Les peurs ancestrales reviennent, des silhouettes inquiétantes grouillent dans les profondeurs, toute une vie embryonnnaire, où l'oeil n'avait plus accès, cherche à se faire jour. Plus les lecteurs cèdent aux récits fantastiques, plus le roman noir se veut terrifiant, offrant des débauches de squelettes, d'exécutions et de ténèbres. Mais si le domaine anglais propose de nombreux exemples de ces frayeurs imprimés, l'Allemagne est tout aussi friande d'histoires inquiétantes : elle est depuis longtemps la patrie des contes et légendes, la terre du fantastique, le pays de Faust et de ses démons. Les pionniers du romantisme allemand, du Sturn und Drang, avec Goethe, ont tous entendu l'appel de l'étrange, la voix des spectres, utilisant les traditions populaires pour leur donner une résonance nouvelle, cherchant dans le Moyen Age chrétien une explication au monde contemporain. Sous cette influence, les livres de Karl Gottob Cramer, Karl Grosse, Christian August Vulpius, ont forcé le trait insufflant aux récits un rythme excessif, chargé de descriptions où l'atroce se mêle au surnaturel.
Méchant Esprit
Ce manoir était depuis des siècles l'héritage de la famille de Westerbourg. d'illustres faits d'armes, de magnifiques tournois avaient rendu ce château célèbre, mais son nom n'était jamais prononcé qu'avec effroi : il passait, dans toute la contrée, pour être la demeure d'un être surnaturel qui se faisait un devoir de protéger ses murs et de garantir des loups et des voleurs les troupeaux qui en dépendaient.
Chapitre I
L'oeil souffrait en parcourant ces campagnes et n'avait pour se recréer que quelques espaces verdoyants où commençaient à poindre les semences nouvelles, faible image du réveil de la nature.
Que celui qui, dans un jour pareil, se promène aux champs sans se rappeler la mort à chaque pas se hâte de faire son testament, car elle viendra le saisir inopinément.
Chapitre VI
Chères enfants, prenez-y garde : que l'exemple de Jeanne vous serve de leçon. N'écoutez pas l'homme qui, pour un bienfait quelconque, vous demande un baiser, ne fût-ce qu'en badinant. Il ressemble au pêcheur qui présente des vermisseaux aux crédules habitants des ondes ; ils accourent pour les saisir...ils demeurent suspendus à l'hameçon perfide !
Chapitre XL
Le XIXeme siècle enterra Spiess, le XXeme l'oublia, et le XXIme l'a (presque) abandonné. Pourtant, ce Petit Pierre est "diablement" passionnant, et sa lecture, aujourd'hui, est toujours aussi savoureuse. ce récit pavé de bonnes intentions pose également de nombreuses questions. Le mythique moine de Lewis, publié deux ans après le livre de Spiess, possède plusieurs traits communs avec le Petit Pierre : présence satanique, tentation, désir érotique, rêve et cauchemar...Certes, le Moine reste l'apogée du roman noir, en compagnie du Melmoth de Maturin. Mais la liste des emprunts dont Lewis reconnaît l'existence se termine par cet aveu : "Voilà ma confession pleine et entière des plagias dont je me sais coupable; mais je ne doute pas qu'on en puisse découvrir bien d'autres dont, en ce moment, je n'ai pas le moindre soupçon."
Méchant Esprit
Lorsque l'aimable printemps revint épanouir tous les coeurs, lorsque les arbres commencèrent à se revêtir de feuillage, lorsque se ranima la nature entière, Rodolphe entendit chanter les oiseaux dans le prochain bocage ; il les vit s'ébattre devant sa fenêtre et jouir de leur douce existence ; chaque jour il trouvait à cette image un charme nouveau ; il ne pouvait plus résister à la voix de la liberté : il résolut de quitter sa prison et de se réjouir avec toute la nature. Pour ne pas affliger ses bienfaiteurs, il eut recours à l'hypocrisie et leur cacha son véritable dessein. Un jour, donc, abordant le père abbé, il le pria de l'entendre.
Chapitre L
Spiess est aujourd'hui totalement oublié, et ses oeuvres sont introuvables, même en allemand. Né à Freiberg, le 4 avril 1755, il commence très tôt une carrière d'acteur, tout en écrivant des pièces de théâtre dans le sillage des Brigands de Schiller. Il fait représenter à Vienne, en 1784, un drame dont il est l'auteur, Marie Stuart. fasciné par les contes et légendes germaniques, il compose une anthologie, le Volksbuch, où s'esquissent les trames de quelque-uns de ses livres. Poussé par la faim en 1788, il entre en qualité d'intendant au service du conte Kilnigi, à Betzdigau en Bohème. Il meurt presque fou, le 17 août 1799.
Méchant Esprit
C'était un de ces jours d'automne que l'on ne saurait peindre, où la nature semble dire adieu à ses admirateurs et se préparer au long repos de l'hiver. de légers nuages couvraient les cieux et formaient comme une crêpe devant le soleil ; des rayons isolés, se montrant quelquefois, éclairaient faiblement le paysage ; pas un zéphyr n'agitait les arbres de la forêt. Un vague murmure en interrompait seul le silence solennel, car les feuilles se détachaient sans cesse l'une après l'autre, de la branche qui jusqu'alors les avait fermement retenues dans les tempêtes et descendaient avec un léger frémissement.
Chapitre VI
Sous la personne de Pierre, disait le commentateur, sont représentées les passions humaines, principalement la volupté. elle est l'esprit qui porte l'homme à tous les vices, qui le conduit aux bords de l'abîme et l'y précipite.
Mathilde est le symbole de la religion, qui prévient les hommes des pièges de l'erreur, qui leur montre le véritable chemin du ciel. Mais comme ce chemin est épineux, étroit, escarpé et que le voyageur y rencontre des souffrances sans nombre, plusieurs s'en détournent et prennent un large sentier semé de fleurs qui les mène à l'enfer.
Chapitre LV
Cette fille se nommait Régine ; elle était belle, elle était faite pour inspirer l'amour et le sentir. Elle avait une taille élancée, des yeux noirs, un teint de lis, les plus longs cheveux qui flottèrent jamais sur les épaules d'une jeune fille. Le voile qui couvrait son sein trahissait les mouvements d'un coeur trop ému et toute sa personne commandait à la fois l'amour et le respect. Plusieurs chevaliers soupiraient pour Régine. Ils portaient ses couleurs, ils mendiaient ses ordres ; mais aucun n'avait encore triomphé de cette âme rebelle.
Chapitre II