Citations de Anouk Lejczyk (65)
Nous étions des enfants sages et des histoires douces. Dès notre plus jeune âge, l'école républicaine nous a félicitées. Elle nous a fait comprendre que nous étions dans le bon chemin, celui du comportement droit et de l'esprit analytique. Elle nous a donné tous les outils nécessaires pour bâtir notre futur. Des outils conceptuels, discursifs et mathématiques. Des outils critiques exigeants et modérés, capables de saisir le monde et de croire au réel dans toute sa complexité. Grâce à notre volontarisme docile, l'école républicaine nous a affirmé que nous étions le haut du panier et que c'était une chance à ne pas laisser passer. Nous y avons cru.
Quand j’ai lâché mes affaires au milieu du studio, ça n’a fait aucun bruit. Il faut croire que le lino beige absorbe les ondes, ou que les valises n’avaient plus rien à dire. Elles sont restées silencieuses sans savoir ce qu’elles faisaient là, pour combien de temps, ni pourquoi.
(…) j’ai renversé ma tasse d’eau chaude sur le tissu épais qui me sert de nappe. Le liquide s’imbibe vite. J’y vois une carte, comme souvent. Le fissures au sol du préau : une carte. Une flaque au milieu du pré, des chewing-gums séchés sur les trottoirs, une façade en décrépitude : des contours de territoires.
Sur ma carte d’eau j’imagine ton espace. Une mer de bois et des constellations de cabanes, des lignes de désirs devenues chemin que je trace avec mon index. J’y inscris mentalement des quartiers et, avec des noisettes, je positionne les cabanes en suivant ce dont je me souviens des étoiles : Cassiopée, Orion, Lyra, oui, ça sonne chic.
Nous étions les enfants sages des histoires douces. Dès notre plus jeune âge, l’école républicaine nous a félicitées. Elle nous a fait comprendre que nous étions dans le bon chemin, celui du comportement droit et de l’esprit analytique. Elle nous a donné tous les outils nécessaires pour bâtir notre futur. Des outils conceptuels, discursifs et mathématiques. Des outils critiques exigeants et modérés, capables de saisir le monde et de croire au réel dans toute sa complexité. Grâce à notre volontarisme docile, l’école républicaine nous a affirmé que nous étions le haut du panier et que c’était une chance à ne pas laisser passer. Nous y avons cru.
Ne reste pas là, je vais t’aider. En douceur, voilà, donne-moi ton bras. Tu peux t’appuyer contre moi, bien sûr. N’aie pas honte, ils ne me voient pas. Je ne suis là que pour toi. Attrapes mes omoplates, tiens-les bien. Regarde comme elles saillent depuis mon dos, on diraient qu’elles étaient faites pour ça - attention quand même, ne me griffe pas. Tout doux. Il y a de la peau et du sang dessous. Rappelle-toi ma soeur, rappelle-toi ma petite peau de petite sœur de sang. C’est bien. Tu es debout. Je peux retourner me nicher dans ton cou.
Ce n’est pas que tu me manques, non. C'est que ta fêlure sans origine et sans nom a quelque chose d'inacceptable - il ya ton ombre qui a pris dix mètres, il y a ton nouveau regard enflé dont je ne peux me défaire. C'est inacceptable pour moi qui partage ça, tes oigines et ton nom.
Je dois remettre mes pendules à l’heure et mes pieds sur terre (…) Je vais ranger mon costume d’exploratrice, démêler ma tignasse, réhydrater ma peau brûlée. Prendre soin de moi (…)
Ce soir, la lune est presque pleine, tu n'as besoin d'aucune lumière pour circuler ; le Bosquet Rouge attend son nouveau sang.
À ton passage, un petit animal s'enfuit sur le côté, sans doute un mulot. La Sentinelle t'a appris à reconnaître son pelage roussâtre, ses grandes oreilles, son ventre blanc ; tu en aperçois de plus en plus souvent.
Tu traces toi-même tes chemins de traverse au gré de tes envies. Le buisson de houx, le chêne à bosses et la chandelle comme points de repère, tu déambules en chantonnant une vieille chanson aux paroles incertaines, sans lever trop la voix pour ne pas déranger les présences éventuelles.
