Citations de Dan Turèll (43)
Il y a des moments dans la vie où il est plus sage de faire comme si de rien n'était, comme un enfant au cinéma qui se cache les yeux au moment des scènes qui font peur jusqu'à ce qu'il sente, à la musique, que le pire est passé.
C'était une de ces fins de journée où n'importe quel pékin normalement constitué choisit de rester chez lui, confortablement calé dans un fauteuil moelleux, un bouquin palpitant sur les genoux et un bon verre à portée de main .
Nous progressâmes lentement comme deux profanateurs de tombes, marchant du pas hésitant et compassé des pingouins, faisant halte tous les dix mètres à l'affût de bruits suspects, purs produits de notre imagination.
il est des jours qui, à l'instar de certains destins , semblent d'emblée voués à l'échec , marqués du sceau de la poisse ,promis à une fin tragique .
La dépression, ce n'est rien d'autre qu'une carence en sucre et en alcool de bonne qualité
Tandis que l'humanité œuvrait à sa propre destruction à grands renforts de bombes sophistiquées et meurtrières, il y avait, dans un troquet minable de Nørrebro, un crétin pour qui l'expulsion des travailleurs immigrés était la panacée universelle.
Dans ma tête se disputait une demi-douzaine de chinois qui n'étaient pas d'accord entre eux, et qui tentaient de faire valoir leur point de vue avec acharnement.
Je me mis de l'eau sur le front pour en faire taire trois ou quatre.
Seulement, il y a des gens qui naissent malheureux. Leur vie n'est qu'une longue souffrance. Ils n'ont jamais connu autre chose, est si d'aventure ils sont confrontés à une situation un tant soit peu différente, ils se barricadent dans leur scepticisme et refusent instinctivement de croire à leur bonne fortune.
C’était une de ces fins de journée où n’importe quel pékin normalement constitué choisit de rester chez lui, confortablement calé dans un fauteuil moelleux, un bouquin palpitant sur les genoux et un bon verre à portée de main.
Une rafle. […] Une fois les fourgons remplis, le gros de l’équipe s’y introduisit. Les véhicules firent demi-tour en direction du commissariat, simple excursion d’environ deux cent mètres. Un petit groupe de flics seulement resta sur place. J’y reconnus Kellermann. - Bonnes prises? demandai-je. Kellermann, bon enfant, rigola. - Bof, dit-il, c’est comme à la pêche. Il faut trier soigneusement le poisson pour se faire une idée de la valeur de ce qu’on a pris au hasard des filets. Certes, on trouve dans le lot quelques beaux morceaux qui passeront le soir même à la casserole. Mais aussi le menu fretin qu’il faudra se contenter de remettre à l’eau.
« C’était l’été. L’été à Copenhague. » Le soleil se montrait tel une prima donna vaniteuse et démodée, mais désireuse d’exhiber son talent. Les citadins réagissaient comme toujours quand (rarement) le soleil s’installait dans la ville d’ordinaire pluvieuse. Mus par une sorte d’instinct, ils s’abreuvaient aux oasis: les cafés. […] Et pour montrer leur reconnaissance, les Copenhagois modifiaient leur allure. Dix mois sur douze ils marchent d’un pas pressé, entre course et trot, un pas travaillé de façon à attraper son train, son bus ou sa voiture. Le phénomène disparait à la belle saison: le citadin flâne alors les mains dans les poches avec l’indolence des gens du Sud et en sifflotant une chanson idiote. Quelques uns vont jusqu’à contempler la ville et son architecture.
L’instrument détermine souvent le destin d’un musicien: les guitaristes sont des solistes égocentriques, les batteurs restent de joyeux potaches, les bassistes évoluent jusqu’à être de parfaits hommes de confiance, des collaborateurs dévoués, des administratifs.
C’était le rédacteur en chef remplaçant, Schnoor, qui avait entendu « certaines rumeurs » concernant un accident, voire un décès, en plein festival de jazz de Kultorvet, cet après-midi. Le rédacteur en chef remplaçant Schnoor aurait aimé savoir si j’étais sur le coup. Je lui expliquai avec un peu d’humeur que, non seulement j’étais sur le coup, mais que j’y étais jusqu’au cou.
Il faut avoir été journaliste pour comprendre. On vit une vie au jour le jour, ou plutôt: de deadline en deadline. Chaque jour, on court après une deadline qui ne fait que précéder la suivante. D’abord l’histoire: il s’est passé quelque chose. Vérifier rapidement, parler avec les gens. Que s’est-il passé? Puis un peu de mise en perspective: qu’est-ce que cela signifie et pour qui? Pour madame Larsen à Norrebro? Pour la Compagnie des Indes orientales? Pour le club de hockey sur glace de Brondby? Et encore: quelles conséquences? Que faut-il attendre maintenant?
« Schizophrène » est un mot très arrangeant. Un vrai mot magique, moderne et propre qui veut tout dire. « Schizophrène » signifie que le psychiatre n’en sait rien. Les tests de Rorschach du patient sont bons, et pourtant il bat sa femme et fait régulièrement un scandale au bureau. Donc il est - probablement - « schizophrène ». Cela doit être un métier formidable psychiatre. Une bonne paie, un joli bureau, une secrétaire - et on peut toujours sortir un mot compliqué et creux comme « schizophrène » s’il le faut. Un bon psychiatre vous diagnostique un schizophrène en moins de trente minutes.
C’est agréable de marcher. J’ai toujours bien aimé marcher - en toute innocence. Marcher est l’un des moteurs de mon existence, et ce depuis l’enfance. J’y trouve ce que d’autres trouvent par exemple dans la natation ou le saut en parachute. J’ai entendu des gens très convenables me dire comme ils se sentent bien, comme ils se sentent libres quand ils nagent le dos crawlé, jouent aux échecs ou courent tout autour de la piste d’athlétisme dans leurs vêtements tout blancs. Moi c’est la marche. Je suppose que j’ai toujours été comme ça: en marche.
La dépression, ce n'est rien d'autre qu'une carence en sucre et en alcool de bonne qualité.
Il y a des moments dans la vie où il est plus sage de faire comme si de rien n'était, comme un enfant au cinéma qui se cache les yeux au moment des scènes qui font peur jusqu'à ce qu'il sente, à la musique, que le pire est passé.
L'oisiveté est la mère de tous les vices. Ma bouteille de whisky m'invita à prendre un pot et je m'empressai d'accepter, la remerciant du fond du cœur.
Une demi-heure plus tard, c'était plus qu'une amie fidèle, c'était une fille de rêve, une maîtresse exquise. « My Darling Ballantine », lui sussurai-je au goulot, ce qui semblait la laisser de glace, à l'image de toutes les filles dont je m'étais entiché au cours de ma misérable existence.
Je décidai de rentrer chez moi, n'ayant rien de mieux à faire. Tel est le lot de tout un chacun : sortir de son lit, vaquer aux petites tâches quotidiennes propres à son milieu, son âge et son tempérament, pour tôt ou tard, invariablement, regagner ses pénates, son incontournable chez-soi. C'est là une grande constante du genre humain qui défie toute distinction de race, de sexe ou de classe sociale.
Je contemplai mon appartement avec le déplaisir certain, quoique mérité, qui présidait à chacun de mes retours au bercail, et constatai avec dépit qu'il était toujours aussi pouilleux – et que probablement il le resterait.