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Citations de Bruce Chatwin (145)


Bruce Chatwin
Le mieux est de marcher. Car la vie est une traversée du désert.
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Au commencement la Terre était une plaine sans fin, obscure, séparée du ciel et de la mer grise, étouffant dans une pénombre crépusculaire. Il n’y avait ni soleil ni lune ni étoiles. Cependant, bien loin, vivaient les habitants du ciel, êtres jeunes et indifférents, humains de forme, mais possédant des pattes d’émeu et une chevelure dorée étincelante comme une toile d’araignée dans le soleil couchant, sans âge et insensibles aux atteintes des ans, existant depuis toujours dans leur vert paradis bien arrosé, au-delà des nuages de l’ouest.
A la surface de la Terre, il n’y avait que des trous qui deviendraient un jour des points d’eau. Aucun animal, aucune plante, mais autour de ces sources étaient rassemblés des amas de matière pulpeuse, des restes de la soupe primordiale – silencieux, sans souffle, ni éveillés ni endormis – contenant chacun l’essence de la vie ou la possibilité de devenir humain.
Sous la croûte terrestre, cependant, les constellations luisaient, le soleil brillait, la lune croissait et décroissait et toutes les formes de vie gisaient endormies – la fleur écarlate du pois du désert, le chatoiement de l’aile du papillon, les moustaches blanches et frémissantes du Vieil Homme Kangourou – tous en sommeil comme les graines du désert qui doivent attendre l’averse vagabonde.
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Dans un exemplaire de Tristram Shandy de Sterne en livre de poche acheté chez un bouquiniste d’Alice Springs, j’ai trouvé cette note griffonnée sur la page de garde : « Un des rares moments de bonheur qu’un homme connaît en Australie est le moment où il rencontre les yeux d’un autre homme devant deux verres de bière.
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Je sortis de mes bagages quelques blocs de papier et, avec cette méticulosité obsessionnelle qui accompagne tout début de projet, je répartis mes carnets "parisiens" en trois tas bien nets.
Il s'agit de carnets connus en France sous le nom de carnets moleskine, car ils sont recouverts de cette toile de coton noire enduite imitant le cuir. A chacun de mes passages à Paris, j'en achetais une nouvelle provision dans une papeterie de la rue de l'Ancienne-Comédie. Les pages étaient quadrillées et maintenues en place à leur extrémité par un ruban élastique. Je les avais tous numérotés. J'écrivais mes nom et adresse sur la première page et offrais une récompense en cas de perte à qui me le renverrait. Perdre un passeport n'était qu'un ennui mineur ; perdre un carnet était une catastrophe.
Au cours d'une vingtaine d'années de voyage, je n'en ai perdu que deux. L'un a disparu dans un car afghan. L'autre me fut subtilisé par la police secrète brésilienne qui, non sans un certain don de seconde vue, s'était imaginé que les quelques lignes que j'avais écrites - sur les blessures d'un Christ baroque - étaient une description, en code, de leur propre travail sur les prisonniers politiques.
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Les Pintupi étaient la dernière tribu « sauvage » à avoir été contactée dans le Grand Désert occidental et introduite à la civilisation blanche. Jusqu’à la fin des années 1950, ils avaient continué à pratiquer la chasse et la cueillette, nus dans les dunes, comme ils l’avaient fait pendant au moins dix mille ans.
