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Citations de Alexandre Page (87)


Ce n’est pas la première fois qu’une représentante du beau sexe ose la peinture d’histoire, et celles qui s’y essayent le font par vocation à n’en pas douter, mais pourquoi diable leur donner la vocation alors qu’elles n’ont ni l’expérience ni le tempérament, et pourquoi diable le jury persiste-t-il à les exposer aux regards ? Une femme donne la vie, elle ne sait peindre la mort. Une femme ne connaît de la guerre que ce qu’elle voit au théâtre et lit dans les livres, peut-on l’imaginer peindre une bataille, et pourtant, c’est là le sujet qu’a choisi Mme Clémence Chasselat pour sa grande machine qui, pour être sa première, sera, souhaitons-le, sa dernière ! (…)
Je n’en dirai pas davantage, il ne revient point à un homme de salir une femme qui a la vocation, mais pourquoi donc ne pas prendre exemple sur Mme Madeleine Lemaire qui nous gratifie chaque année de bouffées florales avec le talent qu’on lui connaît, ou sur Mme Rosa Bonheur qui, absente cette année, nous entraîne à sa suite dans les merveilles de nos provinces rurales ? Que Mme Clémence Chasselat peigne ce qu’il est dans sa nature de peindre et elle pourrait bien être la gloire de son époux, époux qui à cette heure, osons le dire, serait futé de lui confisquer son pinceau pour l’honneur de son nom.
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Bien sûr, ce n’était que le début de nouvelles longues semaines d’angoisse à attendre de savoir si l’œuvre allait susciter l’intérêt, la curiosité, l’indifférence ou le rejet du public et de la critique, si elle finirait récompensée ou dans un placard, mais lorsqu’on apprend que l’on figure au Salon, on apprend en même temps que l’on sera exposé avec les maîtres qui ont fait notre admiration, sur des cimaises prestigieuses, sous des regards qui, intéressés ou dédaigneux, seront ceux du Tout-Paris, à commencer par celui du président de la République. C’est une gloire qui consacre chaque année plusieurs milliers d’artistes dont l’essentiel n’en connaîtra pas d’autres, mais dans un monde aussi difficile et ardu que l’art, où les efforts sont aussi grands que la reconnaissance est rare, elle apparaît grandiose au jeune artiste, et plus encore lorsqu’à la manière de Clémence, elle n’arrive pas comme une évidence.
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Bien sûr, figurer au livret du Salon était, surtout à cette époque, le début de la gloire, le premier pas du cursus honorum qui conduisait tantôt à la Légion d’honneur, tantôt à l’Institut, et si seuls les meilleurs parvenaient jusqu’à ces hauteurs, apparaître dans le livret du Salon suffisait à ne plus être rien ; à ne plus être un peintre du dimanche. Mais elle était jeune, très jeune, trop peut-être, les opportunités ne lui manqueraient pas si celle-ci lui échappait. Puis elle n’était pas comme d’autres, toute sa vie n’était pas suspendue à sa carrière d’artiste. Au moment où je réconfortais ma femme assise sur un sofa de velours, je savais que d’autres peintres lisaient avec la même fébrilité la composition du jury du Salon depuis leur mansarde ou un cabaret borgne, assis sur des chaises à trois pieds, espérant être exposés au Salon et ne plus avoir à manger de la vache enragée. Je n’avais pas connu ces extrêmes, mais j’avais connu des artistes qui les avaient vécus, et certains qui ne s’étaient jamais remis d’un refus.
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(…) nous allions parfois au Louvre, visiter les chefs-d’œuvre et contempler, devant les Murillo et les Vélasquez, les légions de copistes qui rappelaient des souvenirs à Clémence. Elle n’avait pas été copiste au Louvre, mais copiste à Lyon, copiant tout ce qu’elle pouvait jusqu’à ce qu’elle fût capable de s’émanciper et de se satisfaire de ses propres compositions. Elle me confia que si elle avait été copiste au Louvre, elle y aurait sûrement habité, ce qui était presque le cas des copistes qui nous environnaient. Il faisait froid, alors ils plantaient leur chevalet près des bouches de chaleur, et comme il y avait des banquettes rouges moelleuses, ils s’y allongeaient pour se reposer, et comme il y avait beaucoup de jeunes femmes parmi ces copistes, leurs mères n’étaient jamais loin et tricotaient en gardant un œil sur leur progéniture. Il y avait beaucoup de filles d’officiers parmi elles, orphelines de père et filles de veuve, qui pour avoir reçu une sommaire formation artistique utilisaient leur « art » pour réaliser des copies qu’elles proposaient aux visiteurs. La médiocrité dominait plus que l’art, et le spectacle de ces femmes aux mains sales, s’usant les yeux tout le jour pour produire de malheureuses croûtes qui devaient les aider à arrondir la maigre pension de leur veuve de mère contrastait fort avec l’opulence des chefs-d’œuvre qui pendaient aux cimaises. Ce spectacle pathétique ne laissait pas Clémence si sereine qu’elle aurait pu l’être lors de nos visites, et au salon hollandais, comme les tableaux étaient plus petits, les copistes étaient presque totalement absents, ce qui la déridait un peu. Je lui dis un jour, pour la réconforter sur le sort de ces malheureuses, que l’État leur commandait beaucoup de copies pour décorer les institutions provinciales à bon compte et répandre les « chefs-d’œuvre » auprès des populations les plus lointaines, jusque dans les colonies, ce à quoi elle me répondit :
— Philéas, si l’État permettait à ces femmes de perfectionner leur art à l’École des beaux-arts plutôt que de les laisser à faire des copies médiocres contre quelques francs, il se montrerait réellement généreux à leur égard.
