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Critiques de Alexandre Grothendieck (11)
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Allons-nous continuer la recherche scientif..

Le 27 janvier 1972, mathématicien Alexandre Grothendieck prend la parole devant les chercheurs du CERN. Deux ans plus tôt, il a démissionné de l’Institut des hautes études scientifiques (IHES), fondé pour lui en 1958, en raison de financements militaires, et se consacre depuis, avec son mouvement Survivre et Vivre, à moraliser la recherche, à dénoncer le rôle de la science dans le développement technico-industriel qui menace la survie de l'espèce humaine, « la vie tout court sur la planète ».

(...)

La pensée d’Alexandre Grothendieck est plus que jamais d’actualité. Ce texte devrait absolument être lu, débattu, commenté partout et par tous, notamment dans les milieux militants et universitaires. Merci aux éditions du Sandre pour cette publication plus accessible que l’épais recueil paru il y a quelques semaines chez Gallimard.



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Récoltes et semailles

Alexandre Grothendieck (célèbre mathématicien récipiendaire de la médaille Fields en 1966) est décédé l’année dernière et il est justement beaucoup question dans ce livre, écrit en 1984/85, de ce qu’il appelle son « Enterrement » (au sens figuré). Comme il se doit, il a reçu de nombreux hommages et il a été l’objet de beaucoup d’articles de presse. Tous répètent et laissent entendre la même chose, qu’il était quelqu’un d’humainement compliqué, à la vie et au parcours atypiques, et un grand génie de la mathématique.

Je crois que Récoltes et Semailles n’a jamais été publié dans les réseaux grand public, il a failli l’être par Christian Bourgois mais l’affaire ne s’est pas conclue. Je l’ai téléchargé sur un site internet et ce n’est pas l’idéal. De toute évidence, il manque un sérieux travail éditorial. Trop de fautes typographiques, de français, etc. Sans tourner autour du pot, en l’état actuel des choses, je ne recommande pas sa lecture. Toutes ces fautes sont épuisantes et même le texte, inutilement long et trop répétitif aurait gagné à être remanié. Et il est important de préciser que c’est un très long texte. Publié dans un format moyen in-octavo aux lignes bien serrées, il devrait, à vue d’œil, avoisiner les 3000 pages ! Heureusement, à part quelques pages de mathématiques purs, dont on peut se dispenser, le reste est facile à lire, sans être non plus agréable, une manière d’écrire parfois désinvolte. J’ai lu certains passages en diagonale, d’autres plus attentivement.

Initialement, Récoltes et Semailles n’est lui-même qu’une gigantesque introduction aux nouvelles recherches mathématiques de Grothendieck au début des années 1980, après plus de dix ans de silence. Finalement, il a plutôt écrit une sorte de journal personnel des années 1984/85, où il a noté tout ce qui lui passait par la tête sur deux sujets : le monde des mathématiques et la méditation. Ce qui l’amène à une réflexion sur ses relations conflictuelles avec ce monde des mathématiques, incarné par une personne en particulier : Pierre Deligne (autre médaillé Fields), qu’il qualifie d’élève (entre guillemets) et toujours d’ami (sans guillemet). Je crois que Grothendieck était sincère, sans la moindre ombre d’hypocrisie, quand il se disait encore son ami (il insiste beaucoup sur ce qualificatif) et qu’il n’avait rien derrière la tête, aucune mauvaise intention, mais il est vrai aussi qu’avec un ami comme lui on n’a pas besoin d’ennemi !

A bien des égards, on peut interpréter ce livre comme une attaque en règle contre Pierre Deligne. En gros, il lui reproche d’être méprisant, de piller le travail des autres et de présider à son « Enterrement », c’est-à-dire l’effacement de son nom et la minimisation de son apport dans les mathématiques. C’est une chose qu’il lui reproche personnellement, à coup de preuves tatillonnes et de réflexions véhémentes. Au centre de l’affaire, il est question du Séminaire de Géométrie Algébrique du Bois Marie (SGA) donné par Grothendieck dans les années 1950/60 et particulièrement des publications SGA 4 et SGA 5, au milieu desquels Deligne a intercalé un SGA 4 ½ sans consulter Grothendieck (si j’ai bien suivi…).

C’est impossible de résumer succinctement ce gros livre qui multiplie les digressions, les thèmes, qui revient, repart, ajoute sans cesse des notes à d’autres notes en bas de page ; on s’y perd facilement. Cependant, on ne peut pas nier que la pensée de Grothendieck, ce qu’il nomme sa « méditation », parte avant tout d’expériences personnelles, d’une autoanalyse quasiment psychanalytique de ses relations à autrui. Et il a parfois la même absence de pudeur envers les autres qu’envers lui-même. Il ne s’agit pas seulement de Pierre Deligne, mais de tout son entourage. D’ailleurs, Jean-Pierre Serre (encore un médaillé Fields) doit être heureux que Grothendieck se soit enfin décidé à mettre un point final à son livre, car il commençait lui aussi à en prendre sérieusement pour son grade. Le fait est que Grothendieck accorde une grande importance à la spontanéité et il donne l’impression d’avoir noté tout ce qui lui passait par la tête sans toujours se soucier des conséquences. Après tout, peu importe qu’il ait raison ou tort, qu’il se trompe ou non sur les personnes, qu’il y ait juste un fond de vérité ou plus. Je suis passé par toute une série d’impressions les plus diverses en ce qui concerne la personnalité de Grothendieck (disons qu’il m’a paru quand même très susceptible), et n’ayant ni les capacités ni les possibilités de juger ce véritable feuilleton sur Pierre Deligne, j’en resterai là, dans l’expectative.

Mais pour en venir à cette « méditation », qui se base, il est vrai, essentiellement sur sa relation avec Pierre Deligne, j’ai été frappé, moi qui viens juste de prendre connaissance des théories de René Girard, qu’il arrive à des conclusions équivalentes sur la violence et le phénomène de bouc-émissaire. Fin 1984/début 1985, toute son attention est portée sur la « violence gratuite » ou « violence sans cause » (ce sont ses mots), la « rancune par procuration, déplacée de sa cible d’origine vers une cible de remplacement », et il ajoute que « ce mécanisme-là est de nature universelle, qu’il fait partie des mécanismes de base du psychisme humain ». C’est sur ce point précis qu’il arrête sa méditation de Récoltes et Semailles, même s’il revient ensuite, longuement, sur « l’affaire Deligne » et des considérations plus concrètes.