C’étaient des gens insouciants et très ouverts d’esprit, qui ne connaissaient pas ces rudes rites d’initiation propres aux groupes plus sédentaires. Les hommes chassaient le kangourou et l’émeu. Les femmes cueillaient des graines, ramassaient des racines et tout ce qui pouvait se manger. En hiver ils s’abritaient derrière des pare-vent de spinifex ; et, même en pleine sécheresse, l’eau leur faisait rarement défaut. Une bonne paire de jambes était leur valeur la plus sûre et ils riaient sans cesse. Les quelques Blancs qui les visitèrent furent surpris de voir leurs nourrissons gras et en bonne santé.
Mais le gouvernement décréta que les hommes de l’âge de pierre devaient être sauvés… pour le Christ, si besoin était. En outre, on avait besoin du Grand désert occidental pour y mener à bien des opérations minières, éventuellement des essais nucléaires. Il fut donc ordonné d’embarquer les Pintupi dans des camions de l’armée et de les installer dans des lotissements du gouvernement. Nombre d’entre eux furent envoyés à Popanji, un camp situé à l’ouest d’Alice Springs, où ils moururent victimes d’épidémies, se prirent de querelle avec les hommes des autres tribus, se mirent à boire et à jouer du couteau.
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Parmi les moments heureux qu'ils passaient ensemble, aucun n'égalait la saison des champignons. Vers la fin du mois d'août, après les premières averses de l'été finissant, ils attrapaient le premier train du matin pour Tabor, le car pour Ceske Krizove et, de là, en prenant soin d'éviter la grande maison, emportaient leur pique-nique dans les bois.
Les champignons, disait-il, étaient la seule raison de revoir les lieux de son enfance.
Marta et lui jouaient comme des enfants, oubliaient tout sentiment de caste ou de classe, en s'interpellant au milieu des troncs de pin : "Regardez ce que j'ai trouvé...! Regardez ce que j'ai trouvé...!" un bolet à capuchon roux, un agaric comestible, un groupe de girolles dont les chapeaux orange s'épanouissaient sur un tapis de mousse.
Personne, hormis eux et quelques bûcherons, ne connaissait la clairière où, lorsqu'il était propriétaire du domaine, il avait scié lui-même une table rustique et un siège dans le bois d'un bouleau foudroyé.
Ils étalaient leurs trouvailles sur la table, les lamelles sur le dessus, rejetant ceux qui leur semblaient spongieux ou véreux, ôtant les gros amas de terre tout en laissant l'aiguille de pin collée çà et là ou un bout de fronde de fougère.
'Ne les nettoyez pas trop, lui recommandait-elle. Un peu de terre leur donne meilleur goût."
Puis elle les faisait frire dans le beurre sur un réchaud à alcool et y ajoutait une bonne cuillerée de crème.
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Si nous fouillons nos souvenirs d'enfance, nous nous remémorons en premier lieu les chemins, avant les choses et les gens: les allées du jardin, la route de l'école, le parcours dans la maison, les itinéraires dans la fougère ou dans les hautes herbes.
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J’allai dîner sur Todd Street dans un restaurant à l’enseigne du Colonel Sanders. Sous le néon éblouissant, un homme dans un costume d’un bleu luisant prononçait un sermon à l’adresse de quelques candidats cuistots adolescents, comme si la cuisson du poulet frit à la mode du Kentucky était un rite religieux.
Je regagnai ma chambre et passai la soirée avec Strehlow et une bouteille de bourgogne australien.
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Combien vous dois-je pour la chambre?