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Elle me parla avec entrain d’une école de sculpture qu’une de ses consœurs qui passait pour une « féministe » dans le milieu artistique voulait ouvrir dans son propre appartement, avenue de Villiers. Il s’agissait d’Hélène Bertaux dont je devais entendre régulièrement le nom par la suite, et que je découvris presque ce jour où Clémence m’en parla. Cela lui procurait beaucoup de satisfaction, car elle sentait un mouvement général qui, selon elle, serait profitable aux femmes artistes :
— Voyez-vous, on dit les femmes moins inspirées et compétentes que les hommes, mais Montesquieu a bien décrit le problème, entre hommes et femmes, si l’éducation était égale, alors les forces le seraient aussi ! C’est avec de telles écoles qu’on verra bien que le talent n’a pas de sexe.
Je ne la contredis pas. Pour ainsi dire, elle prêchait un convaincu. Même si je ne m’étais jamais profondément penché sur la question, j’avais assez de logique pour savoir qu’en interdisant aux femmes le conservatoire ou l’École des beaux-arts, le combat était inégal.
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Comme je la regardais faire et qu’elle avait mis à profit mes conseils, je me sentis pris dans un paradoxe. J’étais capable de donner des conseils habiles que je n’appliquais plus moi-même. Mais après tout, derrière chaque grand écrivain, il y a un professeur de lettres qui bien souvent n’a jamais écrit de chef-d’œuvre.
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Mais ce fut alors que la gloire m’étouffa sous tout ce qu’elle apporte avec elle. On la cherche, mais on ignore souvent le cortège qui l’accompagne inévitablement, cortège auquel on ne peut se soustraire comme on le voudrait, surtout lorsqu’on est grisé par l’ivresse procurée. Je rencontrais les dames galantes, je pouvais jouer à la table du Paris mondain qui m’invitait sous des ors nouveaux, qui me faisait asseoir sur des fauteuils de soie, qui jetait des dés d’ivoire incrustés d’ébène. On me voulait, on me réclamait, on me désirait, et ce fut ainsi que ma vie devint mondaine, lascive, oisive, et qu’il m’était de plus en plus pénible d’apprécier le silence de mon atelier, la solitude, le décorum de « foire à tout » qui constituait cette pièce où j’entassais les moulages, la militaria, les pinceaux et les toiles. L’année suivante, je n’exposai pas, ni celle qui suivit, à celle d’après encore j’exposai parce qu’il le fallait bien. On m’avait presque oublié déjà mais pas complètement, et j’aurais pourtant préféré être un anonyme, car la presse massacra mon vilain tableau. J’en aurais pris ombrage si je n’avais su au fond de moi qu’elle avait raison de l’éreinter. La composition n’était qu’un vaste désordre, mes couleurs verdâtres, le réalisme fantasque. Je pris un soufflet, mais il était mérité et il me soufflait d’autant plus que j’avais été porté aux nues. Invité partout, je le fus moins après cela, et j’avais oublié à force de fréquenter un monde de fortunes héréditaires et de rentiers que je n’appartenais pas vraiment à ce monde. L’argent ne tombait pas du ciel, il me fallait travailler pour le gagner, et les fortes sommes qui m’étaient échues soudainement finirent par se volatiliser.
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Un jour, une précieuse a dit que le flirt est l’aquarelle de l’amour, un art frivole et superficiel, quand le véritable amour est une chose sérieuse et profonde.