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Récoltes et semailles

Lire {{ {Récoltes et Semailles } }} peut être décourageant pour qui n'est pas mathématicien chevronné où pour celui qui s'aventure dans cette lecture en imaginant lire un ouvrage ayant un début et une fin.

En fait tout est entremêlé dans cette somme de presque 2000 pages que Gallimard a eu la bonne idée d'éditer en 2022. Il ne faut pas se laisser rebuter par les passages mathématiques, il est même possible de ne pas les lire pour se concentrer sur ce qui est le journal de la vie d'un génie. Dans chaque page, il est possible de trouver la trace de l'élan créateur qui a vécu dans Alexandre Grothendieck.

Il faut accepter de se laisser submerger par les informations que livre l'ouvrage. Il est une magnifique initiation pour qui souhaite comprendre ce monde en bouleversement constant et en gérer avec humilité les crises qu'il traverse.

Je me contente de citer quelques phrases de {Récoltes et semailles } en espérant inciter les lecteurs du blog de partir à la découverte de Grothendieck.

{Quand je suis curieux d’une chose, mathématique ou autre, je l’interroge. Je l’interroge, sans me soucier si ma question est peut-être stupide ou si elle va paraitre telle, sans qu’elle soit à tout prix murement pesée. Souvent la question prend la forme d’une affirmation – une affirmation - qui, en vérité est un coup de sonde. J’y crois plus ou moins, à mon affirmation, ça dépend bien sûr du point où j’en suis dans la compréhension des choses que je suis en train de regarder. Souvent, surtout au début d’une recherche, l’affirmation est carrément fausse – encore fallait-il la faire pour pouvoir s’en convaincre. Souvent, il suffisait de l’écrire pour que ça saute aux yeux que c’est faux, alors qu’avant de l’écrire, il y avait un flou, comme un malaise, au lieu de cette évidence. Cela permet maintenant de revenir à la charge avec cette ignorance en moins…}

{{ {Craindre l’erreur et craindre la vérité est une seule et même chose. } }} {Celui qui craint de se tromper est impuissant à découvrir. C’est quand nous craignons de nous tromper que l’erreur qui est en nous se fait immuable comme un roc…}

{Mon ambition, ma vie durant, ou plutôt ma passion et ma joie ont été constamment de trouver des choses évidentes…La chose décisive souvent, c’est déjà de voir la question qui n’avait pas été vue (quelle qu’en soit la réponse, et que celle-ci soit déjà trouvée ou non) ou de dégager un énoncé qui résume et contienne une situation qui n’avait pas été vue ou pas été comprise.}

{{ {Chaos et liberté, des sœurs terribles} }} nous dit Grothendieck dans la partie qu’il a intitulé {: « les portes de l’univers ».}.

{Derrière le chaos, il y un ordre, celui des causes et des effets, celui qui réside dans la présence de forces créatrices profondes et dans l’option ouverte au libre arbitre d’en faire usage, ou non. L’idée même du chaos suscite dans l’esprit humain une répugnance quasi insurmontable, car ressenti comme irréductiblement opposé à l’ordre, objet de notre quête incessante. Sentir la nature complémentaire de l’ordre et du chaos se heurte à des conditionnements puissants. Il y a une méfiance qui nous est intrinsèque à opposer les deux notions et pourtant …Derrière le chaos, existe bien un ordre…}


Lien : https://www.gerard-pardini.fr
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Récoltes et semailles

Tout d’abord je ne suis ni mathématicien ni scientifique. Intrigué par la vie d’Alexandre Grothendieck objet d’une émission vue sur YouTube, j’ai voulu en savoir plus…

Ce livre (publication papier et kindle) est une introspection de l’auteur qui donne naissance à un très long texte, souvent touffu, avec beaucoup de retours en arrière, ce qui nécessite un énorme investissement en temps de lecture ( heureusement fractionnée) et de relecture…

Mais cela surmonté, quelle découverte, quel plaisir à suivre le cheminement de la pensée d’un homme exceptionnel ( c’est le vrai sujet de ce texte), un mathématicien dont le génie et la créativité sont aujourd’hui reconnus mondialement.

Se « lancer» dans la lecture de ce « pavé » a été une aventure enrichissante et qui ne doit rien à la Mathématique.

Il m’accompagne encore et encore, et pour longtemps !

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Récoltes et semailles

J'ai tenu près de 600 pages et j'ai laissé tomber...

Style plutôt lourd avec une introduction interminable, beaucoup de répétitions, pour comprendre :

- son cheminement spirituel

- sa relation de "mandarin" avec ses élèves

- son passage chez "Bourbaki"

- ses apports à peine reconnus de ses pairs (surtout de ses élèves) à la science mathématique (cohomologie, motif, schéma, etc.)

- son départ de l'univers des mathématiciens

- son constat, plutôt tardif, de l'oubli dont il a été l'objet et des pillages dont son oeuvre a aussi été l'objet.



Où l'on rencontre des personnalités (souvent ses élèves) du monde mathématique, qu'il n'épargne pas de ses critiques et de son amertume : Verdier, Deligne, etc. ; où l'on fait la connaissance d'un mathématicien algérien de haute volée, Mebkhout, que les pré-cités ont volé, d'après l'auteur. Etc, etc,



Ses Notes interminables se poursuivent ainsi tout au long de l'ENORME second tome où il est sans cesse question d'enterrement, d'oubli...

Bref ! un trop long règlement de compte de la part d'un mathématicien que notre Cédric Villani national à la vêture comique, au positionnement politique incertain, lui aussi, médaillé Field, a qualifié de génie mathématique le plus important du siècle précédent.



