Citations de Cédric Herrou (61)
L'envoyé de la préfecture, qui semble tout droit sorti de la pouponnière, est une vraie tête à claques. Sans émotion, un disque dur, une machine formée à l'ENA, prête à exécuter un programme de manière mécanique et efficace. Pas d'états d'âme. Quelques mois plus tard, François-Xavier Lauch deviendra chef de cabinet d'Emmanuel Macron à l’Élysée, supérieur hiérarchique d'Alexandre Benalla, puis sera promu Préfet - l'un des plus jeunes préfets de l'histoire...
Je leur explique comment les procédures illégales de l’État nous poussent à certaines actions, comme cette occupation. Puis, profitant de l'accès direct à de hauts responsables, j'aligne les questions. Comment procéder quand les gamins et adultes arrivent chez moi ? Comment protéger leur intégrité physique et morale ? Qui considérera leur demande d'asile, qui obligera le département à prendre en charge les mineurs non accompagnés ?
La droite extrême adore les étrangers, c'est son fonds de commerce. Il suffit d'examiner la communication d’Éric Ciotti : une farandole de faits divers perpétrés dans les quartiers ou zones populaires par des personnes a priori d'origine étrangère (en réalité souvent françaises). Mais est-il directement confronté aux étranges ? Non. Il existe, car ils existent. Il en tire un commerce électoraliste, le commerce de la peur.
Dans la Roya, la délation était devenue un sport local. La population était en masse du côté de la police. Je sentais sur moi des regards emplis de haine, et les discours racistes se concrétisaient par des actes d’État. Les policiers ne contrôlaient que les Noirs, ils ne cherchaient ni armes, ni explosifs. Les Noirs, toujours les Noirs. La chasse aux Noirs était ouverte. Jamais je ne m'habituerais à cette traque frénétique. Comment détester autant une couleur de peau, jusqu'à ne plus ressentir la détresse d'un enfant ? Décidément, j'avais honte d'être de ce monde. J'aurais voulu crever pour ne plus voir ça.
À force d'être stigmatisé comme voleur ou violent, on le devient facilement. À rebours de leurs parents, ultra-reconnaissants d'avoir été acceptés par la France, les enfants avaient la rage, et ils avaient raison.
La fermeture de la frontière sert surtout un objectif de communication dans la « lutte contre l'immigration illégale ». Le préfet clame régulièrement qu'il renvoie en Italie des milliers de personnes, mais son décompte est faux : il « éloigne » plusieurs fois les mêmes migrants, qui retentent leur chance jusqu'à ce qu'ils réussissent à passer. Au lieu d'affaiblir l'extrême droite, comme le prétend le gouvernement, cette politique la renforce. En gonflant les chiffres, elle fait croire qu'il y a une « crise des migrants », alors qu'il s'agit d'une crise de l'accueil : on ne veut pas l'organiser, bien que le droit international et les conventions nous y obligent.
Comment expliquer à un enfant que sa couleur de peau doit être dissimulée ? Que le pays dans lequel il grandira et construira ses amours, sa profession, sa famille, n'a pas voulu de lui à cause de sa couleur de peau ? Dans la Roya, l’État terrorise.
À cette époque, j'ignorais tout du droit d'asile, de l’Érythrée ou encore du Soudan. La Libye, je connaissais grâce à Sarkozy et à son cher ami Kadhafi, mais sans plus. Je ne suis pas historien ni géographe, encore moins politicien, mais je vivais dans cette vallée depuis treize ans, et voir ces frontières renaître de leurs cendres m'interrogeait. Comment la libre circulation des personnes pouvait-elle être ainsi entravée dans l'espace Schengen ? Pourquoi la France restait-elle insensible au sort de ces gens ? La gestion étatique de cette situation me semblait irresponsable. Comment pouvaient-ils, depuis Paris, décider que la Roya serait sacrifiée, et ces migrants abandonnés ?
Maintenant, je n’avais plus peur de la prison ni de prendre des risques. Je leur ferais la guerre, mais à ma manière, les insultant avec le sourire, les provoquant quitte à finir en procès. Même si cela peut paraître excessif, ils étaient pour moi les assassins de Milet, et je voulais la venger. Si je devais aller en prison, j’irais la tête haute, ne me cacherais pas, ne fuirais pas. Je les attendrais dans mon canapé en cuir troué et délavé qui pourrissait sur la terrasse. Le café serait prêt, je leur offrirais avec plaisir : on est des gens civilisés, pas des sauvages.
Certains prétendent que ces gens migrent pour les allocs, le RSA, pour profiter du système français. Mais, au moment où ils prennent la route, ils ne connaissent pas le droit d’asile, la CMU ni le RSA. Et qui risquerait sa vie pour trois cent cinquante euros par mois ?
Ils voulaient rejoindre Paris pour demander des papiers, car chez eux c’était la guerre. Pourquoi ne pouvaient-ils pas le faire à la frontière ? Ce serait plus simple.
Le destin est inerte, car déjà tracé. Croire en une destinée et en un chemin unique, c’est effacer son intuition, se rendre irresponsable. Je suis persuadé au contraire qu’il existe des milliers de chemins possibles.
L’homme qui use de la terreur est condamné à la terreur. Le changement réel, lui, est acté par le pardon.
Les grands prêtres de la machine néo-libérale ne sont pas les seuls responsables de la débâcle. On acquiert une bagnole, des chaussures, un sac ou un slip comme un junkie se jette sur une dose avant la suivante. Les dieux du super-pouvoir d’achat nous ont convaincu que, pour sortir du trou, il faut creuser, creuser encore, alors qu’il suffirait de s’arrêter et d’apprécier ce à quoi nous tournons le dos.
Moi qui n'ai jamais respecté aucune règle, je comprends désormais leur importance. La vie en groupe impose un cadre à l'intérieur duquel chacun peut évoluer. p.246
Les frontières, je ne souhaite pas les dynamiter, juste questionner leur sens. SI elles protègent les personnes et les droits sociaux, j'y suis favorable. Si elles blessent la dignité humaine, je les combats. p.256
Nous asservissons la terre et les hommes, nous insultons ce monde avec arrogance. Trop facile de critiquer les prédateurs, ces 2% d'individus qui détiennent 50% des richesses. Nous les avons encouragés avec notre argent, notre unique pouvoir. Continuer à le leur donner ne sert qu'à les flatter.
De plus en plus, la solidarité constituait un délit aux yeux de la justice. Les citoyens qui portaient secours à leurs prochains étaient considérés comme des ennemis de la République, des fauteurs de trouble. Au nom d'une sécurité fantasmée. Nous, citoyens de la frontière, devions sacrifier notre bout de territoire pour que le reste du pays ignore la réalité. Pour que les misères, les dictatures et les guerres ne résonnent pas dans les salons via la radio ou la télé
À l'école, on n'apprend pas l'intuition, on la détruit.
L’accueil repose sur le pragmatisme, pas sur la bien-pensance ou l’idéologie. Quant aux frontières, je ne souhaite pas les dynamiter, juste questionner leur sens. Si elles protègent les personnes et les droits sociaux, j’y suis favorable. Si elles blessent la dignité humaine, je les combats.
Quand on y réfléchit, c’est dingue. Le droit de propriété est davantage respecté que celui des individus. On peut bafouer le droit d’asile, mais on n’entre pas dans un espace privé. Si des réfugiés se trouvent sur ma propriété, les flics ne peuvent pas agir. S’ils sont dix centimètres à l’extérieur, ils sont aussitôt arrêtés et expulsés.