Anthelme Hauchecorne

Était-ce ma faute ? Avais-je mal compris ?
Il me semblait pourtant que le terme " associés " était clair, non équivoque et qu'il impliquait des obligations de vérité et de loyauté.
De toute évidence, Banshee fonctionnait différemment. À tel point que j'aurais presque désiré lui ouvrir le crâne, afin de voir de mes yeux quels étranges circuits nourrissaient ses pensées.
Idée qui m'a plusieurs fois démangé.

- Parce que j'ai droit à des vacances ?

- Dans les cas énumérés par la loi : arrêt cardiaque, traumatisme crânien majeur, perte d'un ou plusieurs organes... Liste non exhaustive. Le règlement prévoit un congé d'une heure.

- C'est peu.

- C'est trop.

Je n'avais personne à qui parler. Meredith, qui me jugeait déjà excentrique, aurait cru que j'avais définitivement perdu la boule. Trevor se serait moqué de moi, puis m'aurait demandé ce que j'avais fumé ainsi que l'adresse de mon dealer.

Ce n'était pas un mauvais garçon. La faute en incombait à la Nature qui l'avait doté d'un cerveau et d'un pénis, et de trop peu de sang pour irriguer les deux en même temps.

Il existe un stade de nullité en deçà duquel un carnet d’adresses bien rempli n’est plus d’aucun secours. J’en suis l’incarnation.

Les barreaux des fenêtres ne retenaient que mon corps. Mon âme, elle, voyageait à des lieues de là. Je m'évadais de ma chambre capitonnée en grimpant sur les épaules de Thalia et Melpomène.(*)
Sur une vieille machine à écrire abandonnée par un ancien pensionnaire, j'ai jeté les bases de l'histoire qui, des années plus tard, deviendrait mon plus grand film.


(*) Deux des neuf Muses de la Mythologie :
Thalia : la comédie
Melpomène : la tragédie

Que penser d'une fille qui vous offre une arme ?

Pour vous donner une idée de la misère intellectuelle qui était la mienne, je croyais alors que le Brésil était un pays d'Afrique et que Nelson Mandela était l'inventeur de la mandoline.

Nos appétits nous rendent malheureux. Nos peurs nous empoisonnent. La haine nous dévore et la vengeance nous laisse creux. Seuls nos songes nous insufflent l'énergie d'endurer ce monde. Nos vies commencent et s'achèvent avec eux.

Je ne vous mentirai pas, mon histoire n'a rien d'unique. Vous l'avez lu mille fois. Voici le journal d'un homme qui, à tout vouloir, a tout perdu. Je voudrais croire que mes mémoires résonnent en vous comme un avertissement. Hélas, ainsi que je l'ai appris à mes dépens, si de telles mésaventures frappent les bonnes gens depuis toujours, c'est précisèment parce que nous pensons qu'elles n'arrivent qu'aux autres.

J'ai vu une silhouette comique s'extraire maladroitement de l'arbre. Un bonhomme rondouillard, à l'allure de culbuto, s'est dandiné jusqu'à nous. Un long duster balayait le sol derrière lui, de ceux que les desperados portaient dans les westerns. Harnachées sur son dos, des bonbonnes alimentaient le masque à gaz qui lui dessinait comme un bec. Le reste de sa tête disparaissait sous un sombrero décoré de réveils indiquant les heure s locales des capitales du globe, ou plutôt de leur équivalent dans l'Ever.

- Mon cher Walter, prétendre négocier lorsqu'on se trouve en position de faiblesse - la votre en l’occurrence - n'est pas une marque de caractère, mais un aveu de bêtise. Ne vous avisez plus de me faire perdre mon temps. Je vous offre le rôle de votre vie. N'y voyez pas une métaphore. Ou vous acceptez ce rôle, ou votre vie s'arrête là.

J'ai senti le goût du sang. Ce type avait le culot de me frapper. Même mon père n'avait jamais levé la main sur moi. J'ai vu rouge. J'ai sifflé avec mes doigts. Je voulais que mon ça rapplique et égorge ce pédant hautain. Sur ce point aussi, il me précédait d'une longueur.