Visiblement Deligne, Verdier et bien d'autres (sauf peut-être Serre son égal) lui doivent beaucoup.



Pat
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Récoltes et semailles

L’auteur a été un des génies mathématiques de la deuxième moitié du XX°, il y a consensus total sur ce point, je m’y rallie volontiers n’ayant que des compétences relatives dans le domaine. Venons-en à l’objet du livre, le premier tome de l’opus, à savoir les mémoires d’un mathématicien. Tout d’abord et pour évacuer le sujet, le style d’écriture. Quand exposer un point nécessite dix lignes chez quiconque, chez G, cela prend a minima dix pages. A la longue, cela devient, euphémisme pudique, usant. On voit d’ailleurs sur les vidéos de ses collègues évoquant le sujet un sourire se dessiner sur les visages ! Gardons notre courage. La description du “milieuˮ des mathématiciens, notamment Bourbaki, est de loin le plus intéressant. On y retrouve toutes les personnalités, fortes, du domaine. Étrange communauté, au moins pour l’éthologue. G en donne une description attentive et chaleureuse, au moins au début. Il revient à plusieurs reprises sur l’absence de conflits entre ces grands fauves. Puis, comme un enfant découvrant que le monde des “grandsˮ n’est pas constitué de bisounours, la peinture se fait plus acerbe, comme si soudain, un magnifique jouet avait été cassé par une méchante main, celle de la vraie vie ? Autre aspect passionnant, la description du processus de création, domaine où on ne peut lui contester son expertise. Sa réflexion déborde avantageusement son propre champ d’activités. Ensuite, G nous raconte son chemin de Damas, la nuit où il a eu la “révélationˮ. Suite à cette expérience quelque peu mystique à la quelle il donne le nom de méditation (chacun mettre sous ce vocable une définition à sa convenance ou à son ignorance perfide) il revisite sa carrière. Objectivement ? Rien n’est moins sûr. A force de se regarder dans le miroir… On ne peut que regretter qu’un esprit de cette envergure ait abandonné ses travaux dont ses congénères auraient été les bénéficiaires pour se consacrer à sa petite personne, aussi respectable soit elle (ce qui n’est pas en cause). Quel gâchis ne peut-on évier de penser. Je vais laisser un peu de temps avant d’attaquer le deuxième tome, en espérant que les semailles conduisent à une récolte moins auto-centrée.
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Récoltes et semailles, tome 2

Un rapide coup d'oeil sur les têtes de chapitres, sur les premières lignes des paragraphes, ainsi que sur la table des matières, pour se rendre compte que l'on reste sur les constats redondants et soporifiques du premier tome. Rien donc de nouveau... Pat
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Récoltes et semailles, tome 2

« Récoltes et Semailles » sous-titré « Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien » est une collection de textes et d’essais du mathématicien Alexandre Grothendieck (1928-2014), finalement parue en deux tomes, réunis en un coffret de format poche (2023, Gallimard, Tel, 742 et 1998 p.).



Pour la partie bibliographique, je renvoie sur l’ouvrage de Philippe Douroux « Alexandre Grothendieck - Sur Les Traces Du Dernier Génie Des Mathématiques » (2016, Allary, 272 p.). Je dois avouer que cet ouvrage n’est pas à la hauteur d’un journaliste d’investigation, ni d’ailleurs à celle du mathématicien. On pourra lire en parallèle le livre de Leila Schneps « Alexandre Grothendieck : A Mathematical Portrait » (2014, International Press of Boston, 307 p.). Ce sont treize portraits de personnes qui l’ont connu et côtoyé, qui éclairent, chacun à leur façon, un côté différent de l’homme ou du collègue.

En réalité, le découpage se fera suivant les deux parties de « Récoltes et Semailles », soit le tome I (les 400 premières pages), puis la partie « L’Enterrement (1 – 3) » des tomes I et II dont j’exclurai les sections purement mathématiques.

L’incipit est fort accueillant « A ceux qui furent mes amis / tant aux rares qui le sont restés / qu’à ceux venus nombreux faire chorus à mes Obsèques ». Ce qui parait normal, étant donné que l’auteur va traiter de son « enterrement », sous-titré « La Robe de l’Empereur de Chine ». Des grands « Cortèges » pour débuter, intitulés « Héritages et Héritiers », assez court suivi de « Pierre et les Motifs », avant d’aborder « Le Beau Monde », puis « Les Enterrés ». On voit que le cortège est fortement hiérarchisé, et le tout est entrecoupé de notes.

Après un rappel des différents « objets », schéma, motif, puis yoga des motifs, toutes des définitions topologiques, on arrive au cortège B, celui de « Pierre et les Motifs ». On passe des orphelins aux motifs ou l’« enterrement d’une naissance ». Pierre, c’est évidemment le belge Pierre Deligne, qui se prétend « l’élève » de Grothendieck à l’IHES, et qui sera Medal Fields en 1978, puis prix Crafoord en 1988, l’année suivante de celle du maître.



Qu’est ce donc que ces fameux « motifs ». Il faut pour cela remonter aux conjonctures de Weil, formulées par André Weil. Elles découlent d’une théorie cohomologique « purement algébrique », soit une association entre un espace topologique et une suite de morphisme, par exemple l’algèbre ou la géométrie. Cela parait simple, mais il se trouve qu’une telle théorie n’est possible, d’où la notion de conjonctures. Cela provient de la nature essentiellement continue de la géométrie, opposé à une description discontinue des nombres. Grothendieck propose en 1964 dans une lettre à Jean-Pierre Serre, une théorie des « motifs ». Avec comme exemple, une analogie musicale mettant en évidence « la notion de “motif” associé à une variété algébrique ». Par ce terme, Grothendieck suggère « qu’il s’agit du “motif commun” (ou de la “raison commune”) sous-jacent à cette multitude d’invariants cohomologiques différents associés à la variété ». C’est presque moins abscons. Un motif serait alors une relation, à définir, entre un nombre, par exemple, et une courbe, le lien entre le continu et discontinu, qui permettrait de passer de l’un à l’autre. Pour prendre un autre exemple, suggéré par Grothendieck dans ses années d’enfance, c’est la transformation qui fait passer une prose de deux lignes avec deux rimes successives, à deux vers. Transformation simple, cohomologie à placer dans les diners en ville. « Jusqu’au jour où quelqu’un m’a expliqué qu’il y avait un "truc" tout simple ; que la rime, c’est tout simplement quand on fait se terminer par la même syllabe deux mouvements parlés consécutifs, qui du coup, comme par enchantement, deviennent des vers ». C’est le passage entre les quelques notes obsédantes et les paroles « Macumba » de ce tube des années disco. Là, c’était plus facile, car les autres paroles du tube sont en nombre réduit. Soit un ensemble de paroles proche de l’ensemble vide, pour le définir, dans les mêmes diners en ville.