La pluie du matin a laissé une odeur terreuse dans l'air, les mousses luisent encore. Jamais tu n'avais imaginé te retrouver là, parmi toutes les options qui s'offraient ; jamais tu n'avais pensé que la forêt pouvait être un lieu pour toi.
Comme une montée de sève, un courant intérieur te parcourt, une émotion sans contour et sans nom, qui te donne envie de rite et pleurer à la fois. Tu laisses échapper un souffle qui interrompt ta chanson, la fait tressauter en plein refrain, que tu essaies pourtant de tenir sans te laisser envahir complètement.
Plus rien ne te guidait hormis tes voix, trop nombreuses pour être d’accord, trop imprévisibles, pour être domptées. Alors tu suivais celle qui parlait le plus fort, à tort ou à raison. Ton corps devenait une maison ambulante, des pilotis à la place des pieds.
Tu n'as pas chuté, tu ne t'es pas brisée. Tu as complètement bifurqué sur le chemin d'à côté. Tu as fini par quitter ton psy, ton travail, ton appartement, les injonctions par milliers.
p 67
A présent Felis,où que tu sois, gare aux arbres qui craquent et menacent de tomber. Gare aux échelles et aux ponts mal fixés. Haut dans les cimes, à chaque bourrasque, plante bien profondément tes griffes dans les troncs. Et s’il te plaît, dis-moi que je n'y suis pour rien.
La forêt n'est pas qu'une étendue, c'est aussi l'ensemble des arbres qui recouvrent l'étendue. En bref, la forêt est à la fois l'espace et ce qui l'occupe. Chênes, hêtres, bouleaux, charmes, tilleuls, châtaigniers, noisetiers, houx, sureaux, fougères, lichens, champignons. Et puis vous, animaux de tout poil. Vous formez un ensemble.
A 13h m'endors dans les pâquerettes
la tête à l'ombre le pantalon anti-coupure au soleil
j'absorbe la chaleur du ciel et la pesanteur de la terre
la sieste est cosmique délicieuse trop courte
Lentement, sans faire de bruit, nous sortions une fine aiguille, mettions une main dans un gant de boxe et l’autre dans un gant de soie. Il nous fallait gratter sans écorcher, frapper sans claquer, caresser ta joue. Il nous fallait nous-même coudre des liens dans les histoires qui t’échappaient. Et surtout pas de bisous.
Tes points d’attache se sont rompus année après année, à force de tirer dans des directions opposées. De façon progressive, presque indolore. Tu t’es mise à hésiter, un peu chaque jour pour commencer, puis plusieurs fois par heure. Crise de doute sur crise de doute : tu résumais ainsi tes journées.
Ce n'est pas que tu me manques, non. C'est que ta fêlure sans origine et sans nom a quelque chose d'inacceptable - il y a ton ombre qui a pris dix mètres, il y a ton nouveau regard enflé dont je ne peux me défaire. C'est inacceptable pour moi qui partage ça, tes origines et ton nom.
Tu t'imagines dans sa peau d'enfant, sans aucune responsabilité, livrée à ton seul instinct de survie et à ton envie d'aller de l'avant. Un champ de possibles qui ressemblerait à une forêt, avec ses taches de lumière et ses obstacles, son langage composé de milliers de dialectes, tout un monde à apprendre, sans le regret de ceux que tu aurais mis de côté. (p106)
Bonjour à tous
et à toutes
je vois qu’il y a deux femmes
c’est bien
moi je m’appelle Max Antoine
je suis votre formateur en bûcheronnage
c’est moi que vous allez voir le plus souvent
je suis votre référent principal cette année ok ?
Je m’appelle Max Antoine
j’ai trente-sept ans
je suis pas écolo
je suis écologue
Mes passions :
ma femme
ma chienne
mes tronçonneuses
et mes enfants bien-sûr
j’ai deux petits garçons ils sont magnifiques
ça va être des tombeurs plus tard
Moi je suis un putain de bûcheron
je suis un putain de chasseur
je suis représentant chez Stihl aussi
je pourrai vous avoir des prix
Tu n’es pas seule, tu vois. Je t’entoure comme je peux, sans les bras.
Tu as ce truc imprévisible, cette sorte de conscience intégrée que rien n'est jamais acquis, qu'aucun de nos gestes est gratuit, qu'aucun enchaînement n’est parfaitement logique... Tu doutes tout le temps et sache-le, c'est ce qui te sauvera de toutes les tyrannies.