Je n'avais plus le choix, il me fallait marcher ou abandonner.

- Oh, joie.

J'étais seul. Alors d'où me venait ce besoin de parler à haute voix ? Perdu dans ce no man's land plus silencieux qu'une tombe, j'éprouvais une solitude écrasante, au point que je puisais du réconfort dans le moindre son. Il émanait de Brumaire une tristesse assourdissante. J'ai ramassé mon sac, des outils et de quoi me défendre, puis j'ai quitté la relative sécurité de mon véhicule. La brume m'a avalé. Ainsi ralenti, la barge de Banshee m'a semé pour de bon. Sa silhouette cyclopéenne s'est fondue dans le brouillard. Sa présence s'est réduite au vacarme de ses chenilles, ce roulement grave qui secouait la terre et remontait le long de mes jambes.

"Unie". Aucun adjectif ne seyait + mal à notre pays. Peut-on imaginer fossé + profond que celui qui sépare les riches des pauvres? Il existe un abîme infranchissable entre ceux qui bâfrent et ceux qui jeûnent, entre ceux qui regardent l'eau de pluie cogner contre les carreaux de leur villa et ceux qui l'essorent de leurs chaussettes trouées. La couleur de peau, la confession, l'orientation sexuelle... Somme toute, ce sont là des clivages mineurs. Quand vous crevez de faim, vous vous contrefichez que votre voisin ait la peau verte, qu'il soit sataniste ou qu'il sodomise des patates. En revanche, si ce dernier dispose de quoi manger et vous non, alors subitement vous le haïssez.

Les cons osent tout. C'est même à cela qu'on les reconnaît.

Les "Robots". Qu'en dire? Le mot "robot" est un emprunt aux langues slaves. Il dérive du radical "rabot" qui signifie "travail", que l'on retrouve aussi dans le mot "rab" qui signifie "esclave" en russe.

- Je vous l'ai rappelé 6 fois ce matin...
- Bécasse! L'idée ne vous a pas effleurée que j'aie pu ne pas vous entendre?
- Non. Peut-être parce que vous m'avez répondu, je cite: "Eugénie, veuillez la boucler! Ne voyez-vous pas que je suis débordé?" Juste avant de me donner un aperçu de votre remarquable éloquence. J'ai été soufflée par votre créativité. Littéralement. Monsieur m'avait dissimulé son talent d'artiste. Je salue la succulence de vos sous-entendus sur le métier exercé par ma mère, ou la possible parenté de mon géniteur avec un primate en rut, sans omettre la part jouée par pareille ascendance dans mon état de déliquescence mentale. Très subtil. J'en ai déduit, hâtivement peut-être, que vous ne souhaitiez pas être dérangé...

L'apocalypse selon Saint Jean, blockbuster biblique où l'on ne mégote pas sur les effets spéciaux, m'a toujours laissé sceptique. Quel dieu désoeuvré s'abaisserait à nous exterminer, tant semblons-nous surqualifiés pour cette besogne? "This is the end" chantait Jim Morrison. La Fin arrive, et nous l'orchestrons.

A l'instar du suffrage universel, la végétation brille par son absence. La gangue nuageuse interdit toute photosynthèse. La vie y est animale, exclusivement. L'herbe gémit quand on la foule. Les arbres saignent quand on les coupe. La rumeur voudrait que la "végétation" de Victoria Secundus contienne près de 20% de génome homo sapiens. "Adéquation évolutive", rétorquent les intellects secs de la Royal Academy of Sciences. En effet: il n'y a guère que le génome humain pour proliférer sur le substrat de la misère et des inégalités.

Face à la barbarie, le Savoir est une arme. Indétectable. Légale. Universelle. A même de servir en toute occasion. Le seul arsenal dont on puisse être fier.
Le Savoir, c'est la parure de l'âme. Le joyau à côté duquel les autres font toc.