Bon, une excellente chose de faite, avec une démonstration au doigt mouillé, digne d’un budget ministériel. Il serait d’ailleurs intéressant de faire le parallèle, le morphisme donc, entre un budget ministériel et le budget de la ménagère de 50 ans.

Ceci dit, on n’est pas sorti du « cortège B Pierre et les Motifs » il y a encore en gros 70 pages sur cette douloureuse affaire du maître et de son élève. Comme il l’écrit « l’essentiel du travail de description et de décantation qui était à faire, sur le sujet qui m’occupe, est achevé ». Il est avéré que ces relations maître-élève sont quelquefois difficiles, souvent empreintes d’un chargé émotionnel intense.



« Il me faut d’abord donner quelques explications préliminaires purement géométriques, sur la combinatoire de l’icosaèdre gauche et sur la notion de biicosaèdre gauche ». Voilà une phrase qui, comme certains messages de Radio Londres, peut porter à confusion. Heureusement, « Ubu Cocu » de Alfred Jarry (2011, Editions de Londres, 54 p.) apporte la solution. La pataphysique mène à tout. Se souvient-on encore de la séance de « L’Association Française pour l’Avancement des Sciences » du 1er Novembre 1907, au cours de laquelle Henri Poincaré a donné une conférence remarquable « Sur un invariant des polyèdres ». Avec pour exemple une sphère dont la température n’est pas uniforme. Maximale au centre, elle diminue à mesure qu’on s’en éloigne, pour se réduire à zéro à la surface de la sphère. Les polyèdres mobiles, isothermes à l’intérieur de la sphère, sont donc de plus en plus petits, mais leurs côtés ne peuvent jamais atteindre la sphère limite. Leur géométrie diffère de la nôtre, celle de l’étude des mouvements des solides invariables. On les distingue par des changements de position qui sont en réalité des « déplacements non euclidiens ». On est dans une géométrie non euclidienne, là où les parallèles se rejoignent à l’infini.

Mais, ce n’était pas de cette conférence dont je voulais parler, mais de celle qui la précédait, le même jour. Celle de Paul P. Achras, de Rennes intitulée « Sur les Mœurs des Polyèdres ». Malheureusement, le texte n’en n’est plus disponible. Par contre, on connait relativement bien le parcours de Paul Achras. Condisciple de Albert Jarry au Lycée de Rennes, il élevait des polyèdres en cage en vue d’une thèse. « O mais c'est que, voyez-vous bien, je n'ai point sujet d'être mécontent de mes polyèdres, ils font des petits toutes les six semaines, c'est pire que des lapins. Et il est bien vrai de dire que les polyèdres réguliers sont les plus fidèles et les plus attachés à leur maître ; sauf que l'Icosaèdre s'est révolté ce matin et que j'ai été forcé, voyez-vous bien, de lui flanquer une gifle sur chacune de ses faces. Et comme ça c'était compris. Et mon traité, voyez-vous bien, sur les mœurs des polyèdres qui s'avance : n'y a plus que vingt-cinq volumes à faire ». Pour ce qui est des violences faites à l’icosaèdre, il convient de remonter à Platon. Ce solide présente 20 faces constituées de triangles équilatéraux isométriques, 12 sommets et 30 arêtes. Platon le faisait correspondre à l’eau. Plus tard, Alfred Jarry le tenait pour un poison, conséquence de cette analogie. En effet il est « si dissolvant et corrosif [...] qu'une goutte versée dans un liquide pur, l'absinthe par exemple, le trouble ». On comprend mieux les commentaires de Paul Achras.

Donc, non pas un simple polyèdre, mais « un biicosaèdre, une paire de deux structures icosaèdrales […], l’une jouant le rôle yin, l’autre le rôle yang ». Si ce n’est pas pour en faire de l’élevage, que l’on m’explique. Ce n’est plus de l’isomorphisme, mais de la cosanguinité.

Dans « Le Rêve et le Rêveur », il énonce ses idées sur la création. Il part pour cela de la « rédaction en forme », qui est une « étape importante du travail mathématique ». C’est un mode déductif par excellence, mais qui s’adresse essentiellement à un auditoire déjà averti. D’ailleurs, il n’est pas tendre avec ses collègues, « de l’instituteur au professeur d’université » chez qui il constate « L’ignorance complète de l’existence et de la nature d’un tel travail est chose quasiment universelle ». Cela, au moins, a le mérite d’être clair. Reste pour lui « une chose tout à fait mal vue dans les milieux de gens sérieux, comme nous autres scientifiques notamment. Je veux parler du rêve ». Evidemment, pour un scientifique, parler d’onirisme dérange. Et pourtant…

« The Art of Thought » (1926) de Graham Wallas est un petit livre, non traduit à ma connaissance (réédition 2014, Solis Press, 204 p.). C’est l’ouvrage de référence à propos de la créativité dans lequel il définit les quatre phases du processus créatif. Ce sont : la préparation, l'incubation, l'illumination et la vérification. Cette succession d’étapes est vue comme une alternance entre différents modes de pensée.

