"Ordinaire" : le nouveau Polar d'Audrey Najar
Dormir sans penser au travail, à ce qui suit. Regarder les enfants faire des châteaux de sable avec leurs parents agenouillés, et les ados se jeter sur leurs bodyboards dans l’eau bleu marine. S’endormir côte à côte, attraper un coup de soleil, remplir sa tête du cri des mouettes, du cri des vagues.
"Il est triste de jouer à cache-cache dans ce monde où l'on devrait se serrer les uns contre les autres."
Jean Cocteau
Elle ne sait pas que la vie peut basculer en un claquement de doigts, quand elle le décide, qu’il ne faut jamais, jamais, se laisser aller à croire qu’on peut être tranquille. Non, toujours être sur ses gardes, en position de défense.
C'est peut-être ça le bonheur, il songe : un peu de calme, la mer et le soleil.
Il aimerait tant être comme elle, se dit-il encore, être à la hauteur juste de ses genoux, ses genoux ronds, lui donner raison de l’avoir choisi, lui, lui et pas l’autre. Il aimerait se jeter à ses pieds, lui demander pardon, pardon de lui avoir donné un fils parti trop tôt et trop vite. Pardon d’être jaloux et lâche, d’être con, minable, pauvre et raté. Pardon d’être vieux, pardon d’être fou bientôt, pardon d’être sale parfois, d’être flemmard souvent. Pardon de l’aimer trop, à l’étouffer, elle, la plante grimpante qui cherche le soleil, la lumière, la vie quand il s’entortille autour d’elle pour vivre un peu en même temps, par procuration.
Manuela baisse les yeux, c'est ce qu'on doit faire dans ces cas-là. En cas de deuil, on baisse les yeux. On compte les cailloux, on n'a plus le droit au ciel. Le ciel, c'est pour les anges et les oiseaux.
La solidarité est un leurre, un conte de fées. L’individualisme règne. Il faut marcher sur les autres pour toucher du doigt les nuages.
Parfois, Hervé se dit qu'il aimerait arracher sa peau pour l'échanger avec celle des autres, comprendre ce qu'ils ressentent eux, s'ils ont mal comme lui, s'ils ont peur aussi.
(p. 73)
Elle est là coûte que coûte. Un homme à la mer, un homme noyé dans sa bière, son vin blanc, son whisky, sa gnôle, son eau-de-vie, son eau-de-mort, son océan de remords. Si elle pleure, il ne s'en souvient pas.
Elisabeth apporte de la délicatesse dans cet appartement basique. Elle lui ferait oublier quelques instants la toile cirée, la peinture esquintée, les souvenirs.
(p. 92)