Cette fille était un vrai mystère. Anna la dévisagea avec dédain. Elle aussi était belle, très belle même, malgré la cicatrice qui lui déformait le bras droit, vestige de ses missions dont elle ne parlait quasiment pas. Jusqu'à hier encore, je tergiversais sur le fait ou non de me mettre avec elle. J'étais seul depuis si longtemps. Les couples s'étaient formés rapidement dans la communauté et j'avais fini par me résoudre à la voir comme une femme. Et pas seulement comme une militaire. Elle était un soldat impitoyable. Elle avait perdu toute sa famille dans l'épidémie, mais depuis, elle avait sauvé de nombreuses vies et contribué à l'existence de la communauté.
Immédiatement, j'ai rampais jusqu'au bidon d'essence que je gardais toujours près de moi et m'en aspergeais sans lésiner. Je ne sentais plus sa brûlure, ma peau était maintenant habituée et l'odeur qu'elle dégageait me donner une impression de sécurité. Ce ne pouvait être des contaminés, pas ici, en plein milieu de l'océan…
– Votre vie doit vraiment être fade. Je comprends beaucoup mieux pourquoi vous lisez alors! lâcha-t-il.
Je ne rêvais pas, ce parfait – et bel – inconnu venait de me dire que ma vie était fade? Pour qui se prenait-il?
Je me détachai de l’attraction de ses yeux et me mis debout.
– En même temps, si je rencontrais des personnes dignes d’intérêt, fascinantes, ou tout simplement polies, je serais peut-être moins encline à plonger dans d’autres univers! dis-je en secouant mon livre sous son nez. Sur ce, j’ai un bouquin à finir.
Comment j'avais pu ne pas le voir ? Ils étaient tous identiques pour moi. La peau grisâtre, les yeux rouges
et l'envie de sang. Jamais je n'avais remarqué que seuls les hommes revenaient.
– […] Le compte à rebours est lancé et même s’il faut faire les choses vite, rien ne nous empêche de les faire bien. Si j’avais eu la possibilité, je t’aurais courtisée des mois durant, nous aurions voyagé autour du monde et je t’aurais fait l’amour dans chaque pays de cette planète avant de me lier à toi pour le reste de ma vie. Mais le monde étant ce qu’il est, je n’ai que quelques jours de bonheur à t’offrir!
C'était simple, quand elle était là, mon éternelle nuit était éclairée d'une lune pleine et blanche dont les rayons brûlaient la noirceur de mon âme. Oui, c'était exactement cela, je vivais dans un monde en noir et blanc, vide et insipide, qu'elle colorait par son unique présence, qu'elle enchantait par son entêtant parfum, qu'elle embellissait par le doux son de sa voix.
Une affiche « Vaccinez-vous contre la grippe ! » était accrochée sur un des murs et m'aurait presque fait rire si j'en avais la force.
Qui aurait répondu à mes prières de toute façon ? Il n'y avait plus personne ni sur terre ni dans les cieux. Ceux qui avaient été ici-bas, avaient été dévorés par des monstres ou étaient devenus des monstres et ceux qui étaient dans les cieux étaient pires que tout, car seuls des Dieux cruels ont pu laisser le monde, l'humanité finir ainsi.
Ton soldat est mort. À la place, il y a un macchabée est la seule chose qu'il souhaite, c'est de s'assurer une descendance.
Le ton attristé me fit sourire et je quittai définitivement mon roman pour me faire happer par des iris d’un vert intense.
Pouvait-on tomber amoureuse d’un regard?
Là, tout de suite, en cet instant, j’aurais répondu oui, mille fois oui.