Il lisait peu, de rares livres occupaient son temps, il préférait pianoter les infos sur Internet, ça convenait à son esprit inconstant, ça glissait lentement sur tout, ça n'accrochait pas, ça occupait et ne remplissait rien... Il était informé et ne savait évidemment que faire de ces flux permanents si ce n'est de reproduire les lieux communs de son temps. Il observait, annotait l'Histoire et vérfiait chaque jour l'éternité des bassesses serties dans de somptueux discours de bénitiers new tendance. Les jeunes n'échappaient pas à la volupté des clichés et s'y donnaient à coeur joie, construits dans la bêtise du gavage et des rebellions sponsorisées.
Elle devait se rendre à une réunion professionnelle ,ca voulait dire que pendant deux heures des femmes et des hommes d'importance allaient prendre leur violent mépris pour de l'intelligence et leur veulerie pour du courage.(Julia)
Julia m'écrivait qu'elle avait enfin pris l'avion pour ce Grand Nord auquel elle rêvait, qu'elle avait revendu tout ce qu'elle possédait. Elle se disait heureuse et consciente que cet abandon des obsessions vides de la cinquantaine était la seule chose à faire. C'était une répétition confortable de la vieillesse, une façon de se défaire lentement.
Elle était impressionnée par la lenteur des pauvres, par leur resistance au pire et par l'évidence de notre commune humanité qu'ils nous martelaient en silence à la face. Et comme l'époque confondait allègrement pauvreté et misère, comme elle confondait tout, de peur de devoir connaître le réel et donc la désaffection des idées toutes faites, des émotions précuites et des passions ligths, on parlait de la pauvreté comme d'une maladie infectieuse, une peste ancienne remise à jour, une fatalité du temps.
Il regardait le grouillement, les masses, les coulées d'humanité se déverser un peu plus chaque jour autour des métropoles exsangues. Il voyait chacune, chacun, un à un, une à une, il les voyait dispersés sur la terre, il les regardait comme s'il s'observait dans un miroir : la grossièreté des traits, l'empâtement du visage, les rides, les balafres du temps, c'était lui, c'était eux. Dans le prisme de la compassion, il saisit une idée qui voletait en lui et se mit à creuser.
Il aimait entrer dans cette bulle comme dans une caverne où il faisait apparaître de formidables monstres qu'il maîtrisait pas à pas. La ménagerie s'est agrandie au fil du temps et la caverne a rétréci.
Cet amour n'était pas une histoire simple, plutôt une sorte de refuge à perpétuité qu'ils avaient décidé d'établir l'un dans l'autre, une fusion infantile pour se soustraire au présent et à la fin.
Il plaçait ses personnages, construits à partir d'un mot, d'une lumière, d'une couleur entrevue la veille. Un chien aboyait, des enfants jouaient dans la rue plus loin et il en faisait matière, tout s'imbriquait, il laissait faire, ça s'associait librement devant ses yeux et il n'en dormait pas souvent. Le matin, tout était prêt, il écrivait dans son cahier bleu ses histoires et ses questions sans réponses.
L'écrivain ne savait plus qui, de lui ou de ce qu'il prétendait être, écrivait ses histoires. Il ne s'y retrouvait plus. Il ne s'y retrouvais plus. Il se confondait de plus en plus souvent la mort de ses personnages avec le temps qui prenait tant et tant de place en lui. Il avait peur, il remettait sans cesse sa vie au lendemain au nom de simagrées qu'on aimait le voir faire.
Elle était partie. Loin. Du côté des étoiles comme disaient ses amis. Au pays du crabe comme il grommelait en s'endormant. Les mois passaient et Tom Mills sombrait. La figure de son tendre amour effaçait le monde autour de lui. Il vivait un pas de côté, absent des rythmes légers de la vie. Il travaillait mais passé souvent plusieurs jours enfermé, espérant mourir d'un coup, comme on est désintégré dans les films de science fiction.
Il s'habituait à ça aussi, et il se mit à mourir de moins en moins souvent. Il entendait toujours son magnifique rire traverser la pièce, la voyait endormie sur le canapé; sa peau lui manquait, sa peau mate et chaude, son unique contrefort dans la vie. Il passait ses journées à scruter ses photos, écouter les enregistrements, aspirer en boucle les vidéos. Il tournait en rond, il s'éloignait de son centre, sans l'avoir décidé, il avait accepté l'idée de s'éteindre."