Le premier pas est de définir ce que l’on cherche. On pose les questions pour mieux cerner le projet. Cela parait évident, mais c’est souvent effectué a posteriori, alors que les travaux ont déjà commencé. Le hasard à lui seul, ne crée rien de bien probant ex nihilo. Au même titre que le hasard, la sérendipité, c’est-à-dire la fortuité de certaines découvertes, est rarement à la base des grandes découvertes. C’est sûrement enfoncer des portes ouvertes. Suit une phase d’incubation, c’est un stade de tranquillité. La grande idée est survenue. Il faut, comme toute graine, lui laisser le temps de grandir. Après pluviôse et ventôse, vient germinal. La grande idée a été un instant d’excitation. Puis vient l’illumination, soudainement, une fois passée l’excitation du début. C’est à ce stade que l’on fait un premier tri entre les bonnes idées et les autres. On n’en n’est pas encore au stade de la faisabilité, mais déjà se mettent en place des limites possibles. Manque de compétences, de moyens techniques, peu de fiabilité espérée.et finalement arrive le stade de la vérification. C’est le stade de l’évaluation et de la critique de ce qui a été ou va être réalisé. Stade de la poursuite ou non de l’idée. Il faut aussi savoir reconnaitre ses limites et stopper le projet lorsqu’il en est encore temps

Le stade du rêve de Grothendieck est équivalent au stade de l’illumination. Il n’est pas rare, en effet, que la « Grande Idée » survienne pendant une période de calme, voire de somnolence, alors que le cerveau est en activité latente. De façon inexpliquée, c’est justement cette période de rêve qui est occultée dans notre société moderne. « Il est vrai aussi que plus personne "chez nous" ne sait allumer un feu, ni ose dans sa maison voir naître son enfant, ou mourir sa mère ou son père - il y a des cliniques et des hôpitaux qui sont là pour ça ». D’où la perte du rêve, qui traduit une chose plus grave « Il s’agirait plutôt d’une méfiance profonde, qui recouvre une peur ancestrale - la peur de connaître ». C’est cette peur de connaître qui rend la société inapte à la rêverie, donc à la créativité. Ce thème est développé, sous sa forme mathématique dans « Esquisse d’un Programme », écrit pour son admission au CNRS en 1972. Il y développe les 10 grands thèmes qui forment le squelette de la géométrie algébrique et de la géométrie des surfaces. Rapport très technique, dans lequel il introduit par exemple un chapitre « Corps de nombres associés à un dessin d’enfant ». Traduit en langage vernaculaire, ce sont des objets combinatoires permettant d'énumérer de manière simple les classes d'isomorphisme. Par exemple, le degré d'un dessin d'enfant est le nombre d'arêtes qui le composent et leur nombre correspond à la valence d’un sommet. On constate qu’il y a tout un jargon sous-jacent à cette théorie, Jargon plus qu’ésotérique qui camoufle la portée de ces définitions. De même, un chapitre « A la Poursuite des Champs » initie les principes d’homotopie, ou déformation continue entre deux applications. Il y en a pour environ 600 pages dans la section explicative. Avec comme exemple, un lacet qui se déforme de façon continue, quoique fixé en ses deux extrémités. Comme quoi, on part à la découverte d’une idée sur la création, mais très vite, on dérive sur une explication topologique qui fait perdre le fil initial. On pourra consulter, mais sans savoir a priori si cela aide vraiment, l’ouvrage de Leila Schneps et Pierre Lochak, « Geometric Galois Actions » (1997, London Mathematical Society, Lecture Notes #242, Cambridge University Press, 48 p.). Les auteurs reviennent sur l’œuvre de Grothendieck, jugeant et prolongeant celle du mathématicien français tué en duel trop tôt pour une « infâme coquette ».



« La Clé des Songes - Dialogue avec le Bon Dieu ». C’est un texte de 345 pages, daté de 1986, censé être une réflexion sur la nature de la création (1987, Université Paris 6, Grothendieck Circle, 1027 p.). S’y ajoutent les « Notes pour la Clef des Songes », de 691 pages écrites entre juin 1987 et avril 1988. Selon Leila Schneps, douze chapitres sont prévus à l’origine, mais seulement sept existent réellement. Actuellement personne ne sait si les cinq autres chapitres n'ont jamais été écrits, ou ont été écrits et détruits. Grothendieck considérait « La Clef des Songes » comme le troisième volet d'une trilogie, avec « L'Eloge d'Inceste » comme première partie et « Récoltes et Semailles » comme la seconde. Il voulait examiner la question de la créativité selon les trois niveaux de l'existence humaine : le physique, l'intellectuel et le spirituel.

Il commence donc par les rêves. « Un thème qui me paraît plus crucial que tout autre est celui du rêve, abordé enfin dans la dimension spirituelle qui lui revient, et débarrassé de la gangue pseudo-scientifique dont il a été encombré et qui a trop longtemps fait obstacle à une véritable intelligence du rêve et de la nature du rêve ». Il poursuit avec la solitude qui l’accompagne. « Mais surtout, la voie créatrice est voie solitaire. C’est là ce qui effraye. Et cette grande peur de créer, cette grande peur d’être soi-même, n’est autre que la peur d’être seul face à tous ».

Il poursuit par une déclaration selon laquelle la connaissance de soi est la chose la plus importante et la plus décisive dans une vie spirituelle. « Sans conscience de soi, il n’y a ni compréhension de l’autre, ni du monde des hommes, ni de l’œuvre de Dieu dans l’homme ».

Certains rêves contiennent des messages particulièrement importants, mais de nombreuses personnes sont incapables de reconnaître ces messages par inertie ou par peur de changement. Il arrive cependant à la conclusion que Dieu existe et qu'il est le Rêveur. C’est le titre du second chapitre « Dieu est le Rȇveur ». Puis, il aborde la question de savoir comment il a lui-même trouvé le chemin vers Dieu et vers la foi en Dieu. C’est le chapitre 3 « Le Voyage à Memphis (1) : L’Errance ». On sait, et il l’a écrit, que ses parents étaient des non-croyants convaincus et athées. « Mes parents étaient athées. Pour eux les religions étaient des survivances archaïques, et les Eglises et autres institutions religieuses des instruments d’exploitation et de domination des hommes ». Son enfance s’est déroulée dans un environnement areligieux. Son « père était issu d’une famille juive pieuse. […]. Il avait même un grand-père rabbin ». Mais à 14 ans, « il prend le large pour rejoindre un des groupes anarchistes ». Sa « mère est née en 1900 à Hambourg, d’une famille protestante ». A 17 ans elle « se dégage de la foi naïve et sans problèmes de son enfance, qui ne lui donnait aucune réponse aux questions que lui posait sa propre vie ».

