"Les états mystiques du poète ne sont pas du délire Dr Ferdière. Ils sont la base de sa pensée. Me traiter en délirant c'est nier la valeur poétique de la souffrance qui depuis l'âge de quinze ans bout en moi devant les merveilles du monde. de l'esprit que l'être de la vie réelle ne peut jamais réaliser ; et c'est de cette souffrance admirable de l'être que j'ai tiré mes poèmes et mes chants."
Artaud va vivre le traitement comme un viol particulièrement douloureux et intolérable de sa personnalité. Subir une décharge électrique, aussi faible soit-elle, et surtout perdre le contrôle de sa pensée lui était absolument insupportable. C'est ce qu'il va faire savoir tant à Gaston Ferdière qu'aux docteurs Latrémolière et Dequeker, ou à sa mère.
Ainsi, à force d'enfermement, de renoncement imposé, les malades se font une sorte de vie, plus exactement de sous-vie rétrécie à l'extrême, vide de toute chaleur humaine, de toute liberté physique, où le soleil n'est plus qu'un soleil enfermé, la pluie, une pluie enfermée, la neige, une neige enfermée, le jour, à l'infini, un jour enfermé.
Antonin Artaud à Colette Thomas :
(...) C'est parce que les hommes sont mauvais et qu'ils nous font tous, à vous, à moi, à quelques rares qui n'acceptent pas la vie, du mal pour conserver leur idiote et criminelle vie, et ils le font tous par la culture consciente des forces lubriques de leur inconscient.
Je ne vous cite ces faits que parce que la saleté a été une caractéristique précoce du déséquilibre. Sans doute remonte-t-elle beaucoup plus loin. Il l'expliquait par son mépris du corps, par son horreur de toute chair.
Ce traitement est en plus une torture affreuse parce qu'on se sent à chaque application suffoquer et tomber comme dans un gouffre d'où votre pensée ne revient plus.
Artaud à sa mère, Rodez, le 23/08/44.
Marthe Robert à Antonin Artaud
Votre destin est à vous, Antonin Artaud et nul ne songe à lui imposer un sens : mais je suis sûre que vous accepterez encore cette dernière concession aux nécessités imbéciles de la loi dont nous savons qu'elle sanctionne toujours de nouveau le fait accompli : l'innocent qui a accompli sa peine reste longtemps encore coupable de cette peine même. C'est là l'origine de vos souffrances depuis neuf ans.
André Martel à Gaston Ferdière
Les surréalistes ont oublié aussi quilya malgrétout dans le subconscient, des forces constructives, volontaires et lucides, inautomatiques. Ils ne se sont pas rendu compte qu'entre l'intelligence, la sensibilité et la volonté claires,- et d'autre part le subconscient -, se produisent d'innombrables interpénétrations réciproques qui affleurent au niveau de l'intellux.
Dernière lettre d'Euphrasie Artaud à Gaston Ferdière.
Le 23 Novembre 1948.
(...)
Cette lettre a donc pour objet de vous demander de vouloir bien m'envoyer si possible, n'ayant d'Antonin aucun objet personnel, puisque l'on m'a tout pris tout volé (ses écrits, ses dessins, ses tableaux, ses livres), ne serait-ce qu'un tout petit dessin de lui que je garderai comme une précieuse relique, si vous vouliez y joindre le couteau qu'il avait rapporté du Mexique, couteau auquel il tenait beaucoup, mon cœur de maman vous sera reconnaissante.
(...)
Antonin Artaud à Madame Euphrasie Artaud :
Ma bien chère maman,
Je viens te demander ton témoignage dans une affaire grave et d'où mon sort et mon salut dépend. Car il ne s'agit en ce moment de rien de moins que de me sauver.
(...)
Or il y a ici un traitement affreux qui s'appelle l’électrochoc qui dure chaque fois un mois et qui fait perdre pendant deux mois l'intelligence et la mémoire à ceux qui y sont soumis et c'est un traitement par lequel le docteur Ferdière ne cesse de me faire passer. (...)
Et je ne veux absolument plus que cela recommence et il ne faut plus que cela recommence parce que ma conscience s'en va à chaque traitement et cela ne me revient qu'au bout de deux ou trois mois. Et j'ai besoin de ma conscience pour vivre, être et travailler.