Citations de Carolyn Steel (39)
Par conséquent, ces splendides pêches qui nous font de l'œil avec leur teint avenant s'avèrent dures comme des boulets de canon et pourrissent aussitôt sans passer par la case "maturité". Arrachées prématurément à leur branche, elles sont victimes de notre désir d'aliments déconnectés de la nature; exempts de la moindre cicatrice trahissant le fait qu'elles n'avaient jamais vécu.
L'insatiable besoin de sucre était en passe de transformer Londres et la Grande-Bretagne en la première société de consommation. Avec le trio café-thé-cacao, il suscita un désir enivrant qui brouilla la frontière entre luxe et besoin.
L'un des premiers témoins de ce phénomène, Daniel Defoe vit que le monde autour de lui changeait. Mais il fallu attendre un demi-siècle avant que les événements décrits par lui ne fussent reconnus comme un ordre économique totalement nouveau ; le début d'une soif qui ne pourrait jamais être satisfaite. p121
Désormais, la plupart des étapes de l'industrie agro-alimentaire font appel au pétrole, depuis les machines agricoles et la fabrication des engrais et pesticides jusqu'à la conservation des produits finis en passant par la transformation et le transport des aliments. Environ quatre barils par an sont nécessaires pour nourrir chaque britannique ; près du double pour chaque américain. En réalité, nous mangeons du pétrole. p73 (donnée de 2007)
Ces tas d'ordures du coin des bornes, ces tombereaux de boue cahotés la nuit dans les rues, ces affreux tonneaux de la voirie, ces fétides écoulements de fanges souterraines que le pavé vous cache, savez-vous ce que c'est ? C'est de la prairie en fleur, c'est de l'herbe verte, c'est du serpolet et du thym et de la sauge, c'est du gibier, c'est du bétail, c'est le mugissement satisfait des grands bœufs le soir, c'est du foin odorant, c'est du blé doré, c'est du pain du pain sur votre table, c'est du sang chaud dans vos veines, c'est de la santé, c'est de la joie, c'est la vie. (Citation de Victor Hugo - Les misérables - p249). Cité p 374
Contrairement aux marchés et plein air, où le bradage des invendus en fin de journée fait partie du spectacle, les supermarchés s'efforcent de donner l'illusion d'une fraicheur uniforme et sans tâche. p362
La plupart des aliments que nous mangerons la semaine prochaine ne sont pas encore arrivés dans notre pays. Venant des quatre coins du monde, notre nourriture arrive "juste à temps" - système qui n'est guère conçu pour faire face à une crise soudaine. p139
Ainsi, lorsqu'il s'avère, par exemple, que 81% du bœuf américain est dans les mains de quatre géants de la transformation alimentaire, qui élève la moitié du bétail des États-Unis, qu'advient-il du consommateur de hamburger ? Et les regroupements au sein du secteur alimentaire ne se limitent pas à l'Amérique du Nord : 85 % du marché mondial du thé est contrôlé seulement par trois entreprises, tandis que cinq sociétés contrôlent 90 % du marché mondial du blé. Adam Smith doit se retourner dans sa tombe. p134
En apparence, l'industrie moderne semble avoir résolu le problème de l'approvisionnement alimentaire. Au lieu d'attendre anxieusement sur le quai que le bateau arrive, nous disposons de tant de nourriture dans nos villes occidentales que nous risquons davantage de mourir d'obésité que de faim. Les supermarchés nous abreuvent de promotions "1 acheté = 1 gratuit", et une fois dans nos placards, les aliments semblent ne devoir jamais s'abîmer. Qu'est-ce qui pourrait mal tourner ? Pour faire court, la réponse est : à peu près tout.
Un rapide calcul vous montre que ces plats en kit pas tout à fait prêts sont le nirvanas des supermarchés : de la "valeur ajoutée" atteignant le plus haut degré du ridicule. Payer quelqu'un pour cuisiner à votre place est une chose, mais le payer pour poser un blanc de poulet à côté d'un brin de thym ? C'est complètement loufoque.
Si les fast-food fonctionnent, c'est parce que l'affluence procure un sentiment de sécurité. Nous avons l'impression de ne pas manger seuls. Dans l'anonymat de la ville postindustrielle, ils satisfont le plus ancien instinct de l'homme : le sentiment d'appartenance et de sécurité que procure le fait de partager sa nourriture avec les autres.
Les supermarchés adorent nous persuader que nous n'avons pas le temps de cuisiner. Mais c'est absurde, évidemment. Nous n'avons jamais eu autant de temps libre qu'aujourd'hui; nos préférons juste le consacrer à d'autres activités.
Désormais, elles vivaient en ville et travaillaient pour gagner leur vie, tout en étant censées chaque soir préparer un bon repas pour leur mari. Le terrain était prêt pour l'instauration de l'un des plus grands mythes du XXe siècle, celui de la parfaite ménagère, qui fut le produit non pas de l'imagination d'un peintre, mais d'un art plus puissant encore : la publicité.
Le secteur alimentaire est extrêmement cachotier. Nous vivons dans l'ignorance des efforts qui, jour et nuit, permettent à nos lasagnes d'arriver, et cela lui convient à merveille.
L'une des raisons pour lesquelles il est difficile d'avoir conscience des efforts que nécessitent l'alimentation d'une ville, c'est l'invisibilité pure et simple du processus.
Au lieu des cochons et des poulets dans les cours, il y aurait des parcs et des jardins paysagers : des souvenirs stériles du monde naturel, destinés à ranimer les anciens fantasmes pastoraux.
Durant ce que l'historien Donald Reid a appelé un "âge d'or d'écologie urbaine", très peu de choses finissaient à la décharge -d'ailleurs plus une ville empestait, plus elle était jugée riche.- Les restes de nourriture étaient engloutis par les cochons ; les excréments humains et animaux étaient recueillis pour servir de fumier ; l'urine et les excréments fermentés étaient essentiels à divers processus artisanaux tels que la teinture et la fabrication du papier. Les rares ordures qui ne pouvaient être employées étaient soit jetées directement à la rivière , soit portées dans les décharges à l'extérieur de la ville. En théorie du moins. Dans la pratique, la plupart des habitants se contentaient de jeter leurs détritus dans la rue -habitude qui, du moins dans les villes de petite taille, n'était pas si antisociale qu'il y paraît, car la plupart des de ces déchets étaient récupérés et réemployés.
Reste à découvrir à quoi pourrait ressembler une culture alimentaire postindustrielle locale et forte, et le moment n'a jamais été aussi propice.
Si nous voulons une planète magnifique - ou ne serait-ce qu'une planète capable de maintenir l'homme en vie -, nous avons intérêt à changer notre façon de manger. p415
Comme tous les visionnaires, Le Corbusier et Wright excellèrent à constater ce qui ne tournait pas rond dans notre monde,aïs beaucoup moins à trouver des solutions. Ils virent que la civilisation urbaine soulevait un certain nombre de grandes questions. En revanche, ils ne virent pas que celles-ci n'ont pas toujours de grandes réponses. Parfois, les questions elles-mêmes doivent être décomposées ou envisagées de manière différente. p410
Notre peur de la saleté est liée à nos peurs les plus profondes concernant la vie elle-même. Depuis plus d'un siècle en Occident, les aliments que nous consommons, tout comme les espaces que nous habitons, ont été conçus pour éliminer toute évocation de notre propre mortalité. [...] Nous repoussons nos propres déchets parce qu'ils nous rappellent trop ce que nous sommes. p357-358