Au Mans, le train ne s’arrête pas. J’y étais venue rencontrer Alain Mala, l’éditeur des éditions Cénomane qui publiera l’ouvrage l’an prochain. Là aussi, je m’étais trouvé en face d’un professionnel, un homme épris de son travail ; nous avions pu accorder nos souhaits pour ce livre à venir.
Le fait de me sentir partie prenante de l'univers : l'infini du ciel à travers les arbres au-dessus de moi, couché dans l'herbe, sur l'humus ou le sable
De même la fascination de la chose écrite que toute petite, je découvre dans le Larousse illustré
La nature et les livres, deux pôles de ma sensibilité ancrés très haut dans mon existence. L'amour, ce capital inaliénable, dont nous sommes entourés. De cette époque d'avant les morts reviennent, telle une marée des scènes vivaces. On pourrait doter chaque personne d'un attribut significatif à la manière des images d'Epinal.J'ai évoqué le banc sur lequel mon grand-père jouissait de son ouverture de journée dans une sorte de méditation initiale et pleine. Ce même banc en bois que j'aimais escalader et qui me laissait des échardes aux cuisses. Ce banc que le temps a décoloré, délité.
Je n’ai pas encore ouvert la bouche tandis qu‘elle parle sans arrêt, elle dit, elle raconte, elle reconstitue pour moi, pour elle aussi. Besoin de déchiffrer l’énigme.
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Je mesure le privilège de pouvoir m’y attacher, m’y attarder, alors que tant d’êtres sont aveuglés par le mal, la souffrance, le désespoir. J’aurais peur de les blesser, de paraitre artificielle ou inconsciente. Si je cherche ma voie, ce n’est pas pour m’écouter écrire, mais pour que nous nous entendions et que nous nous reconnaissions. Ce n’est pas facile. J’ai envie de vous écrire, mais, entre enfants, petits-enfants, amis, parents, inconnus qui surgissent, entre impromptus et déplacements, mon travail est en miette. Ma Célébration n’aura rien de triomphant. Les grandes orgues ne résonneront pas. J’ai un faible pour les fêtes plus intimes, les éloges à voix plus mesurée, le chant de ma petite fille qui fredonne tout en jouant à la dinette à mes côtés. Pas de cuivres, mais une musique de chambre, une célébration à la mesure de la vie, miraculeuse et modeste. Cette lettre que j’aurais voulue d’un seul élan, comme un trop-plein jailli du cœur, comme une phrase amicale et bien balancée, elle sera morcelée. Telles nos existences que nous tentons en vain d’organiser et qui s’émiettent comme le pain à donner aux oiseaux. Je vous écrirais chaque jour, je le promets, mais comme je le pourrai, tantôt à l’aube et tantôt entre 2 repas; près de mon amie malade ou dans la salle d’attente d’une gare, de ma maison de livres et d’amitié, d’un appartement surpeuplé au bord de la mer écumante ou à bord de la nuit. Une lettre pauvre, souvent mal fagotée ; avec des redites ; des mots ou fil du cœur et des yeux, mais qui, je le voudrais tant, vous toucheront là ou vous êtes. Je vous écris d’ici et de maintenant.
Mars 2014