Alice Mendelson - un poème tiré de "L'érotisme de vivre"
Malgré un mal profond, j'éprouve une joie féroce d'être encore vivante. La vie se régale de moi, qui me régale d'elle. La moindre lueur du soleil éclatant sur un reflet de vitre est pour moi une joie immense. Un jour de plus à aimer vivre ; encore un jour de moins à être morte. Chaque jour mord sur la mort.
Quant au courrier, nous n'avions pas les ressources pour correspondre de manière clandestine comme les internés les plus débrouillards parvenaient à le faire. Les lettres censurées nous revenaient avec des traces noires, tragiques à voir, et pourtant on n'y disait pas de mal d'Hitler ! En fait, on avait l'impression de recevoir des avis de décès... C'était en tout cas un deuil de la parole.
Le 15 juillet 1942, la rumeur de la grande rafle nous est parvenue . Je me souviens précisément de cette journée .La vieille c'était le 14 juillet. L'été paraissait loin , notre garde-manger était bien vide; pas de drapeau bleu,blanc, rouge, pas d'accordéon ; pas de pas de danse au café voisin. L'hiver en été, le verglas dans la tête ....
L’inégalité entre le « mal » et le « bien » est flagrante, terrible : il a suffi d’un seul délateur pour que mon père finisse à Auschwitz ; il a fallu de très nombreux non-délateurs, d’innombrables soutiens, pour que ma mère et moi parvenions à sortir vivantes de ces années terribles.
Ces adultes paraissaient si sûrs d'eux. Cela m'a donné, toute petite, une base d'optimisme et une tranquillité inébranlables, puisque tous savaient si bien quoi faire devant les soucis de la vie et pour sauver le monde.
À la préfecture de police de Paris, au service des étrangers, j'ai vu comment étaient traités les immigrés qui parlaient mal le français, n'avaient pas les manières attendues ; ce n'était pas très joli...
Pour bien vieillir, il est bon d'avoir le vice de la joie.
Mon père offrait du bonheur. Et moi, j'étais sa fille.
C'est l'histoire d'un drame et celle d'un miracle.