Citations de Caroline Michel (91)
Moi aussi, j'ai de la peine, de la peine de constater que nous avons été et que nous ne sommes plus.
je me prendrais pour une fille belle et forte, capable de faire flancher en un regard l'homme de sa vie, parce que oui, l'amour peut se retrouver des années après, on met les mains dedans et on déterre, on remet tout sur le tapis et on se roule dedans, ah l'amour, c'est tout nous.
Vincent poursuit la conversation, dévie sur les sentiments que Nicolas a toujours éprouvés pour Avril, sur cette fidélité dont il a fait preuve, à cinq ans il était amoureux, à dix ans aussi, à dix-huit ans aussi, jamais il n’a cessé d’y croire, sans relâche il a pensé qu’Avril serait la femme de sa vie, et aujourd’hui, c’est d’autant plus beau de constater qu’il avait raison. Me revient cette scène, scène que je n’ai pas vécue et à laquelle je n’ai pas participé – ou seulement dans l’esprit de Nicolas.
J’ai découvert, lors du premier cours, que je pouvais me mettre à pleurer pour un rien, ou disons pour autre chose que Vincent. Ce rien, c’était le schéma du cœur qu’un prof dessinait sur le tableau avec des craies de couleur. C’était magnifique, du grand art, et moi j’essayais de recopier son chef-d’œuvre à toute vitesse sur mes feuilles blanches, mais c’était impossible, je n’y arrivais pas, je ne voyais rien, je griffonnais n’importe quoi, je me disais que j’étais foutue, que c’était le pire choix de ma vie. Si c’était ça, devenir adulte, j’étais prête à passer mon tour. Le soir venu, je n’avais qu’une envie, appeler mes parents, leur demander de venir me récupérer.
De nombreux silences s’infiltrent dans notre conversation, comme si nous avions besoin de reprendre notre souffle, comme si l’instant était beaucoup trop lourd de sens pour le salir de propos décousus.
Je ne me suis pas lavé les dents depuis quoi, sept heures. J’ai dans la bouche un goût de sandwich et de café noir. Ma langue roule contre mes gencives et des restes de mie. J’esquisse un sourire coincé, fermé, poli, qui signifie que moi aussi je suis ravie de te voir, Monique, même si je ne sais pas quoi te dire. J’ai un problème avec les cousines éloignées, les tantes par alliance, les sœurs de la tatie de la grand-mère, tous ces gens qui me connaissent et que je ne connais pas vraiment, qui sont toujours là, à toutes les sauteries familiales – enfin, surtout aux enterrements –, tous ces gens qui portent le même visage et le même manteau depuis trente ans, et qui, par le plus grand des mystères et sans exception, m’ont tous langée un jour ou l’autre.
Monique, comme beaucoup d’autres Monique de la famille Dijon, arbore des cheveux courts aux reflets automnaux. Elle était comme ça quand je suis née, et j’ai cette pensée gênante qu’elle sera toujours comme ça quand je mourrai.
Alors, oui, j’aimerais savoir ce que tu penses, savoir si mon corps se dessine sur les murs quand tu t’endors, savoir si l’enfance te poursuit quand tu travers un bois ou retourne une crêpe, savoir si nos impossibles adieux te laissent un drôle de goût et si parfois tu regrettes un peu nos chemins. Regrettes-tu un peu nos chemins ?
Dehors, la guitare traçait sa route et nous n’allions pas à son rythme. Ce soir-là, j’avais dis-sept ans. Un semblant d’orgasme et le mal d’amour. Et tout ne faisait que commencer. Ou se terminer. Jolie petite histoire.
Avril inspire très fort et harponne mon regard. Elle sait que je sais. Je sais qu’elle sait que je sais. Nous savons les souvenirs et les nouveaux voisins, et puis les trente années passées depuis.
Nous rions tous les trois, nerveusement pour ma part, le mariage le plus éprouvant de ma vie, désolée d’avoir eu seize ans ce soir, et tous les deux ajoutent que l'amour nous donne parfois l'impression de ne jamais grandir mais il y a de grandes chances pour que ce soit l'inverse. On a toujours seize ans, on a toujours nos journaux intimes criants de vérité au fond du cœur, on a toujours nos premières amours en ligne de mire et la peur de vieillir. C'est aussi la peur de vieillir, et sans doute celle de l'avenir, qui nous ramènent à hier avec autant d'énergie.
Peut-être que les amours de jeunesse s’évaporent quand les amours d’adultes ne rigolent plus.
Alors je les secouerais, je leur dirais que le temps n’est pas si sûr, que nous le prenons toujours pour se quitter, pas assez pour s’aimer.
...l'amour nous donne parfois l'impression de ne jamais grandir mais [...] il y a de grandes chances pour que ce soit l'inverse.
Les années sont douées, elle reconfigurent nos amours.
... autant les chagrins d'amour sont plus faciles à vivre quand on sait qu'il y en aura d'autres, autant le premier paraît éternel.
On ne mesure pas toujours les dommages collatéraux d'une séparation amoureuse, non plus le baume qu'une jolie histoire tartine sur nos proches.
Je suis tombée amoureuse de Vincent Schneider quelque part entre l'enfance et l'adolescence, cette période où j'avais des envies d'être grande, de traîner en bande et d'enfiler des pantalons pattes d'éléphant. Je ne voulais plus m'habiller à la Halle aux vêtements, je faisais des crises à ma mère. Je portais mon sac à dos sur une épaule, j'appelais mon instituteur "mon prof" et je collectionnais les magazines pour jeunes filles.
Toujours est-il que, depuis Vincent, j'ai vécu plusieurs histoires d'amour, des petites, des grandes, des fortes et des sans-titre. Toutes sont ponctuées de dates. Je situe le début, le jour particulier d'une remise en question ou celui d'une rupture. Je sais les détails, les fringues que je portais, les métros que j'occupais et la saison qui flottait. Mes relations s'inscrivent dans un calendrier. Mais Vincent n'est nulle part, parce qu'il est partout. Un peu ici, un peu là, de mes cinq à mes vingt-trois ans.
[...] parce que la vie, quand on y pense, c'est plus pétillant que le champagne.
(Julio Iglesias)