Il lui faut attendre « les vingt-cinq années de ma vie, entre 1945 et 1970, où celle-ci était entièrement centrée sur mon travail mathématique, auquel je consacrais la quasi-totalité de mon énergie ». De façon surprenante, Dieu et la topologie ne sont pas très copains. « Le fait que deux plus deux égale quatre n'est pas un décret de Dieu, dans le sens où Il serait libre de changer cela en deux plus deux égale trois ou cinq ». Où va-t-on ?

« Seul Dieu se tait. Et quand Il parle, c'est à voix si basse que personne jamais ne L'entend »

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Récoltes et semailles

« Récoltes et Semailles » sous-titré « Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien » est une collection de textes et d’essais du mathématicien Alexandre Grothendieck (1928-2014), finalement parue en deux tomes, réunis en un coffret de format poche (2023, Gallimard, Tel, 742 et 1998 p.).

Ces écrits de juin 1983 et avril 1986 passent en revue son œuvre mathématique et analysent le milieu des mathématiques, avec un regard parfois très critique. C’est l’époque pendant laquelle Alexandre Grothendieck est au sommet de sa recherche. Il va refuser les prestigieux Medal Fields en 1977 et Prix Crafoord en 1988, équivalent du Nobel en mathématiques.

J’ai esquissé une synthèse bibliographique sommaire, avec ses travaux mathématiques lors de la critique de « Alexandre Grothendieck - Sur Les Traces Du Dernier Génie Des Mathématiques » (2016, Allary, 272 p.) de Philippe Douroux. Cet ouvrage n’est pas à la hauteur d’un journaliste d’investigation, ni d’ailleurs à celle du mathématicien. On lira en parallèle le livre de Leila Schneps « Alexandre Grothendieck : A Mathematical Portrait » (2014, International Press of Boston, 307 p.). Il s’agit de treize portraits de personnes qui l’ont connu et côtoyé, qui éclairent, chacun à leur façon, un côté différent de l’homme ou du collègue.

Ces « réflexions et témoignage » sont le résultat d’une écriture débordante, mélangeant des concepts mathématiques de topologie, avec des réflexions fort intéressantes sur la recherche, en particulier sur l’environnement de la vie des chercheurs. C’est aussi une réflexion sur la véritable psychologie de la découverte.

Pour compléter, on lira « La Clef des songes : ou dialogue avec le bon Dieu » (1987, Université Paris 6, Grothendieck Circle, 1027 p.) dans lequel il définit ce qu’est pour lui la notion même de liberté, la vérité ou la relation à Dieu. C’est le côté humain du personnage qui va ressortir.

On comprendra également qu’il est hors de question de résumer ces quelques 3800 pages, dans lesquelles il va falloir extraire les passages les plus techniques. A ce niveau de lecture, expliquer est un vain grand mot. Enfin, si transmettre les idées maitresses est une première approche, il n’est pas question, non plus, de porter des jugements sur ces témoignages. Pour plus de lisibilité, je découperai la critique en trois, une par tome respectif de « Récoltes et Semailles » (RSI et RSII), la troisième pour « La Clé des Songes » (CS). Si j’en ai le temps, le courage et la force. On ne s’attaque pas à une telle tâche sans appréhension.

La structure tout d’abord. RSI est découpé en une longue « Présentation ou Prélude en quatre mouvements » de quelques 200 pages, suivie de deux grandes parties « Fatuité et Renouvellement » de 165 pages et d’une trentaine de pages de notes. Cette présentation inclue une « Promenade à travers une œuvre » censée parler du travail mathématique. C’est marqué en gras dans l’avant-propos. Puis une seconde partie « L’Enterrement (I) ou la Robe de l’Empereur de Chine », avec cette fois des notes insérées à la fin de chaque sous-section. Une remarque initiale. On constate que les titres des sections ou des sous-sections sont plus des artifices littéraires que des indicatifs du contenu des sections. Il n’y a pas vraiment moyen d’avancer dans l’enquête sur le travail mathématique, en omettant des chapitres plus techniques par exemple. En d’autres termes, pas moyen d’isoler le Colonel Moutarde dans la Bibliothèque, avant d’aborder l’arme du crime.

Entamons donc la « Promenade », où l’auteur est censé parler du travail mathématique, tout en restant « quasiment muet sur le contexte […] et sur les motivations ». Il part pour cela de l’analogie de « l’Enfant et sa Mère » qu’il oppose au « Patron ». Non pas que l’on reparte d’un problème de lutte des classes, bien qu’il oppose son exemple « moi, le vilain » avec les « autres ».

On constate de suite que les titres des sections ou sous-chapitres n’aident pas forcément à comprendre ce qu’ils cachent. Dans cette promenade, on aura donc, ce n’est pas exhaustif, « la magie des choses », « les héritiers et le bâtisseur », « la vision ou les arbres et la forêt », puis des parties plus mathématiques comme « la géométrie nouvelle’, « les topos ou le lit à deux places », et « les chevaux du roi » ou « l’enfant et la mère ». Pas facile de s’y retrouver. Résultat, il faut tout lire ou presque.

Dans ses années de « quand j’étais gosse, j’aimais bien aller à l’école », il découvre la rime des mots, qui font que les phrases peuvent devenir des vers. Le jeu des mots. « Il semblait y avoir dans la rime un mystère au-delà des mots ». C’était l’époque du « Collège Cévenol » de Chambon-sur-Lignon. Une belle page des faits de solidarité des protestants sous la férule du pasteur André Trocmé. Il aime déjà les maths. Mais « ce qui me satisfaisait le moins, dans nos livres de maths, c’était l’absence de toute définition sérieuse de la notion de longueur (d’une courbe), d’aire (d’une surface), de volume (d’un solide). Alors pourquoi calculer ? Il s’essaie à la surface du cercle ou au volume de la sphère, mais n’y arrive pas de façon exacte. Tout cela parce qu’il est forcé d’adopter une valeur de pi (3.1416), tronquée donc inexacte. Et ensuite, que faire de cette surface ou ce volume ? Quels rapports avaient-ils avec une simple mesure entre deux points.

