Citations de David Toscana (35)
Elle rêvait que son accueil dans les Cieux serait l'Ascension, ou peut-être l'Assomption, pour la distinguer de toute autre montée. En pétrissant le pain, avec ou sans levain, Marie s'affairait à la Pétrission. Un simple éternuement devenait l'Eternuation. Ses enfants, elle les corrigeait d'une Fessation. Quand les voisins lui souhaitaient le bonjour, elle leur rendait par une Salutation.
Ayant accordé à l'homme un fort potentiel d'intelligence, Il lui donna la faculté d'éprouver du désir et du plaisir au plus haut point, le privant du même coup d'une bonne partie de son cerveau.
Savez-vous que, sur vingt-huit pages publiées, on n'en lit qu'une ? Car il y a des livres qu'on offre à des gens qui ne lisent pas, d'autres échouent dans une bibliothèque sans lecteurs, on en achète pour remplir des étagères, certains sont offerts pour l'achat d'un autre produit, le lecteur se lasse dès le premier chapitre, ils ne sortent jamais de l'entrepôt de l'éditeur, ou bien les livres sont achetés sur un coup de tête.
Aujourd'hui j'ai vu Carmen.
Carmen
Carmen
Carmen
Carmen
L'écrire cinq fois ne me suffit pas. J'ai besoin d'en parler avec quelqu'un.
Les auteurs européens associent le ciel gris,à la tristesse, pense Lucio, ils n'ont jamais vu pleuvoir à Icamole, c'est sûr.
p.157
Un livre d'histoire parle de choses qui sont arrivées, tandis qu'un roman parle de choses qui arrivent et, ainsi, le temps de l'histoire contraste avec celui du roman, que Lucio appelle présent permanent, un temps immédiat, tangible, authentique.
"Savez-vous que, sur vingt-huit pages publiées, on n'en lit qu'une ? Car il y a des livres qu'on offre à des gens qui ne lisent pas, d'autres échouent dans une bibliothèque sans lecteurs, on en achète pour remplir des étagères, certains sont offerts pour l'achat d'un autre produit, le lecteur se lasse dès le premier chapitre, ils ne sortent jamais de l'entrepôt de l'éditeur, ou bien les livres sont achetés sur un coup de tête. Je viens de me défaire de l'Automne à Madrid, dit Lucio, j'en étais à la page 63, il en restait 208 à lire. Moi, je n'ai pas dépassé la ligne 20, dit-elle. Pour qu'un roman aussi rébarbatif que celui-là arrive à Icamole, il faut la complicité de l'auteur, des correcteurs, des éditeurs, des imprimeurs, des libraires et même des lecteurs, sans compter celle de la femme de l'auteur qui lui dit : Oui, mon chéri, ce que tu écris est vraiment très beau. Délinquance organisée, ajoute-t-il."
Il lui semble qu’un roman est moins sale quand un lecteur mange au-dessus que lorsque l’auteur mentionne la marque du pantalon d’un personnage, de son parfum, de ses lunettes, d’une cravate ou du vin français qu’il boit dans tel ou tel restaurant. Les romans sont souillés par la seule mention d’une carte de crédit, d’une voiture ou de la télévision.
Comment gagne-t-on une guerre, Matus ? demande Azucena d'un air distrait, en crachant dans ses doigts pour nettoyer une tache sur la chaussure de Cerillo, il faut tuer tous les Gringos ?
Au 467 de la rue Degollado se trouve un cabinet médical. La façade a été rénovée de telle sorte qu'il est impossible de reconnaître la vieille maison où vécurent Ignacio Matus et le gros Comodoro. Aujourd'hui elle est peinte en bleu et blanc, un panneau lumineux indique qu'on y soigne les maladies respiratoires.
Il tourne les pages en arrière pour tomber sur le premier chapitre de la Genèse. Au commencement Dieu créa les cieux et la Terre. Il nie de la tête. Pourquoi préciser que le commencement est le commencement ? Il raye les deux premiers mots et lit à voix haute : Dieu créa les cieux et la Terre. Beaucoup mieux, se dit-il. Il saute plusieurs pages et se remet à lire. Par la grandeur de ton bras ils deviendront muets comme une pierre. Lucio s’est toujours méfié des comparaisons. Muets comme une pierre, répète-t-il dans un murmure, au cas où ils auraient été muets comme des troncs ou des chaussures ou ce qui lui passe par la tête. Après avoir révisé son opinion, il finit par accepter la comparaison, parce que par sa banalité même elle passe inaperçue, avoir écrit deviendront muets comme un ongle, ferait que le lecteur la considère comme une extravagance, ce qui distrairait son attention du texte.
Il n'y a rien comme disposer d'une peau douce pour s'y coller la nuit.
Son expression trahit un mélange de tristesse et d'ivresse. Il n'y a personne d'autre sur la photo, l'effet de solitude est accentué par toutes ces bouteilles sur la table, par le cendrier plein. C'est, sans nul doute, l'image d'un homme défait.
Asseyez-vous à cette table, ne faites pas de bruit, ne mâchez pas de chewing gum, il est interdit de souligner des mots ou d'écrire sur ces pages, ne vous sucez pas les doigts pour tourner les pages, attention à ne pas arracher de feuilles, utilisez un marque-page, ne pliez pas les coins et gare à celui que je verrai coller sa morve sur les livres ou sous les tables.
Si l'eau n'est pas fidèle à cette terre, dit le père Pascual, nous n'avons pas non plus de devoir de fidélité envers elle. Il vaut mieux être déracinés que de continuer à souffrir la misère de la soif.
p. 56
Dès le début elle lui sembla bien morte, mais comment renoncer facilement au rêve éternel de sauver une jeune fille?
Nous sommes peu, dit Comodoro, mais la patrie préfère une poignée de vaillants à une cohue de poltrons. Gardez sur notre but le plus grand secret jusqu'à recevoir des ordres d'en haut. Azucena n'e peut plus, elle se dirige vers Comodoro et l'embrasse. On entend des applaudissements. L'institutrice de retour demande le silence.
C'est justement la mère d'Arechavaleta qui m'a appelé, interrompt le directeur, vous vous êtes enflammé un peu trop durant votre cours d'histoire, vous auriez dû vous limiter à donner des dates, des noms, des évènements, tout ce qui n'est pas dans le manuel scolaire est politique, et les enfants ne viennent pas à l'école faire de la politique. Madame Arechavaleta vous a accusé de faire de l'école un nid de communistes. Il n'était pas nécessaire de leur parler de cette guerre, ni de faire passer les Etats-Unis pour nos ennemis. Il suffisait de leur rapporter que Santa Anna leur avait vendu le territoire, il est plus sain de haïr un président mort que nos voisins du Nord.
Le gagnant vient d’arriver, l’informe Santiago, une fois de plus un Ethiopien. Matus sourit en lui-même. Encore un Éthiopien, sans doute, comme Bikila, encore un militaire aux ordres de son empereur, encore un militaire qui prend du galon en courant au lieu de défendre sa patrie.
Quand on est maladroit, dit Matus en jetant le costume sur un fauteuil, on est libre d’opter entre plusieurs jeux, mais quand on est un expert on sait quel est le jeu correct, il n’y a pas de liberté ni d’alternative, les jeux sont faits dès qu’on distribue les pièces, et cela s’appelle le hasard.