Ma Bretagne n'est peut-être ni plus belle ni plus pure que d'autres terres, mais je l'aime bien malgré ses souillures et ses sautes d'humeur. J'y vis entre plages et forêts, entre l'usine et les petites villes où l'on n'est jamais anonyme. J'aime l'odeur du chou dans les maisons, le porc qu'on mange sur les toiles cirées, les "galettes-saucisses" enveloppées de papier sulfurisé. J'aime le parler raccourci, la curiosité pas toujours bienveillante des gens qui vivent ici, loin des modes, tournées vers leurs douleurs, et qui cultivent leur jardin en se désespérant qu'il fasse trop chaud ou qu'il pleuve. Mais je déteste le mauvais vin qui rend hagards les yeux des hommes. Les mentalités empêtrées dans les "comme il faut" et les "on-dit" me font mal. Je ne m'habitue pas à ce climat mollasson, versatile, incapable d'être vraiment chaud, toujours soumis à des vents d'ailleurs et à des marées qui ne savent pas ce qu'elles veulent.
Avant de me mettre à lire, je respire l'odeur du papier, de l'encre, de la couverture glacée. Ce parfum d'imprimerie crée une atmosphère complice entre mon regard et la chose qui va se mettre à vivre. Je reconnais les éditions à leurs arômes délicats ou puissants. Lire est aussi un plaisir physique. Je sens un livre. J'écoute le bruit de ses pages. Je les palpe. J'aime regarder sans chercher à comprendre les lettres, les mots accolés, rythmés par leur longueur et leur espacement. Je contemple les paragraphes comme de petits tableaux, chacun a sa propre harmonie. Le livre prend son souffle dans l'arrangement de ses silences et je respire à son tempo. C'est un compagnon docile, s'il s'ouvre, quand je veux, à la page marquée et me faire taire. Nous cohabitons des heures, des jours, des semaines parfois et mes humeurs jouent sur les lignes.
Les derniers mots d'un livre sont à la fois une déchirure et un soulagement. Mon travail est achevé. Mais j'ai lu trop vite, je regrette que ce lien soit rompu. Et cet écrivain qui n'a plus rien à dire me déçoit. Impossible de relire, l'heureuse surprise ne se reproduira pas. J'ai été, une fois de plus, trompée, ma vie n'a pas changé. Tout de suite, je cherche un autre livre où accrocher mes mirages. Je suis l'héroïne d'un foule d'histoires inconnues.
J’aurais pu mourir assassinée. J’aurais pu rencontrer le prince chamant. Mais aller perdre mon porte-monnaie à Paimpol, je n’y avais pas pensé. C’est trop terre à terre, cela ne vaut pas un clou, même pour les journalistes d’Ouest-France.
Les maisons anciennes aux pierres usées, elles, s'avachissent au bord de la route. Leur toit d'ardoises piquées de mousse s'affaisse jusqu'à des ouvertures étroites décorées, seul luxe, par des volets bleu breton, dont la peinture s'écaille. On y vit à tâtons, dans une pièce unique où la lumière bute sur le sol en béton, les meubles épais. Des vieilles femmes en chaussons hibernent en crochetant des dentelles. Du coin de la fenêtre, elles surveillent le monde qui va de leur porte à la route.
Au delà, le regard se perd dans des brumes filandreuses. Qu'y a-t-il derrière le brouillard ?
Elle sait qu’elle a l’air vieillie de dix ans, qu’elle intimide. On n’ose plus lui parler comme avant. On se méfie des plaisanteries devant elle. Les rires baissent à son passage. Les mères craignent cette douleur gravée dans son corps et se détournent discrètement dans une peur superstitieuse de la contagion.
Je n’aime pas les oublis, les actes manqués, les lapsus, les prétextes qui déflorent les cachotteries du désir.
Je n’arrive pas à assimiler le « potager en dix leçons ». Je me renseigne à l’usine auprès des paysans ou d’anciens maraîchers et quand on ma dit en novembre que c’était la saison pour planter des nouilles, j’ai failli y croire.
Il serait toujours avec elle. Mais Loïca a peur de la vie commune. Elle ne veut pas qu'il se fasse une obligation d'être avec elle. Et s'il oubliait un jour de l'aimer. Ce serait moins dur de se quitter sans déménagement...
En me regardant, il louche légèrement. Il n’a pas de beaux yeux. La fille ne dit rien et trouve que je m’impose. Elle semble attacher à son gourou comme un fil de gruyère adans un plat de macaroni.
Je voudrais que les hommes n’aient plus de raison d’écourter le temps d’aimer, que la parole vienne aux silencieux. On boirait de l’eau de rose à grandes rasades !