Citations de Catherine Enjolet (58)
À moi ! À l'aide ! Dire non. Juste, j'veux pas. J'peux plus. C'est l'odeur du tabac d'abord qui annonce la menace. Ça sent l'haleine et la sueur. L'odeur d'homme qui écoeure. Le souffle court approche. Sans bouger, sans crier, je sens déjà la barbe repoussante qui pique, qui frotte, brûle à feu et à sang. Les mains glissent, se baladent. Lèvres molles et mots baveux dégoûtent. J'étouffe. Les doigts partout mettent la tête, le ciel et la terre à l'envers. Je ne vois plus clair. Personne pour entendre. Rien. Personne pour comprendre.
je n'irai pas jusqu'à dire comme Lilicrapota : illisible
mais il est vrai que c'est une déception
histoire assez banale
Ma mère et moi. Ensemble. On joue. On vit. On shoote dans les feuilles mortes. Ma mère et moi, on traverse le square face au bar où je l'ai attendue après son travail. Parfum d'automne et merle chanteur du soir. Je retiens mon souffle. Fragile, ce moment-là. Toutes les deux, seules, elle dit « c'est rare ». Peut-être même alors qu'on rit. Ça et là, dans le silence du square vide, j'entends nos voix. Elle marche à côté de moi et je me tiens droite. Ma main frôle la sienne, j'ai des impressions de bonheur plein la tête. On dirait...Une maman, presque.
Demain ? Un pied devant l'autre, c'est le grand défi de la famille. L'avenir ? Juste tenir sur le fil de la vie. Ma grand-mère soupire ; si elle n'avait pas connu de revers de fortune ! Si seulement son viveur de mari n'avait pas fait faillite ! L'horizon, ce n'est pas pour tout le monde. Le futur ? Une arnaque. Mieux vaut le conditionnel. Moins arrogant. (...) Ce que je voudrais faire plus tard ? Je n'ose pas le dire. Ma mère affirme qu'il suffit de vouloir quelque chose pour que le contraire arrive. Demain ? Faut pas y croire...Moi, je ne veux rien...Promis ! Pas vivre. Pas mourir. Rien. Merci.
La prof peut se lamenter. Tempêter. J'ai pris le large. J'ai lâché le livre. J'écris dans ma tête. J'attrape les mots. Je m'en gave. Le « poison » ne m'aura pas. J'ai des réserves de mots à moi. J'écris, vite. Pour tenir. Sur mes papiers. Sur ma table. Sur l'ardoise du ciel comme sur les trottoirs. Sur la buée des vitres. Je grave sur le bois des arbres. Je trace les mots sur le sable du square (…) Toi, là-haut, je sais que tu peux lire. Je lâche les mots comme des ballons jusqu'à toi. Attrape ! C'est pour toi. Mots à la clé. C'est parti. J'avance sur les lignes comme sur un fil. Je plane. Haut, toujours plus haut. Vers toi, Papa.
Elle n'a pas voulu, non plus, relire les chefs-d'œuvre des programmes scolaires, elle laisse faire, ne veut croire qu'aux livres qui tombent sous la main, ceux dont les mots vous cherchent, vous lisent, ligne à ligne, ceux - si elle était écrivain - qu'elle aurait aimé écrire.
Les nuages ont des visages, je te reconnais entre mille là-haut, facile, c'est toi le plus beau.
Le mal-dit, le non-dit. Se taire, c'est non-assistance à soi-même. C'est s'enfermer dans la pire des prisons, celle qui vous retient victime et bourreau à la fois. Il n'y a pas de pire violence, pire torture émotionnelle. Le silence condamne à la souffrance...La souffrance au malheur...(p.69)
Je voudrais Annie près de moi pour qu'elle bavarde. Vite. J'ai besoin de sa voix. À côté d'elle, je reprends souffle quand elle raconte, je respire, tout à coup. Je m'étourdis de ses parfums de muguet. Elle a des rêves plein les yeux, ma copine. Des demains. Elle crayonne des projets. Dessine l'avenir. Elle gomme, décide. Je voudrais être belle comme elle se voit, et me regarder comme elle dans une glace.
Elle s'en persuade, Nénette ; atténuer le réel, c'est une bienveillance du ciel. Elle les voit encore trop bien, autour d'elle, les fatigués, les usés, les abîmés, les cassés ; tous ceux qui portent les marques de la cour des Miracles...Le besoin, la gêne, ça rend tout le monde pareil. Ça donne la même couleur aux gens. On se connaît, on se reconnaît. On reste entre soi. On se protège.
Le déni mène à l'autobarbarie, au crime invisible de non assistance à soi-même. (p.84)
J'expérimente le mécanisme de l'existence.
La grâce est dans la simplicité.
J'avance sur les lignes comme sur un fil.
On a les rêves de son réel.
...on est ce que l'on cache. Les symptômes ne disent rien d'autre. Le silence est le royaume des maux. (p.87)
Les brumes reviennent. J’avance à découvert. En remontant vers la cour des miracles, c’est l’Ombre de nouveau qui se profile et menace. Je tremble.
-D’où tu viens ?
Je baisse la tête. Je me tais. Je trahis, c’est clair. J’ai peur de payer. De restituer l’instant volé. Bonheur indu, taxé. Je me rends… Je reprends le malheur gratuit, à volonté.
Quel âge j'ai? Pas l'âge de mon corps. Pas l'âge de ma tête. Pas l'âge que j'ai. L'âge qu'on me donne. Voilà. Je sais tout, sans savoir. Pas née d'hier.
J'ai l'habitude de mourir. C'est la vie. Je garde toujours le sourire.
Ma vie commence par la mort. Enfin, par son combat.
Diablerie qui fait que ce sont les proches qui se plaignent tandis que le patient se tait !