David Rousset
- Entretien de Michel DROIT avec
David ROUSSET sur deux sujets. Les événements récents en Tchecoslovaquie et l'évolution du parti communiste
tchèque. Puis sur la contestation des jeunes, contestation qui se répand en Europe et bien sûr en France.
Cette haine, tu la trouveras dans les décombres de la société allemande d'après l'autre guerre. Des dizaines de milliers de gens, des commerçants, des artisans, des avocats, des professeurs, ont tout perdu. Ils avaient été élevés dans la notion de leur superiorité sociale et il se sont vus précipités plus bas que les ouvriers. Ils ne voulaient pas socialement mourir, c'est à dire devenir des prolétaires.
Le juif, le démocrate, le communiste sont devenus les grandes enseignes de leur déchéance. Ils font cette guerre aujourd'hui comme une guerre civile, avec le même déclenchement de haine totale. Nous savons qu'ils se battront jusqu'au dernier carré...
Le triomphe S.S. exige que la victime torturée se laisse conduire à la corde sans protester, renonce, s'abandonne.
En plongeant son couteau dans la gorge du SS Siebeck, le russe a redonné une valeur à la haine. Nous crevons tous ici de haine impuissante, de haine lâche, nauséadonde. Des haines qui n'osent rien. Cette haine de gens moralement esclaves.
Les Allemands ont peur de leur Führer, mais ils ont bien plus peur encore des Russes. Parce que les Russes savent. Parce que les Russes sont arrivés dans les régions de l'Est où l'on gaze les Juifs, les Polonais, les Ukrainiens...
Leur régime a endossé trop de crimes, il a rompu tous les ponts. Il a déchiré tous les contrats, commis tous les meurtres délibérement, avec un sadisme industriel. Il a creusé sa fosse et celle de son peuple.
Le peuple des camps, c'est un monde à la Céline avec des hantises kafkéennes.
Les bourreaux des camps de concentration appartiennent-ils encore à l'espèce humaine ?
Les esclaves déportés sont-ils demeurés des êtres humains ?
Des visages qui se décomposent. La maigreur tire les traits en grimaces. Les yeux se creusent et s'agrandissent. Les yeux mangent le visage.
Singulières têtes étroites et hautes avec les tempes creuses, les crânes nus proéminents, les machoires qui avancent, le cou maigre, et les yeux, des yeux qui brulent, qui rongent la face comme des chancres.
La vie mentale de la plupart des détenus était entièrement absorbé par la hantise des nourritures.
C'est précisément cette asphyxie mentale, multipliée encore par les violences des criminels, qui était le mal le plus dangereux des camps.
La grande masse concentrationaire est devenue incapable de penser. La peur permanente, la faim,l'abrutissement du travail, les coups, l'impossibilité totale de d'isoler, l'absence de tout repos réel ont détruit dans la foule tous les ressorts, l'ont réduite au niveau de l'hébétude et de l'idée fixe ( manger, ne pas être battu).
Les conditions sociales de la vie dans les camps ont transformé la grande masse des détenus et déportés, en une plèbe dégénérée entièrement soumise aux reflexes primitifs de l'instinct animal.
Partis douze milles, ils étaient maintenant sept milles squelettes incertains entre la vie et la mort. Des milliers restaient dans les fossés, le crâne troué d'une balle.
Des civils manifestaient en voyant les SS se ruer la matraque levée.
__ Vous tuez ces hommes, criaient -ils, et vous adandonnez leurs cadavres sur la route. Si les Américains viennent, c'est nous qu'ils tiendront pour responsables. Emmenez donc au moins les corps.
Que peuvent signifier aujourd'hui les anciennes tables de la loi : les concepts d'honneur, de probité morale ou intelectuelle, d'équité, de preuves, de culpabilité ?
Ici, dans les camps de concentration, user de ces concepts, c'est parler un langue morte.La violence, la ruse, la délation, l'hypocrisie sont devenus des composantes organiques de notre existence.