_ Rien. Si vous n'y aviez pas dormi, elle serait restée inoccupée.

- Combien pour le dîner?

- Rien. Comment pouvions-nous savoir que vous veniez? Nous avons fait la cuisine pour nous.

- Alors combien pour le vin?

- Nous offrons toujours le vin à nos visiteurs.

- Et le maté?

- Personne ne paye jamais le maté ici.

- Qu'est-ce que je peux payer alors? Il ne reste plus que le pain et le café.

- Je ne peux vous compter le pain, mais le café au lait est une boisson de gringo et je vous le fais payer.
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Dans sa lente reptation, la marée finit par atteindre les bacs. Le soleil plongea derrière les nuages en les ourlant d’or et s’enfonça au milieu du détroit. Un flot de lumière safran inonda le paysage. La mer devint glauque et les embruns se colorèrent de reflets verts et dorés.
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La Patagonie ! s’écria-t-il. C’est une dure maitresse. Elle vous jette un sort. Une enchanteresse ! Elle replie ses bras sur vous et ne vous laisse plus jamais partir.
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Tous les grands maîtres ont enseignés que l'homme était à l'origine, un "vagabond dans le désert brûlant et désolé de ce monde" - ce sont là les mots du Grand Inquisiteur Dostoïevski - et que, pour retrouver son humanité, il devait se débarrasser de ses attaches et se mettre en route.
Mes deux derniers carnets étaient pleins de notes prises en Afrique du Sud où j'avais observé, de visu, des preuves indiscutables sur l'origine de notre espèce. Ce que j'avais appris là-bas - avec ce que je savais maintenant des itinéraires chantés des aborigènes - semblait confirmer l'hypothèse que j'avais caressé depuis si longtemps : la sélection naturelle nous a conçus tout entiers - de la structure des cellules de notre cerveau à celle de notre gros orteil - pour une existence coupées de voyages saisonniers à pied dans des terrains épineux écrasés de soleil ou dans le désert.
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- Et qu'est-ce qui a provoqué la rencontre, demandai-je, entre la mouche domestique et vous?
Extrayant quelques arêtes de poisson de sa barbe, Orlik me raconta qu'il avait consacré trente ans de sa vie à étudier certains aspects du mammouth laineux, ce travail l'ayant conduit jusqu'aux toundras de Sibérie où l'on trouve parfois des mammouths congelés dans le permafrost. Ses recherches - bien que généralement sa modestie l'empêchât de le mentionner - avaient vu leur aboutissement dans son article magistral : "Le mammouth et ses parasites." Mais à peine l'avait-il publié qu'il ressentit le besoin d'orienter ses travaux vers quelque créature inférieure.
"J'ai décidé, dit-il, à étudier Musca domestica dans la zone urbaine de Prague."
Tout comme son ami M. Utz pouvait dire au premier coup d'oeil si une pièce de porcelaine de Saxe avait été fabriquée à partir de l'argile blanche de Colditz ou de celle des Erzgebirge, les monts Métallifères, lui, Orlik, après avoir examiné sous un microscope la membrane irisée d'une aile de mouche, affirmait savoir si l'insecte venait de Mala Strana, de Zidovské Mesto ou de l'une des décharges qui entouraient la nouvelle cité-jardin.
Il avoua être ravi de la vitalité de la mouche. Il était de bon ton chez ses collègues entomologistes - tout particulièrement chez les membres du parti - de s'émerveiller devant le comportement des insectes sociaux, les fourmis, les abeilles, les guêpes et les autres espèces d'hyménoptères qui s'organisaient en communautés enrégimentées.
"Mais la mouche, dit Orlik, est une anarchiste.
- Chut! dit Utz. Ne prononcez pas ce mot!
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Tierra del Fuego – Terre de Feu. Les feux étaient ceux des indiens fuégiens. Selon une des versions de l’origine de cette dénomination, Magellan n’ayant aperçu que de la fumée l’avait appelé Tierra del Humo, Terre de la Fumée, mais Charles Quint déclara qu’il n’y avait pas de fumée sans feu et changea le nom.
Les Fuégiens sont morts et tous les feux sont éteints. Seules les torchères des raffineries crachent leur panache de fumée dans le ciel crépusculaire.
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Les psychiatres, les politiciens, les tyrans nous assurent depuis toujours que la vie vagabonde est un comportement aberrant, une névrose, une forme d’expression des frustrations sexuelles, une maladie qui, dans l’intérêt de la civilisation, doit être combattue. Les propagandistes nazis affirmaient que les Tsiganes et les Juifs –peuples possédant le voyage dans leurs gènes- n’avaient pas leur place dans un Reich stable. Cependant à l’Est, on conserve toujours ce concept, jadis universel, selon lequel le voyage rétablit l’harmonie originelle qui existait entre l’homme et l’univers.
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Un panneau disait : « Le crédit est comme le sexe. Certains en obtiennent. D'autres non. » Sur un parchemin « médiéval » on pouvait voir la caricature d'un culturiste et un texte en caractères gothiques :

Oui, bien que je traverse
La vallée de l'ombre de la mort
Je ne crains pas le mal
Car moi, Bruce, je suis
Le plus méchant con de toute la vallée.