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Si Clémence envisageait d’exposer dans la section paysage, nature morte, animaux et fleurs, je ne douterais pas un instant de son succès, à la condition qu’elle fasse les vaches aussi bien que les hussards. Ce serait un portrait, pourquoi pas, mais la peinture d’histoire, c’est autre chose. À la rigueur, nous parlerions de sujets religieux, les femmes y ont une expertise reconnue, nous parlerions de sujets féminins, mais la peinture de guerre… Dans cette section, on ne refuse pas seulement les œuvres manquées, les croûtes médiocres, d’ailleurs, on les accepte trop souvent. Non, il faut conserver la noblesse de cette section, conserver son héritage, sa prééminence dans la hiérarchie picturale, et tu sais à quel point les temps actuels sont troubles. Alors, quand bien même le jury comprendrait des professeurs de l’Académie Julian, je doute que ces professeurs, dans leur rôle de jurés, aient pour autre but que de préserver cette prééminence et de refuser, en conséquence, l’envoi d’une femme. Imagine donc les titres de presse, tous se focaliseront sur cette excentricité. Ça fera ombrage aux artistes récompensés, et la presse conservatrice, celle qui défend ordinairement le Salon, fera de gros titres moqueurs. L’armée elle-même pourrait gloser ! Non, le jury ne voudra pas de ce brouhaha autour d’une artiste en jupon, car c’est ainsi qu’on l’appellera. Certains se demanderont si à force de peindre des femmes, nos Bouguereau, nos Bonnat et nos Baudry ne sont pas tombés dans les reîtres du beau sexe. Retenir une femme dans la section noble du Salon serait perçu comme l’avènement de ce règne du médiocre que certains esprits voient instaurer à courte échéance. Ce n’est pas ma manière de voir, et je dois dire que si je doutais jusqu’alors des capacités d’une femme à se saisir de la chose militaire, je ne suis maintenant plus aussi sceptique. Néanmoins, l’espoir que sa bataille soit admise au Salon est mince. Je serais moins pessimiste s’il s’était agi d’une Jeanne d’Arc à Compiègne ou d’une Sainte Geneviève défendant Paris, mais là, je crois que c’est demander trop de progressisme à notre élite artistique !
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Je voulais peindre des arbres et des ruisseaux, on réclamait de moi des
batailles et des soldats. Elle voulait peindre des batailles et des soldats,
et on réclamait d’elle des arbres et des ruisseaux.
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Après le départ de son hôte, la comtesse était allée s'enfermer dans sa chambre pour prendre le lit et une tisane que Liouba lui avait préparée. Cette dernière avait appeler le docteur Proskourov et la comtesse lui avait répondu " Pourquoi pas?".
Pour la première fois, sa maîtresse ne lui avait pas apposé un non catégorique et Yoshka était immédiatement parti quérir le médecin à Tcherpitsa.....
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Comme les nuages l'avaient annoncé,la nuit fut agité par un orage formidable.Tout le manoir soufflait des courants d'air qui le parcouraient en serpents invisibles prêts à infliger leurs morsures aux malheureux endormis,tandis que la toiture craquait comme la coque d'un navire en pleine tempête. Les coups de tonnerre assourdissants couvraient ses complaintes et les éclairs rendaient le ciel opaque ,projetant à travers les vitres ruisselantes leurs éclats froids aussi éphémères qu'inquiétants.( Page 263).
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Vassili Vassilievitch Saltikov exhiba sa paradoshna sous les yeux de l'employé des postes qui sans se départir de sa mine apathique se contenta de lever les épaules ,de secouer la tête et de répondre avec la simplicité que l'on peut attendre d'un employé des postes dans une petite ville de province:
--Désolé, gospodine,mais il n'y a plus de chevaux.
--Allons,j'ai dépensé deux roubles argent pour ce document qui me donne droit à des chevaux de poste,à un yamchik et à une voiture digne de ce nom.Je ne vais pas faire vingt verstes à pied à cause de votre incurie!(Page 9).
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La lune glisse entre les nuages légers,
Et un rayon d'argent se repose
Sur la terre endormie.
Une sirène nage, tout en élégance,
Et tranquillement joue avec ses tresses
Au-dessus de la sombre rivière.
Dans l'eau ,elle admire son reflet,
Et elle chante au clair de lune.
Les sons tristes portent
Sa langueur et son chagrin.
La sirène chante et regarde au loin,
Elle attend ,elle se désole,
Elle se languit de quelqu'un,
De celui qu'elle enchantera.
FIODOR SOLOGOUB ROUSSALKI,1878.
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La forêt dort du sommeil de l'hiver,
A verse, les flocons tombent sur elle.
La neige pend en festons aux arbres verts,
Dun souffle tranchant, Aquilon la cisèle.
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Le succès rend aveugle et la déchéance rend paranoïaque.
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Jusqu'à la mer, il y avait quelques centaines de mètres, un kilomètre peut-être, peu de chose, mais dans l'arrière-pays, tout n'était que prairies verdoyantes et vergers de pommiers, vallons aux replis harmonieux et collines boisées, ruisseaux murmurants et forêt de Touques aux bords de chemins subjugués par les touffes épaisses des lauriers de Saint-Antoine.
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Je te préviens, car pire que la mort
Est de vivre avec de tels souvenirs.
La victoire n’efface pas les remords,
Même un combat juste vaut de s’abstenir.
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Ils pénètrent tous deux dans l’édifice,
Plongé dans le silence et la pénombre ;
Sur les murs peints, l’humidité prédatrice
A dessiné des tâches comme des ombres.
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- Je le sais bien, rétorqua le Ras. Si ma colonne est frappée par une telle épidémie, je ne peux risquer de contaminer la garnison. Mais que vont penser mes hommes ? Il y a là-bas leurs femmes, leurs enfants. Les revoir bientôt est l'espoir qui les porte encore.
- Si nous transportons une maladie inconnue et contagieuse avec nous, excellence, répliqua le lieutenant Boulatovitch, cela ne repoussera pas seulement les temps de leurs retrouvailles mais les séparera définitivement. Des guerriers solides tombent en deux jours. Qu'en serait-il de petits enfants et de femmes ?
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