Comédie du Livre 2012 - Le dimanche 03 juin 2012 au Centre Rabelais
avec Jonathan Coe et Pascal Arnaud
Animé par Vanessa Guignery (traductrice de B.S. Johnson)
En début d'un match, toujours cette excitation, c'est bien le seul moment d'ailleurs, l'impression qu'on va assister au match du siècle, le match au cours duquel le record de dix buts de Payne va être battu, au cours duquel Hughie Gallacher, après avoir été poussé au sol, marque un but de la tête dans sa chute, au cours duquel l'extraordinaire se produit, un truc incroyable quoi, le match dont on se souvient et dont on parle des années plus tard, le reste de sa vie.
Tout le monde emmerde tout le monde, ca arrive tout le temps, sa mort me fait culpabiliser, j'aurais dû accorder toute sa valeur à chacun de ses mots, peu importe le sujet de conversation.
Ses joues au teint cireux, on dirait qu'elles s 'écroulent, des os saillants, et ses gencives rétractées et même resserrées je dirais, les dents déchaussées quand il bâille, obligé, sa bouche, oui, cette bouche autrefois tellement charnue, comme le reste du visage, oui et qui croule maintenant, qui s'écroule, les lunettes en était bien avec leurs montures épaisses, l'unique repère, cette bouche ouverte comme un cri que l'on contrôle, un cri muet, la tête encore animée de légers mouvements, la salive blanche, sèche et visqueuse, les dernières sécrétions de ces glandes harcelées, cautérisées dans leur déficience, cette bouche qui ne se ferme plus que pour avaler une gorgée d'eau dans le verre posé près du lit,
"Quel que soit le point de vue adopté, quelqu'un devra s'occuper de ce que vous laissez derrière vous et, en tant qu'institution hautement démocratique, nous vous offrons la possibilité de choisir, pour vous, entre enterrement, crémation, bain d'acide, exposition dans les landes lointaines, la liste n'est point exhaustive."
Aucune réponse. Comme toujours.
Je les refilerai aux pompes funèbres, et ils pourront bien en faire de la chair à pâté, ça m'est égal.
Et dans la manière de montrer la dégénérescence et la destruction arbitraire que le cancer inflige au corps, « Les Malchanceux » apparaît aussi comme un texte contemporain presque surnaturel, en ce sens qu’il anticipe les récits de maladie glaçants mais courageux qui dernièrement ont rencontré un succès d’estime mérité. À son époque, le livre inclassable de Johnson (récit, roman, peu importe l’étiquette !) n’avait reçu qu’un accueil mitigé, teinté d’un mépris à peine déguisé pour sa prétention à l’originalité. Aujourd’hui, j’espère qu’il ne sera plus seulement vu comme un rejeton excentrique issu de la vogue expérimentale des années 60. C’est un livre unique et merveilleux, un classique de son temps, et du nôtre. (Jonathan Coe, Préface, 1999)
Un panneau qui indique Castle Boulevard, oui, ça y est, ça me revient maintenant, les rues sont des boulevards, c’est comme ça qu’ils les appellent, dans cette ville, enfin certaines rues je veux dire, et c’est dans l’une de ces rues que se trouve l’université, University Boulevard, rien de plus logique. Et le château, bien sûr, oui, unique en son genre, là-haut, perché sur son bout de rocher, du grès, si je me trompe pas, jaune, pâle, friable, avec ce pub en bas, à ses pieds, et ses pièces creusées dans la roche, elle est est si tendre, et toutes les caves, elles servaient encore d’habitations y a pas si longtemps, jusqu’à la fin du dix-neuvième je crois, c’est ce que Tony m’avait raconté, son esprit était fabuleux pour ce genre de futilités historiques, mais ce n’est pas le bon terme, non, détail ne va pas non plus, futilités pour moi peut-être, mais pour lui importantes, ou dignes d’être mentionnées, puisqu’elles sont importantes, ce dont je doute, en ce qui me concerne, en tout cas, son esprit était fabuleux pour ce genre de détails, il les entassait comme on le fait des documents aux archives publiques, oui, voilà, j’ai trouvé une bonne image, un peu fcile peut-être, en tout cas, son esprit, il était presque aussi pragmatique, ordonné, contrairement au mien, erratique, capable de disjoncter à tout bout de champ, soumis aux à-coups des associations d’idées, des dissociations et des répétitions, alors que sa pensée s’écoulait en un flux régulier, articulé de manière logique, un flot constant, tout en retenue, savoir, connaissances, informations, mais un peu lent peut-être, dans certains cas, cela dit, cette façon d’étreindre la conversation, il faudrait que je trouve une image pour la décrire, non, ça vient pas. Mes visites, c’étaient de longues discussions interrompues par nos repas, mais je généralise, la plupart du temps, c’était lui qui parlait, moi j’étais le bon élève, je faisais le tri et je choisissais ce qui m’intéressait, ce qui était nécessaire pour moi, nécessaire à l’époque, dans son discours, oui, c’est bien le bon terme, discours, j’exagère pas, son esprit était raffiné, son besoin de communiquer s’incarnait dans son discours, c’est vrai, par où je vais commencer, comment cire ce qu’il était, sa désintégration ?
Ce que vous ne saisissez point, je pense, mes amis, est que ce que nous imaginons qu'ils désirent pour eux-mêmes n'est pas réellement ce qu'ils désirent. Je ne sais pas non plus ce qu'ils désirent. Mais je sais pertinemment qu'ils ne sont pas comme nous, par conséquent et par définition, ils ne désirent pas ce que nous désirons.
Comment peut-on savoir ce que quelqu'un d'autre désire vraiment ?
Et les lychees, Wendy avait détesté les lychees, c’était dans ce restau aussi, c’était la première fois qu’elle en mangeait, elle avait un côté assez provincial, un peu nunuche dans son genre, si l’on peut dire, à cette époque, elle avait dit que ça avait le goût du coton trempé dans l’alcool, n’importe quoi, j’espère qu’à l’époque, je m’étais pas privé de lui faire remarquer l’étrangeté de ses habitudes culinaires pour oser faire une telle comparaison, ça m’étonnerait pas que j’ai dit ça, j’ai pas pu rater ça. Aujourd’hui, je n’ai plus mal, quand je pense à elle, quand je pense à Wendy, dans cette ville, plus besoin de picoler pour noyer cette dépression amère, aujourd’hui, je bois pour le plaisir, je bois parce que j’aime l’alcool, le goût que ça a, ici et maintenant, dans cette ville, la ville que je connais.
Oh ! Les plaisirs de la vie sont grands,
A quatre-vingts comme à cent ans Avec entrain restons toujours
Et acclamons ce nouveau jour
Abandonnons avenir, passé
L'important c'est notre liberté
Oh ! Les plaisirs de la vie sont grand A quatre-vingts comme à cent ans
Mais je la connais cette ville ! Le vert, c’est bien cette salle des guichets, et ce long bureau en demi-cercle, cette claire-voie ironique, les carreaux de faïence bruns, et verts en-dessous, rien n’a changé, même ces poutres martelées, purement décoratives, elles ne soutiennent rien, enfin au-dessus ! Je la connais cette ville ! Comment n’ai-je pas compris lorsqu’il m’a dit, Allez, tu couvres City, cette semaine, qu’il s’agissait de cette ville ?