Anne Alassane - Pour l'amour des miens - Interview
Éditions Michel Lafon -Pour l'amour des miens le 4 novembre 2010,
Anne Alassane remporte le concours de la première édition de « MasterChef », où elle a sédu...
On a toujours tendance à idéaliser ceux qu'on aime et, parfois, à attendre d'eux ce qu'ils ne sont pas en mesure de nous donner.
J'aime la vie. Même lorsqu'elle choisit de ne pas me sourire...
Je me sens libre, merveilleusement libre… Quelle adolescence magnifique ! Les remontrances familiales, les petits chagrins d’amour, rien de tout cela ne tient la route comparé aux moments heureux qui se sont succédé durant cette période de ma vie. Et si je tente, à cet instant précis, en fermant les yeux, de faire affleurer comme une bulle à la surface de ma mémoire un quelconque mauvais souvenir, rien ne remonte. Je revois avec nostalgie la jeune fille éprise d’indépendance que j’étais alors, amoureuse des grands espaces et désireuse de vivre sa vie sans contraintes ; je me suis efforcée de lui rester fidèle.
La France, pays d’abondance aux yeux de tant d’Africains, il l’a idéalisée. Il pensait que la vie y serait plus facile, le travail proposé à tous les coins de rues. Il ne m’a jamais questionnée à ce propos parce que lui-même ne se posait pas de questions. Il comptait sur sa bonne étoile. Malgré les antennes satellites braquées vers le ciel, on est toujours un peu loin du reste du monde dans les villages africains, et Issifou ne se sentait pas concerné par ce qu’il se passait au-delà des océans.
Les hommes sont rarement à l’aise lorsqu’ils tentent de réparer ce qu’ils savent avoir cassé. Patrick aimerait « redémarrer notre histoire de zéro ». Je sais que c’est impossible. Plus aucune braise ne couve sous la cendre. Rien à raviver. Comment le lui expliquer ? Nous avons déjà tenté de prolonger un amour moribond. Cette fois, il faut accepter d’en rester là…
C’est un taiseux. Il peut passer des heures entières à fumer en contemplant un feu sans prononcer le moindre mot. Même après avoir franchi le cap de la quarantaine, Patrick n’a toujours pas su panser les plaies de son enfance. Il les cautérise à force d’alcool et de cigarettes brunes.
À l’école, j’ai de bonnes notes sans être une élève exceptionnelle. J’ai souvent l’esprit ailleurs ; un morceau de moi est resté en Afrique et je me sens comme amputée. Maman étant agrégée de lettres, il y a des bouquins partout à la maison. Maupassant, Zola, Poe et Baudelaire sont dévorés avant Enid Blyton ; ma mère a d’ailleurs l’habitude de dire : « Anne a lu Les Fleurs du mal avant d’ouvrir son premier livre de la Bibliothèque rose.
Il me faudra des années pour prendre conscience d'un fait très simple : il ne sert à rien d'attendre d'un cerisier qu'il vous donne des pommes.
Quand Patrick comprend que je suis sur le point de le quitter, il fait ce qui est en son pouvoir pour me retenir. Je ne doute pas de ses sentiments, mais ses mots et ses promesses n’ont plus la même portée que par le passé. Nos divergences ne peuvent plus être surmontées, il est trop tard. Nous sommes dans une impasse, et notre histoire, je n’y crois plus. Je suis lasse de nos disputes, des griefs que chacun ressasse. Je vais partir. Qui n’a jamais pris cette décision ignore la somme de courage qu’il faut réunir pour passer à l’acte. Surtout quand on est enceinte de cinq mois et déjà mère d’une petite fille. Je sais cependant – sans bien évidemment en avoir l’absolue certitude – que je m’en sortirai. Parce que je suis jeune, parce que je suis déterminée. Parce que travailler ne me fait pas peur. Et parce que je n’ai pas le choix.
Il ne s’y est pas toujours senti le bienvenu. De nombreuses portes se sont fermées devant lui, sans explication. Le calque opaque de la réalité est venu se poser sur ce qu’il avait imaginé et désiré. Et cette vérité lui est apparue brutale. Non seulement le quotidien n’était pas plus simple à gérer, mais il devait aussi se fabriquer de nouveaux repères. Apprendre. S’adapter. Vite. Le temps en Afrique n’est pas le même que le nôtre. L’urgence y est relative, voire inconnue. Et il y a toujours moyen de s’arranger. En fait, les règles sont plus simples là-bas et – surtout – moins nombreuses.