A côté des bouteilles de Southern Comfort se trouvait un vieux flacon rempli à ras bord d'un liquide jaune portant sur l'étiquette : Authentic N. T. Gin Piss (Véritable pisse de femme aborigène du Territoire du Nord).
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Il but son vin à petites gorgées. Nous restâmes assis en silence pendant une minute ou deux, puis il dit rêveusement : "Oui, c'est un délicieux endroit pour se perdre. Se perdre en Australie vous donne un délicieux sentiment de sécurité."
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Alors que nous approchions d'un des gommiers, une volée de cacatoès noirs s'enfuit en grinçant comme des charnières rouillées et se reposa plus loin sur un gommier mort. J'enlevai mes lunettes et vis l'éclair de plumes rouges qui étincela sous leurs queues.
Nous nous installâmes à l'ombre. Les sandwiches étaient immangeables et nous les jetâmes aux corneilles. Il nous restait heureusement des biscuits et du fromage, des olives, une boîte de sardines, et cinq bières fraîches.
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Je marchai deux heures, cinq heures, dix heures, et pas de camion. Mon carnet rend compte de l’humeur du moment.
Marché toute la journée et le jour suivant. Route, droite, poussiéreuse, et sans circulation. Vent implacable s’opposant à la progression. Parfois vous entendiez un camion, vous étiez sûr que c’était un camion, mais ce n’était que le vent. Ou un craquement de boite de vitesses mais ce n’était également que le vent. Parfois le vent faisait un bruit de camion vide franchissant un pont en cahotant. Même si un camion était arrivé par derrière, vous ne l’auriez pas entendu. Et même si vous aviez été face au vent, le vent aurait noyé le son du moteur. Le seul bruit que vous entendiez était le cri du guanaco. Un bruit comme un bébé qui essaie de pleurer et d’éternuer en même temps. D’abord vous le voyiez à cent mètres : un mâle solitaire, plus gros et plus gracieux qu’un lama, avec une robe orangée et une queue blanche relevée. Les guanacos sont des animaux farouches, vous avait-on dit, mais celui-ci était fou de vous. Et quand vous ne pouviez plus marcher et que vous vous allongiez dans votre sac de couchage, il était là à renifler, en gardant toujours la même distance. Le lendemain matin il était tout près, mais il ne pouvait supporter la surprise de vous voir sortir de votre peau. Et c’était la fin d’une amitié. Vous le regardiez s’enfuir bondissant au-dessus des épineux comme un galion qui a le vent en poupe.
Le jour suivant chaleur plus forte et vent plus violent que jamais. Les rafales torrides vous rejetaient en arrière, vous aspiraient les jambes, vous comprimaient les épaules. La route qui commençait et finissait dans un mirage gris. Vous croyiez voir un fantôme de poussière derrière vous et, bien que vous sachiez qu’il ne fallait pas compter sur l’arrivée d’un camion, vous pensiez que c’était un camion. Ou bien apparaissaient de petites taches noires qui se rapprochaient. Vous vous arrêtiez, vous vous asseyiez et vous attendiez, mais les petites taches s’éloignaient de part et d’autre de la route et vous vous rendiez compte alors que c’étaient des moutons.

Finalement un camion chilien passa dans l’après-midi du second jour. Le chauffeur était un costaud à l’abord jovial dont les pieds sentaient le fromage. Il aimait bien Pinochet et semblait satisfait de la situation générale de son pays.
Il m’amena à Lago Blanco. Les eaux du lac étaient d’un triste blanc crème. Au-delà s’étendait un cirque de prairies vert émeraude cerné par une ligne de montagnes bleues. C’était Valle Huemeules…
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Le jour suivant chaleur plus forte et vent plus violent que jamais. Les rafales torrides vous rejetaient en arrière, vous aspiraient les jambes, vous comprimaient les épaules.
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