« D’après l’expérience limitée qui était mienne alors, il pouvait bien sembler que j’étais le seul être au monde doué d’une curiosité pour les questions mathématiques ». Il apprend alors « à être seul. […] Aborder par mes propres lumières les choses que je veux connaître, plutôt que de me fier aux idées et aux consensus ». Il introduit pour cela la notion du petit enfant, lui qui n’a pas si souvent vu son père, en prison, puis interné au camp du Vernet début 1939. Il sera ensuite livré par les autorités de Vichy aux nazis, et disparaitra à Auschwitz. « Le petit enfant, lui, n’a aucune difficulté à être seul. Il est solitaire par nature, même si la compagnie occasionnelle ne lui déplaît pas et qu’il sait réclamer la totosse de maman, quand c’est l’heure de boire ».

Il aborde ensuite « une réflexion sur moi-même et sur ma vie. Par là-même, c’est aussi un témoignage ». C’est « l’aventure intérieure » qui a été sa vie. Vie au cours de laquelle il va continuellement se questionner sur des « questions vraiment cruciales » hors des réponses toutes faites. C’est « l’arbre et la forêt ». D’où l’introduction de ses douze théories qui vont des « Produits tensoriels topologiques »au « Yoga de géométrie algébrique anabélienne ». Suivent alors 30 à 40 pages très techniques dans lesquelles il explicite vaguement ces 12 théories.

Globalement, « on distingue trois types de "qualités" ou d’"aspects" des choses de l’Univers, qui soient objet de la réflexion mathématique : ce sont le nombre30, la grandeur, et la forme. On peut aussi les appeler l’aspect "arithmétique", l’aspect "métrique" (ou "analytique"), et l’aspect "géométrique" des choses ». Voilà qui est clair et facile à intégrer, qu’il explicite par la suite, également de façon simple. « "Le nombre est apte à saisir la structure des agrégats "discontinus", ou "discrets" […] "La grandeur" par contre est la qualité par excellence, susceptible de "variation continue" ; par là, elle est apte à saisir les structures et phénomènes continus : les mouvements, espaces, comme la science des structures discrètes, et l’analyse, comme la science des structures continues ». Ces notions de continu et discontinu sont par la suite essentielles et définissent l’arithmétique et la géométrie.

Il propose donc de développer une « géométrie algébrique », réunification de deux mondes jadis séparés. Naturellement ce n’est pas si simple, il faut introduire de nouveaux concepts et outils. Ce seront les notions de schéma et celle de topos, auxquelles il faut ajouter les faisceaux qui révolutionne la notion d’espace, formant une infinité de théories cohomologiques, dont se dégage la notion de motif. Trèsès abstrait, et leur définition strictement mathématique n’aide pas à la compréhension. D’autant que ce vocabulaire nouveau est adopté d’un schéma ancien, ce qui embrouille encore plus le non-spécialiste. Voilà pour la « Promenade », qui était gentille balade au début, et qui très vite s’est transformée en randonnée plus que sportive. J’ai essayé de faire simple, pas évident, même si on laisse de côté certains aspects transitoires.

Je dois reconnaitre deux faits au cours de la lecture commentée de ce premier chapitre. J’ai commencé par la lecture « papier », avec crayon pour annoter les points importants. Très vite, je suis passé à la lecture du texte en pdf, qui permettait un surlignage plus rapide, sans couper le fil du texte. Gutenberg contre McLuhan ?, non, je renvoie les deux dos à dos. J’ai parfois repris la version papier plus attentivement.

L’autre fait m’est apparu, à la fin de ce chapitre, et il pourrait résumer ou illustrer le travail de Alexandre Grothendieck. Après tout, il s’agit d’une analyse topologique qui examine algèbre et géométrie, avec leurs aspects discontinus et continus, on l’a vu.

Du coup l’exemple des rimes et des vers du début de « Promenade » m’est revenu en mémoire. Il n’a certainement pas été choisi au hasard. Ce passage du mot à la phrase, je trouve, constitue une excellente illustration de ce passage du discontinu au continu. Chose simple, « jusqu’au jour où quelqu’un m’a expliqué qu’il y avait un "truc" tout simple ; que la rime, c’est tout simplement quand on fait se terminer par la même syllabe deux mouvements parlés consécutifs, qui du coup, comme par enchantement, deviennent des vers ». C’est la même variété de topologie. Voilà peut-être qui va faire bondir les mathématiciens, et les littéraires, mais pas pour les mêmes raisons. On pourrait même descendre l’analogie depuis les lettres, puis les mots et les phrases. J’en reste aux mots. Les mots définissent un certain découpage et assemblage des lettres entre elles. Ils ont également une métrique. Par contre l’assemblage des mots pour faire une phrase n’a pas la même finalité. Un roman d’action avec des phrases courtes se lit, et surtout se comprend différemment d’un roman de Krasznahorhai ou de Matias Enard. L’application globale est la lecture et son interprétation. On ne lit pas les articles d’un journal national du soir de la même façon que l’on peut le faire pour un poème de Baudelaire. Les opérateurs dans les deux cas relèvent respectivement de l’analyse factuelle et de l’émotion. Pourtant la topologie des deux supports est la même, qualité du papier et de l’encrage mis à part. il existe un homéomorphisme entre la case de l’imprimeur, ou sa police électronique, et le texte imprimé. C’est un peu Monsieur Jourdain dansant le menuet ou s’éclatant en boite sur une musique techno. Il y aura sûrement des réactions indignées des commentateurs du journal national du soir. Plus compliqué, ce morphisme existe également au niveau des langues, mais avec une certaine déformation de la plce des mots. Pensez aux versions latines, où il fallait faire l’escargot pour rechercher les sujets, verbe, compléments, avec leurs attributs respectifs. Ou plus simplement, la construction des phrases entre le français et l’allemand, dans lequel le verbe est souvent rejeté à la fin de la phrase. Il est alors important de ne pas couper son interlocuteur germanophone si on veut comprendre de quoi il est question. Les catégories ou variétés, de mots sont les mêmes, sujet, verbe, complément, mais placés dans un même ordre, soit un isomorphisme, soit dans un ordre différent, après déformation, soit un homéomorphisme. Cette terminologie est implicite à la topologie et sert par exemple en géométrie des surfaces et volumes à séparer une sphère, d’un tore ou d’une tasse à anse, ou pour rester dans l’analogie langagière, entre un verre à bébé, une flute à champagne ou un bock à bière. Après cette nouvelle classification, dira t’on encore « Un morphisme, ça va, deux homéomorphismes, bonjour les topos »

