Ralala ! Je me félicite d'avoir bravé le mauvais temps qui sévit en Bretagne. Figurez vous que je reviens d'une ballade sur la côte avec Maryvonne, une jeune femme ouvrière chez " chafotteaux et Maury, une usine de métallurgie à Saint Brieuc, dans les Côtes du Nord ou les Côtes d'Armor à ce jour.
Maryvonne n'en peut plus, elle pète cables, fusibles, boulons, bref tout le matériel nécessaire pour court-circuiter son mental par la pénibilité d'un travail à la chaîne, aux gestes répétitifs, d'une monotonie exaspérante. Elle en a marre Maryvonne de cette routine auto, boulot, dodo, où les jours se suivent et se ressemblent, lassée d'une vie de couple sans éclat que même son petit garçon ne parvient plus à colorer. Alors Maryvonne, la rebelle décide de s'offrir un bon bol d'air bien frais seule et où ? Je vous le donne en mille. A Paimpol ! Oh ! pas trop loin, juste à quelques kilomètres de son domicile. Mais tout de même ! Il lui vient comme une envie soudaine de liberté, sans contraintes, sans travail, sans famille, une journée bien à elle pour faire le point. Dans le vieux car bringuebalant qui la mène à Paimpol, elle donne libre cours à ses pensées. Elle imagine la tête des copines de boulot lorsqu'elle reprendra le travail. Et les questions, ah! ces questions qui la font déjà sourire :
"- Où es tu allée Maryvonne ? Quoi, à Paimpol ? A Paimpol ! Mais qu'est ce qui t'a pris Maryvonne ! T'es pas un peu cinglée non ? Tu as pris le car, comme çà ? Mais t'es dingue ! T'as pensé à ton mari et à ton gosse dis, Maryvonne ! Tu as dormi à...quoi ? à l'hôtel ? C'est pas possible ! Eh bien, Maryvonne, t'as pas froid aux yeux quand même, moi j'aurai jamais osé partir seule, comme çà, en car, sur un coup de tête. Faut du cran et de l'audace. Et ton mari, il en pense quoi de ton escapade ? Parceque le mien, il gueulerait, oh! çà oui, pour sûr, çà ne lui aurait pas plu. Plu, j'ai dit plu ? Ah ! Tiens oui, il a plu et il pleut toujours Maryvonnnnneeeeeee !!!
J'ai déniché ce petit livre à la médiathèque par pur hasard. Il s'était bien caché le bougre mais peut-être est-ce le vent qui l'a orienté dans ma direction? Allez savoir avec ces tempêtes ! Toujours est-il que je me suis franchement régalée par ce récit. le voyage à Paimpol de Dorothée Letessier est bigrement rafraîchissant (normal en Bretagne ! si si, je vous vois ironiser sur ce point, j'ai l'oeil et même deux !) et donc comme j'allai l'écrire, Maryvonne, la narratrice ne manque pas d'imagination ni d'humour, croyez moi ! Au cours de son "voyage" et de ses rencontres, elle nous fait partager des situations plus ou moins rocambolesques tout en fredonnant la Paimpolaise et ses falaises. Sacrée Maryvonne !
Pour résumer, voilà une lecture bien sympathique, une écriture, simple, limpide et percutante à la fois du milieu ouvrier, de la solidarité entre les salariés, des revendications avortées, la pénibilité du travail à la chaîne mal rémunéré, le stress, l'épuisement et l'espérance d'un avenir sous de meilleurs auspices. Un cocktail de mots à savourer, avec ou sans chapeau rond... ♪♪♪♪
Le voyage à Paimpol fut porté à l'écran en 1985.
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Maryvonne est lasse de sa vie à l'usine, lasse de sa vie de famille. Elle laisse un mot sur la table et prend le car de Paimpol.
Deux jours à elle, deux jours de réflexion.
Que c'est bien écrit ! Une vie de routine et de contraintes. Loin d'être larmoyant, c'est au contraire poétique.
Une réalité quotidienne décrite avec des mots justes, percutants et en même temps plein d'humour.
Une lucidité qui laisse place à l'étonnement, à l'espoir d'une autre vie, à l'imaginaire.
Je me suis vraiment régalée à cette lecture.
