« Le numéro que vous avez composé n’est pas attribué. »
L’inquiétude se mua en une légère panique.
— Ça ne marche pas, s’étrangla-t-elle, la voix rauque.
— Entrez, l’invita la femme en tirant la porte à elle. On va trouver une solution. C’est sûrement un problème avec l’opérateur.
Marissa la suivit jusqu’à la cuisine, le téléphone toujours collé à l’oreille. Mais chacune de ses tentatives donnait le même résultat : « Le numéro que vous avez composé n’est pas attribué. »
— Alors, cette personne que vous essayez d’appeler, c’est qui ?
— Une maman de l’école. Mon fils passe l’après-midi chez elle avec son fils Jacob. C’est l’adresse qu’elle m’a envoyée pour venir le chercher, souffla-t-elle, le cœur au bord des lèvres, en lui montrant le message.
C'était pour cela qu'elle refusait de se laisser emporter par le sommeil. À cause de ce moment horrible, au réveil, où elle oubliait tout pendant une fraction de seconde. Et puis cette chute vertigineuse, la prise de conscience écrasante que toute cette histoire n'était pas un cauchemar, et que Milo avait bel et bien disparu. Ensuite, les images resurgissaient : une pièce sombre, des mains étranges et des murmures menaçants. Une vague de désespoir et de peur la saisissait alors. Comme il devait être terrifié. Elle ne supportait pas d'y penser, et pourtant, elle ne pouvait s'en empêcher.
— Sarah, as-tu le numéro de Jenny Kennedy ? Milo est chez elle avec Jacob, mais elle m’a envoyé la mauvaise adresse et je ne sais pas du tout où aller le chercher ! s’exclama-t-elle en ricanant pour paraître détendue, mais le rire nerveux qui sortit de sa bouche trahit la panique qui l’envahissait.
— Marissa, il doit y avoir une erreur. Tu t’es trompée de date ?
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Milo ne peut pas être chez Jacob. Jacob est ici, à la maison.
Soudain, ses jambes se dérobèrent, le téléphone lui échappa des mains, et elle s’affaissa contre le mur, les yeux plongés dans ceux de l’inconnue.
— Je ne sais pas où est mon fils, murmura-t-elle, avant de se laisser glisser au sol.
Finalement, Esther raccompagna Marissa chez elle, pour qu’elle puisse passer ses appels. Cette dernière n’était pas certaine d’être en capacité de conduire, de toute façon. Ses mains tremblaient tandis qu’elle composait les numéros les uns après les autres, obtenant à chaque fois la même réponse : « Non, il n’est pas là. On peut vous aider d’une façon ou d’une autre ? Il s’agit probablement d’un malentendu. » Des voix inquiètes teintées de soulagement qui laissaient percevoir des « Dieu merci, ce n’est pas mon enfant », derrière chaque « tenez-nous au courant, au revoir ».
Alors que la femme s'apprêtait à refermer la porte, Marissa fut soudain envahie par un malaise. Comme le week-end dernier, lorsqu'elle avait perdu Milo des yeux, au terrain de jeux. Il était là, quelque part, bien sûr, mais elle n'avait pas pu se détendre avant de l'avoir retrouvé. Ce qui avait été le cas quelques secondes plus tard. Et aujourd'hui, il était de nouveau introuvable. Il était chez Jenny, c'était ce qui avait été convenu, mais la femme qui lui avait ouvert n'était pas Jenny.
― Bonjour, je suis Marissa, je viens chercher mon fils Milo, annonça-telle.
― Ah, vous vous êtes trompée de maison. Il n’y a pas de Milo ici.
― Oh ! s’étonna-t-elle en sortant son téléphone. Je suis vraiment désolée, laissez-moi vérifier...
Elle ouvrit le message de Jenny et lut à haute voix.
― 14, Tudor Grove... Pardon, on est à quel numéro ? demanda-t-elle en levant les yeux vers la femme.
― C’est bien le quatorze, ici, mais il n’y a pas de Milo. Je vis seule.
Marissa secoua la tête, hébétée, et baissa de nouveau les yeux sur le message, comme s’il avait pu changer entre-temps.
― Je ne suis pas folle, c’est bien écrit « 14 Tudor Grove », pas vrai ? demanda-t-elle en lui tendant le téléphone.
La femme acquiesça.
― On a dû vous donner une mauvaise adresse. Appelez-les, et vous verrez.
Alors que la femme s’apprêtait à refermer la porte, Marissa fut soudain envahie par un malaise.
- Donc, poursuivit Marissa, la voix si basse qu'elle peinait à s'entendre elle-même, qu'est-ce que ça implique ?
Elle savait ce que cela impliquait, elle avait lu des histoires sur Internet à propos d'enfants victimes de trafic, de vente et d'abus, mais elle fut incapable de le formuler, personne n'osa prononcer ces mots.
À peine Esther s’était-elle garée dans l’allée que Marissa sauta de la voiture, soudain convaincue que Milo serait là, assis sur le seuil de la porte, sans doute rentré de l’école par ses propres moyens. Elle l’appela, encore et encore, fouilla de chaque recoin entourant la maison, et se demanda s’il avait pu escalader le portail latéral et entrer dans le jardin par l’arrière. Elle se précipita dans la maison, courut jusqu’à la porte de derrière, tâtonna pour la déverrouiller, et sortit dans le jardin, appelant toujours son fils. En vain. Personne.
— Attendez ! Excusez-moi, ça vous dérange si je reste ici le temps de passer un coup de téléphone, au cas où il y aurait eu un malentendu ?
Le regard dans le vague, la femme se demanda de quel genre de malentendu parlait Marissa, mais elle garda la porte ouverte. Cette dernière appuya sur le bouton Appel du texto de Jenny et attendit.
« Le numéro que vous avez composé n’est pas attribué. »
L’inquiétude se mua en une légère panique.
- Je sais que c'est pas politiquement correct, poursuivit Sarah, mais je ne sais pas si je pourrais embaucher une nounou étrangère. Ils élèvent les enfants de façon si différente chez eux, pas vrai ?
- Vraiment ?
- Eh bien, qu'est-ce qu'on sait de la façon de penser des Péruviens ? Je ne pourrais simplement pas engager quelqu'un d'une culture aussi différente de la nôtre.
Jenny cligna des yeux, incrédule, et chercha quelque chose à dire. Plus tard, comme d'habitude, de nombreuses réponses lui viendraient en tête, mais sur le moment, elle ne sut que dire. Sarah combla le vide.
- Je suis sûre que ça peut paraître exagéré pour quelqu'un comme toi, mais c'est comme ça que ça se passe, ici.
Jenny fut officiellement déconcertée.
- Quelqu'un comme moi ?
- Ce que je veux dire, c'est que tu viens de la campagne. Je suis sûre qu'à la campagne, tout le monde se connaît, les gens laissent leurs portes grandes ouvertes et personne n'engage de nounou. À Dublin, c'est différent. Surtout à Kerryglen.
Les yeux de Jenny s'écarquillèrent.
- Je viens de Cork, et j'habite à Dublin depuis une quinzaine d'années. Je n'ai jamais vécu à la campagne.