"C'était ce qui l'irritait le plus : savoir mais ne pouvoir agir." (p.134)
"Comment faire régner l'ordre, se demandait-il, lorsque la troupe des Gardes-Française elle-même semait la terreur sur son chemin, une grande partie de ses rangs arrondissant leurs soldes en jouant les maquereaux..." (p.113-114)
La population, lasse des privations, devenait violente et incontrôlable. Partout la loi du plus fort régnait en maîtresse des lieux, nul n'étant plus à l'abri d'une agression souvent mortelle.
À vingt-quatre ans, Minette n'était plus cette petite fille négligée par la cour, promise à un avenir incertain où seul le couvent se profilait à l'horizon. Depuis l'accession au trône de Charles II, son aîné adoré, Henriette-Anne s'était retrouvée propulsée, à seize ans à peine, au-devant de la scène et c'était Louis XIV, de son propre chef, qui avait choisi de lui faire épouser Philippe d'Orléans, son frère. Un roi fort surpris de découvrir une jeune fille diablement séduisante alors qu'il ne se souvenait que d'une gamine maigrichonne, allant jusqu'à railler son puîné en lui annonçant ses futures épousailles avec « les os des Saint-Innocents ».
À trop vouloir jouer avec le feu, je me suis brûlé les ailes.
Il est hors de question pour elle d’épouser le vieux barbon choisi par son père, si riche mais si repoussant. La première entrevue, organisée par le seigneur de Trémazec, sera la dernière, comme elle le lui a rapidement signifié. Rien qu’à la perspective d’être touchée par ce sexagénaire bedonnant, à l’haleine fétide, elle a des haut-le-cœur. Se marier avec ce vieillard est toutefois l’unique avenir qu’on lui propose.
La calèche du souverain fut enfin en vue, elle précédait la chaise à porteur de Son Altesse Marie-Thérèse d'Autriche, fille du roi d'Espagne, enceinte de leur cinquième enfant. Pourtant ce n'était pas elle la reine de la cérémonie mais bien la marquise de Montespan : la nouvelle favorite, reléguant l'ancienne, Louise de La Vallière, au rang de paravent des amours royales illégitimes. Nul n'ignorait l'ascendant de la somptueuse Athénaïs, esprit brillant aux charmes ravageurs, sur le roi et tous savaient que le divertissement était l'hommage d'un amoureux à sa belle. Les courtisans étaient admiratifs et ne pouvaient s'empêcher d'établir la comparaison avec les plaisirs de l'île enchantée, donnés quatre années auparavant, en l'honneur de la maîtresse disgraciée. La fête du moment était incontestablement plus impressionnante et le monarque avait évité l'écueil de la précédente, interminable, étalée sur plusieurs jours, où l'absence de couchage avait mécontenté la plupart des invités. L'immense majorité avait en effet regagné à l'époque Fontainebleau avec un soulagement non dissimulé.
— Vous m'avez demandé la discrétion la plus stricte aussi ai-je mené l'enquête avec seulement deux exempts. Cette nuit il y a eu un nouveau mort : un garde. Nous sommes arrivés trop tard. Nous aurions pu l'appréhender, je dois le reconnaître, mais même à trois contre un nous n'avons réussi à le maîtriser, il a la force d'un dément… J'avoue Majesté que, privé de l'aide de l'un de vos officiers, j'aurais pu subir bien plus qu'un simple bleu.
— L'avez-vous identifié ?
— Cela était impossible, il faisait très sombre. Mais nous surveillons toutes les issues : il ne peut pas passer entre les mailles du filet.
— Reprenez votre enquête et ramenez-nous des résultats si vous ne voulez pas être renvoyé ! Nous avons mis beaucoup d'espoir en vous, monsieur le premier lieutenant, et nous éprouverions un grand mécontentement à devoir vous révoquer. Capturez celui qui a osé souiller notre château du sang de ses victimes avant qu'il ne s'attaque aux gens de notre cour. Ne réapparaissez devant notre personne que lorsque ce sera fait !
Le groupe s'émut du sort de la défunte contrairement à la marquise, rassérénée par cette punition divine, ce qui ne surprit personne, sa sécheresse de cœur et sa cruauté envers sa domesticité étant légendaires. On allait continuer sur d'autres thèmes plus réjouissants lorsque le brouhaha des conversations baissa notablement. Madame, épouse de Monsieur frère du roi, venait de faire son apparition, ce qui était un événement en soi, Henriette-Anne étant une femme sachant admirablement se mettre en valeur et soigner son entrée. Ce soir, comme d'habitude, son élégance ravit : sanglée dans un corsage de satin magnifiquement ouvragé rehaussant sa poitrine menue elle avançait, étincelante dans son écrin de brocarts d'or et de passementeries, suivie de deux pages portant avec application le manteau à queue ouvert lui servant de traîne. Sa minceur lui conférait un aspect de fragilité exquis, vite démenti par l'assurance de ses grands yeux noirs que rien ne faisait baisser.
Henriette-Anne s'était vengée du peu de cas qu'on avait fait d'elle autrefois, en séduisant Louis, et en s'imposant ensuite comme la véritable reine de toutes les fêtes données à la cour. Elle savait à merveille rendre les hommes épris et les dames envieuses, jalousie qui avait également assailli Anne d'Autriche, jusqu'à son décès, avant d'envahir la souveraine Marie-Thérèse dont elle avait l'audace de mépriser les remontrances. Affichant une liberté de comportement et un charme insolent, elle refusait de se laisser museler par l'étiquette. Son côté tête brûlée la mettait parfois en danger, toutefois, elle avait la chance d'être protégée par son frère. En adoration devant cette petite sœur facétieuse, l'unique encore en vie, il entendait bien la préserver des méchancetés d'une cour française qu'il connaissait pour les avoir subies, autant que de la morgue de son beau-frère et de l'exécrable caractère de l'époux capricieux imposé à sa cadette.