Avec Diglee, Sophie Daull, Héloïse Luzzati, Laurianne Corneille & Marielou Jacquard
La poésie est loin de n'être qu'une affaire d'hommes ! Avec son anthologie très personnelle "Je serai le feu", Diglee nous emmène dans ce qui a été pour elle un voyage, une épiphanie : la découverte d'un matrimoine littéraire oublié et méconnu d'oeuvres de poétesses, principalement du 19e et 20e siècles. Cinquante femmes, devenues sa famille, dont elle exhume les écrits pour leur redonner une seconde vie.
À l'image de l'autrice, la violoncelliste Héloïse Luzzati est une « passeuse ». Avec l'association Elles women composers, regroupant un collectif d'artistes, elle travaille à la réhabilitation du matrimoine musical et à la diffusion des répertoires de compositrices invisibilisées, effacées de l'histoire
Il n'y avait donc qu'un pas pour réunir ces deux univers artistiques en une création originale et inédite réalisée pour la clôture du festival Hors limites 2021, qui a pris la forme d'une lecture musicale dessinée, hautement poétique.
Mis en scène, incarnés et incantés par la comédienne Sophie Daull pour lesquels elle prête sa voix, les vers des poétesses Anaïs Nin, Marie Nizet, Marceline Desbordes-Valmore, Louise de Vilmorin ou encore Claude de Burine (re)trouvent leur correspondance musicale.
Alternant entre duo ou trio, la violoncelliste Héloïse Luzzati, la pianiste Laurianne Corneille, et la chanteuse mezzo-soprano Marielou Jacquard jouent ces compositions inconnues de tou·te·s, sous la plume de Diglee qui, quant à elle, dessine en direct et redonne un visage à toutes ces poétesses injustement oubliées.
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Une coproduction de l'Association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis, les bibliothèques de Montreuil et Elles women composers
Une création réalisée dans le cadre du festival Hors limites 2022 et enregistrée à la bibliothèque Robert Desnos de Montreuil à partir de l'ouvrage "Je serai le feu" (La Ville brûle, 2021) de Diglee.
Captation vidéo : Wael Sghaier & Thomas Dudan
Production : Association Bibliothèques en Seine-Saint-Denis
Crédit photo d'illustration : Charlène Yves
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La poésie c'est un état. Une sorte de vagabondage. J'avais trois ans, quand un soir, je suis sortie seule. Pour essayer de ramener le clair de lune dans le seau à champagne de mes parents. La poésie, c'est ça.
I.
Sous la lumière bleue
Sous la lumière bleue de l’enfance,
Là où le parquet ciré
Sent le miel et le bleuet
Où l’œillet blanc garde son goût
De vanille et de poivre,
Tu avais la voix
Qui lançait les trains, les navires,
Faisait glisser la barque,
Les péniches au ventre noir
Comme l’exil,
Filer les canards gris
Quand les roseaux étaient des couteaux de nacre
Entre les mains du gel.
Quand venait la nuit
Ta voix allumait les feux des bateaux
Qui vont vers les îles
Et tu partais,
Me laissais les yeux vides de l’absence.
Il disait
Il disait
Qu'il avait besoin
D'une présence
Plus silencieuse qu'une lampe
Qu'il attendait debout
Dans la prairie des larmes
Vêtu de la dépouille d'un chêne
Car il était l'envoyé des rois
Il disait
Que rien n'était digne
Qu'il lui fallait entrer
Dans la démence
Qu'à la fin
Il ne pouvait être
Le regard
Le temps du silence
Qu'il lui fallait
La main de l'aube
Contre le front glacé des vitres
Pour que se fanent les adieux.
Il n'avait qu'à toucher de la main
Toucher de sa main de printemps
Les paupières fragiles des sources
Pour que s'ouvre
La terre promise des cils
Où l'ombre est bleue
Sur la terre
On se serait couché,
Avec ses mains
Sur sa bouche
On se serait couché
Il était
La voix qui parlait des fontaines
Du rendez-vous manqué
Avec la nappe blanche
Il était le temps d'avoir quinze ans
De se perdre
Quand éclaterait le pas de l'Intendant.
Publié dans l'Anthologie « Huit siècles de Poésie Féminine » de Jeanine Moulin (1963)
Montagne
Peut-être
Qu'en se mettant
En face
En face du soleil
Dans la merveille du sang
Pourrons-nous
Traverser la nuit
Pourrons-nous écrire
les mots les plus simples
Comme quelqu'un
Qui met ses sandales
Pour aller dans l'herbe.
Je ne demande plus que des miettes de soleil
Qui sur moi viendraient battre
Comme des cœurs d’oiseaux.
[...]
Pour faire chanter le monde
Sur ma bouche,
Entre mes lèvres qui savaient l’amour.
JE FUS CELLE
Je fus celle qui mangeait les hommes
Les allongeait sur les tables de pierre
Ne leur laissait à l'aube
Qu'un petit bonheur de feuilles
Qu'un frémissement aux tempes.
Toi, Tu es parti en novembre
Quand l'hiver roulait au loin
En avril,
Tu avais neigé dans mes mains.
TOUTE CETTE HISTOIRE…
Toute cette histoire au fond, qui prend fin, qui prend date sans nous
concerner ; les grands sapins qui furent neige, ce que l'on peut nommer,
je crois, d'émotion blanche, et qui ne s'achevait que dans le soir.
Toi, tu étais fait de soleil, tu étais fait de miel et d'enfance.
Est-ce que cela s'avoue, est-ce que cela se compte : les pas qui tremblent,
le regret, le silence et puis le désespoir ; dans un crépuscule qui n'en
finissait pas de t'attendre ?
Et
Pouvait-on parler de musique quand la fête aux gants rouges s'était
tellement ouverte sur ton épaule ?
À moins d'être la pierre, sommes-nous jamais assez vêtus pour l'ombre !
L'Ancien
J'habite des loques. J'ai un vêtement de ruines, mais j'entends encore la musique des dîners, je touche encore la soie d'argent des couverts.
(...)
Le tabac avait ce matin cette odeur de valse viennoise qu'on n'offre qu'aux vivants.
IL FAIT NOIR
Il fait noir
Sans toi
Dans la fête foraine des nuits
Toi l'évidence
Le blason qui dort
Contre le ventre doux des trembles
Où est le chemin
Qui portait ton nom
Où est
La résidence de ton corps
J'avais peur de parler
De prendre
Ton rire sur ma bouche
Tu venais
J'avais tout
Je connaissais
La fierté de tes jambes sur la terre
J'étais ce Seigneur
Et son regard
Sur les parcs au matin
La Cour
La cour de l’école est déserte, le cerisier noir.
Les cahiers sont rangés.
On a tué le dernier oiseau.
Dans l’île, la barque est tirée,
La musique éteinte.
Je t’attendais. Je mangeais tes pas.
J’étais l’attente. J’étais tes pas. J’étais la faim.
Tu ne passeras plus.
Je n’attendrais pas. J’attendrai.
Je serai la faim qui brûle.