et formeront la base d’un fond célèbre dès sa naissance. L’aisance des poses de ses modèles est due sans doute à la relation complaisante qui existait entre le modèle et le photographe, mais la vigueur des traits tenait à des causes plus profondes.
(extrait de l’introduction d’André Jammes)
Soit tu aimes, soit tu n'aimes pas, on ne suppose pas.
N'est-il pas un peu temps d'en finir avec ce reproche, que le photographe ne peut donner comme le peintre le sentiment intime et artistique de son modèle? Le photographe, comme le peintre, distribuera sa lumière et son effet avec intelligence, s'il a de l'intelligence ; et si on a dit à propos de quelques bonnes photographies connues que la photographie donnait raison aux maîtres de la peinture, on peut aussi dire que la photographie se donne raison à elle-même. Aujourd'hui que les procédés matériels sont établis avec certitude, le photographe a tout le loisir de se préoccuper de la ressemblance morale; il peut et il doit observer, étudier le caractère du modèle et le rendre dans son expression vraie, dans sa donnée la plus habituelle en même temps la plus favorable. Vous me direz qu'alors le photographe doit être autre chose qu'un procédé chimique, et que nous lui demanderons désormais un peu de psychologie ; assurément et beaucoup. Maintenant, n'est pas psychologue qui veut, et les peintres eux-mêmes le savent bien. La photographie est donc pour moi de l'art, s'il en fut, et une place doit lui être réservée à l'exposition des beaux-arts de 1856.
Nadar, "Musée français-anglais", n°22, Octobre 1856