Barbara Kaufman

"Et rappelle toi que ce qu'ils ont en force, ils le perdent en intelligence." Il m'aura fallu presque trente ans pour comprendre ce que mon frère voulait dire. Je n'ai peut-être pas eu beaucoup de père, mais assez pour m'inculquer des fondamentaux. D'une certaine manière ce soir mon père est avec moi, il est en moi.
Il est celui qui dit non.

Ce n'est pas mon mal-être qui m'étouffe, c'est la constatation que je le traîne tel un boulet depuis des années. Chaque fois que je regarde à l'intérieur de moi, je vois Tonio qui me rit au nez et çà me déchire de l'intérieur.
Les larmes qui coulent sur mes joues se mêlent à la pluie. Le ciel pleure en écho...

Ce qui vous parait insurmontable maintenant n'est qu'une démarche à aborder étape par étape. Et à chaque étape vous trouverez une solution.

Je ne dis rien et me contente de me lover dans ses bras. Pour rien au monde je ne briserais cet instant magique.

Tu t'es toujours excusée d'exister ; c'est fini, ça, hein ?

C'est comme si je ne faisais jamais rien assez bien ; comme si je courais depuis des années après une perfection, une version de moi qui n'est pas moi.

Les larmes qui coulent sur mes joues se mêlent à la pluie. Le ciel pleure en écho...

Il se met à tomber des trombes d'eau. Plutôt que de me mettre à l'abri je m'assieds sur un banc et laisse la pluie déferler sur moi. J'espère secrètement qu'elle va me laver du désespoir qui m'étouffe, qu'elle va faire disparaître ce trouble qui s'est installé en moi.

Je sais qu'il fait des efforts pour contenir les démons que sa terrible enfance a insufflés en lui. Je le vois essayer, je le vois se débattre ; je sais qu'il est un peu cassé, mais la complexité humaine naît rarement de la facilité.

"Il sait toujours faire bonne figure en société, ne laisse jamais paraître ses émotions en public, camoufle à merveille ses arrière-pensées."

"Il a une faculté de maîtrise des émotions hors du commun: chez lui, la tempête retombe aussi vite qu'elle s'est levée. Moi, je sais cacher, mais quelque chose au fond de moi reste toujours tendu."

J’y ai rencontré une fille super chouette, Mathilde Jenisten, une Franco-Anglaise qui elle aussi passait par New York entre deux années d’étude. Malheureusement elle est retournée vivre en Angleterre et non en France, ce qui fait que notre relation se résume depuis à quelques mails par an. De toutes les façons, je suis nulle pour entretenir les amitiés. Hormis avec Solène qui est bien trop essentielle à ma survie pour disparaître, ma vie ne me laisse pas vraiment le temps de nourrir des relations en dehors de ma famille.

Le petit bout semble vraiment en détresse. C’est fou l’intensité avec laquelle un enfant de cet âge vit ses émotions. J’essaie de comprendre ce qui ne va pas. Il geint qu’il ne veut pas dormir, qu’il a peur des monstres sur la porte…

Non, il n’est pas jaloux, il est possessif. C’est un prérequis chez les Méditerranéens, semblerait-il. J’aurais dû épouser un Islandais, dis-je en levant les yeux au ciel.

L’idée du dîner en amoureux dans un restaurant gastronomique balaie finalement mes inquiétudes et un sourire s’étale sur mon visage. Je dois avoir l’air d’une enfant à qui on vient d’ouvrir les portes de la chocolaterie de Willy Wonka, car Tonio secoue la tête, moqueur. Il me toise alors de bas en haut.

Quand chaque décision vaut un million, ça change la donne. Le luxe et l’édition sont deux mondes qui n’ont rien à voir : l’un fait de l’argent, l’autre en perd. Je cherche ma veste, me rappelle que je n’en ai pas pris aujourd’hui, me désespère d’être à ce point tête en l’air, puis dévale les escaliers. Rentrer à la maison, retrouver mes enfants et attendre mon mari : aussi cliché que cela puisse paraître, cette idée me ravit. J’espère que Tonio sera de bonne humeur. Le vendredi soir, ce n’est pas gagné…