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Ce livre dont je viens de me rappeler l'existence au hasard d'un vagabondage, a été un vrai choc lorsque je l'ai lu dans les années 1980. Cette histoire ordinaire est un condensé en peu de pages de notre condition humaine, du déterminisme social et culturel, du malheur de tout ce qui nous entrave. Un voyage à Paimpol quand on habite la banlieue de Saint-Brieuc dans le département des Côtes du Nord (quand il ne s'appelait pas encore de ce nom stupide de Côtes d'Armor) peut devenir pour une jeune femme, la tentative désespérée d'échapper à son aliénation pour retrouver - miraculeusement ? - sa liberté contrite par l'usine, le mariage, la maternité et l'accès à la propriété. L'écriture est sèche, sans concession, sans pathos non plus. Un roman à la fois féministe, social et universel qui, je n'en doute pas une seconde, n'a pas vieilli.
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Avant de me mettre à lire, je respire l'odeur du papier, de l'encre, de la couverture glacée. Ce parfum d'imprimerie crée une atmosphère complice entre mon regard et la chose qui va se mettre à vivre. Je reconnais les éditions à leurs arômes délicats ou puissants. Lire est aussi un plaisir physique. Je sens un livre. J'écoute le bruit de ses pages. Je les palpe. J'aime regarder sans chercher à comprendre les lettres, les mots accolés, rythmés par leur longueur et leur espacement. Je contemple les paragraphes comme de petits tableaux, chacun a sa propre harmonie. Le livre prend son souffle dans l'arrangement de ses silences et je respire à son tempo. C'est un compagnon docile, s'il s'ouvre, quand je veux, à la page marquée et me faire taire. Nous cohabitons des heures, des jours, des semaines parfois et mes humeurs jouent sur les lignes.
Les derniers mots d'un livre sont à la fois une déchirure et un soulagement. Mon travail est achevé. Mais j'ai lu trop vite, je regrette que ce lien soit rompu. Et cet écrivain qui n'a plus rien à dire me déçoit. Impossible de relire, l'heureuse surprise ne se reproduira pas. J'ai été, une fois de plus, trompée, ma vie n'a pas changé. Tout de suite, je cherche un autre livre où accrocher mes mirages. Je suis l'héroïne d'un foule d'histoires inconnues.
Ma Bretagne n'est peut-être ni plus belle ni plus pure que d'autres terres, mais je l'aime bien malgré ses souillures et ses sautes d'humeur. J'y vis entre plages et forêts, entre l'usine et les petites villes où l'on n'est jamais anonyme. J'aime l'odeur du chou dans les maisons, le porc qu'on mange sur les toiles cirées, les "galettes-saucisses" enveloppées de papier sulfurisé. J'aime le parler raccourci, la curiosité pas toujours bienveillante des gens qui vivent ici, loin des modes, tournées vers leurs douleurs, et qui cultivent leur jardin en se désespérant qu'il fasse trop chaud ou qu'il pleuve. Mais je déteste le mauvais vin qui rend hagards les yeux des hommes. Les mentalités empêtrées dans les "comme il faut" et les "on-dit" me font mal. Je ne m'habitue pas à ce climat mollasson, versatile, incapable d'être vraiment chaud, toujours soumis à des vents d'ailleurs et à des marées qui ne savent pas ce qu'elles veulent.
Les maisons anciennes aux pierres usées, elles, s'avachissent au bord de la route. Leur toit d'ardoises piquées de mousse s'affaisse jusqu'à des ouvertures étroites décorées, seul luxe, par des volets bleu breton, dont la peinture s'écaille. On y vit à tâtons, dans une pièce unique où la lumière bute sur le sol en béton, les meubles épais. Des vieilles femmes en chaussons hibernent en crochetant des dentelles. Du coin de la fenêtre, elles surveillent le monde qui va de leur porte à la route.
Au delà, le regard se perd dans des brumes filandreuses. Qu'y a-t-il derrière le brouillard ?
Elle sait qu’elle a l’air vieillie de dix ans, qu’elle intimide. On n’ose plus lui parler comme avant. On se méfie des plaisanteries devant elle. Les rires baissent à son passage. Les mères craignent cette douleur gravée dans son corps et se détournent discrètement dans une peur superstitieuse de la contagion.
J’aurais pu mourir assassinée. J’aurais pu rencontrer le prince chamant. Mais aller perdre mon porte-monnaie à Paimpol, je n’y avais pas pensé. C’est trop terre à terre, cela ne vaut pas un clou, même pour les journalistes d’Ouest-France.