Il plisse les lèvres en m’observant quelques secondes, la tête légèrement penchée sur le côté. Il semble apprécier les propos que je me suis répétés quatre-cent-dix-sept fois depuis hier, alléluia.
Il me pose ensuite une bonne dizaine de questions sur moi. Je réponds avec brio grâce à l’entraînement intensif que Sasha m’a poussé à faire pour cet entretien. Je vole sur les questions difficiles concernant mes qualités (dévouée, dynamique et professionnelle) et mes défauts (un peu trop impliquée, certes). J’évite de lui mentionner mes hésitations avant de me lancer dans la carrière de journaliste (« Oui, mais, et si je n’étais pas faite pour ça ? Et si j’étais trop incompétente ? Et si j’étais envoyée au Pérou pour un reportage dans un endroit où il n’y a pas de Coca ? ») et je relate tout mon amour pour cet emploi passionnant de journaliste d’investigation.
Il eut envie de sourire, d’une façon ironique qui aurait trahi le cours de ses pensées à cette idée. Sa vie était déjà gâchée, de toute façon. Sa femme couchait avec son meilleur pote, et se fichait totalement de briser ainsi dix ans de mariage et trente d’amitié. Alors… s’il pouvait donner un nouveau souffle à ses journées en sauvant une jeune femme en détresse, il allait le faire.
J’ai toujours aimé conduire rapidement, et aujourd’hui d’autant plus. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut fêter ses dix-sept printemps au volant d’une berline flambant neuf. Le dernier cadeau de mon père, à côté du chèque confortable et de la console dernier cri. Il ne pensait probablement pas en m’offrant ce présent que j’allais le détester. Et pourtant, si. Alors, pour le punir de son absence, je défie les lois humaines et physiques en testant le compteur de mon « super » cadeau. Je mets ma vie en danger et je m’en régale. À ma façon, je me venge de mon père, je lui envoie toute ma colère. « Tiens, Papa, tu as voulu m’offrir un peu de ton argent en échange de ta présence… et bien, savoure aussi le futur enterrement que tu auras à préparer ».
L’un d’eux m’attrape par le bras à travers ma vitre brisée et me tire à lui sans ménagement.
La douleur explose. Je hurle. Je hurle. Pourquoi personne ne vient m’aider ?
J’ai mal.
Je hurle. Encore. Encore.
Et j’abandonne la lutte en me stoppant net, en sombrant avec délice dans l’oubli.
— Vous n’allez rien lâcher, n’est-ce pas ?
— Rien, confirma-t-il.
— Vous êtes un homme borné, Milo.
— Dit la femme qui ne veut pas m’expliquer pourquoi elle fuyait des hommes en pleine nuit, totalement nue.
Aucune pensée cohérente ne parvenait à percer le brouillard de panique dans lequel il se trouvait. La raison l’avait quitté pour ce seul et unique ordre, ce seul mantra : fuir.
Je frotte mes paupières du bout des doigts. Oui, ce n’était qu’un cauchemar. Je sais à quoi il est dû… à elle. Je n’arrive pas à l’oublier, ni à effacer l’expression de son visage la dernière fois que je l’ai vu, que je lui ai parlé. Ce n’est pas une surprise si, à travers les images de mon subconscient, je m’imagine mourir dans un accident de voiture deux ans plus tard. C’est à cause de moi si… non. Non, je ne dois pas recommencer. Pas replonger dans ce genre de pensées.
Les bruits de la nuit l’entouraient. Le vent contre les murs, le bruissement des feuilles mortes qui se soulevaient sous son passage dans la petite pièce ouverte aux nombreux courants d’air, les murmures des insectes qui avaient trouvé ici un agréable refuge.
Et puis il y eut ce léger souffle. Une seconde, il se dit qu’il rêvait, celle d’après, il sautait sur ses pieds, se fiant à son instinct. Cet instinct qui lui criait qu’il n’avait pas inventé cette respiration.
— Alors, tu travailles sur quoi ? Tu dois faire des reportages ? Tu parles de drogue, de meurtre et de secrets d’État ? Tu as résolu la question Roswell ?
Je prends un air mystérieux.
— C’est top confidentiel, tu sais, dis-je d’un ton bas, comme si je me protégeais des oreilles autour de nous.
— Top confidentiel ?
— Je suis en bon avancement pour résoudre la question de la zone 51.
Un blanc suivit cette remarque, durant laquelle Laynes prit le temps d'analyser la situation, point par point. Un ennemi qui le plaquait au sol, lui volait son arme et le laissait se redresser. Un ennemi qui semblait en colère — d'être là ? —. Et un ennemi qui faisait de l'ironie au lieu de tirer.
Pas banal.