Passons à la suite, « la lettre de mille pages », qui n’en fait d’ailleurs qu’une trentaine une fois imprimée. C’est le second set de la lutte entre Gutenberg et McLuhan.

A nouveau un découpage avec des titres énigmatiques. Entre partie I (Fatuité et Renouvellement), II (L’Enterrement - ou la Robe de l’Empereur de Chine), III (la Clef du Yin et du Yang) et IV (les Quatre Opérations). Comme dirait Giordano Bruno « si non e vero e ben trovato ». Mais à sa décharge, il n’avait pas obtenu de visa pour la « Beijing Fashion Week ». Suivent une dizaine de thèmes qu’il va aborder. Thèmes qui reprennent, de façon peut-être plus personnelle, ceux développés auparavant, d’un point de vue mathématique.

C’est le contrecoup de sa démission de l’IHES et de sa retraite « méditative » à Montpellier. Une écriture un peu amère de sa retraite du monde. Période post-partum souvent conséquence de relâchement après une période de grand stress.

Puis à nouveau, une introduction, qui reprend les griefs précédents. Et il en est ainsi sur plusieurs chapitres de suite. Je dois avouer que je suis assez mal à l’aise avec ce genre d’argumentation. Pour plusieurs raisons.

Il me parait évident, après de nombreuses années à faire ce métier de recherche avec passion, que c’est un métier usant et éreintant. Je n’entrerai pas dans la politique du « Publish or Perish », cela fait partie du métier.

Ce qui me parait le plus frustrant, c’est de faire ou de produire des erreurs. Et ce quelle qu’en soit la discipline. Je m’explique.

Le chercheur est supposé résoudre un problème quelconque en y apportant le mieux possible son savoir, sa technique, son expérience. Le résultat est donc son achèvement professionnel. Exemple je mesure la longueur de cet objet : total 18.00 cm, vérifié sur biglotron et validé, après des années de durs labeurs. Arrive ce que je nomme « un jeune con » qui lui utilise un instrument nouveau, un « riemannomètre », dont l’application sur « mon » échantillon fournit la valeur de 17.9895 cm. Il est évident que j’ai tout faux. Des années de durs labeurs ruinées par ce « jeune con ». Ceci dit, observé et encaissé, il convient d’en tirer des conclusions. En recherche, on produit du faux, du toc, de l’erroné. Et ce n’est pas la personne qui est en cause, mais son environnement, son matériel, ses paradigmes. C’est ainsi. Point barre. Encore faut il l’admettre dès le départ.

Pour en revenir à Grothendieck, je comprends parfaitement son amertume vis-à-vis de ses collègues ou de ses travaux. L’étaler sur 1000 pages ne solutionne pas le problème, ni n’éteint l’aigreur.

Le stade du rêve de Grothendieck est équivalent au stade de l’illumination. Il n’est pas rare, en effet, que la « Grande Idée » survienne pendant une période de calme, voire de somnolence, alors que le cerveau est en activité latente. De façon inexpliquée, c’est justement cette période de rêve qui est occultée dans notre société moderne. « Il est vrai aussi que plus personne "chez nous" ne sait allumer un feu, ni ose dans sa maison voir naître son enfant, ou mourir sa mère ou son père - il y a des cliniques et des hôpitaux qui sont là pour ça ». D’où la perte du rêve, qui traduit une chose plus grave « Il s’agirait plutôt d’une méfiance profonde, qui recouvre une peur ancestrale - la peur de connaître ». C’est cette peur de connaître qui rend la société inapte à la rêverie, donc à la créativité. Ce thème est développé, sous sa forme mathématique dans « Esquisse d’un Programme », écrit pour son admission au CNRS en 1972. Il y développe en 10 points les grands thèmes qui forment le squelette de la géométrie algébrique et l'étude de la géométrie des surfaces. C’est un rapport très technique, dans lequel il introduit par exemple un chapitre « Corps de nombres associés à un dessin d’enfant ». Traduit en langage vernaculaire, ce sont des objets combinatoires permettant d'énumérer de manière simple les classes d'isomorphisme. Par exemple, le degré d'un dessin d'enfant est le nombre d'arêtes qui le composent et leur nombre correspond à la valence d’un sommet. On constate qu’il y a tout un jargon sous-jacent à cette théorie, Jargon plus qu’ésotérique qui camoufle la portée de ces définitions. De même, on y retrouve un chapitre « A la Poursuite des Champs » qui initie les principes d’homotopie, ou déformation continue entre deux applications. Il y en a pour environ 600 pages dans la section explicative. Avec comme exemple, un lacet qui se déforme de façon continue, quoique fixé en ses deux extrémités. Comme quoi, on part à la découverte d’une idée sur la création, mais très vite, on dérive sur une explication topologique qui fait perdre le fil initial.





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Récoltes et semailles

Un livre hors norme, à l’image de son génie et de sa vie [...].
Lien : https://www.sudouest.fr/scie..
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Récoltes et semailles

Le Einstein des mathématiques, mort dans la solitude, laissa derrière lui une œuvre autobiographique inclassable, révélant les combats et les angoisses d'un génie.
Lien : https://www.lexpress.fr/cult..
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