Edem Awumey

Une image de solitude, le vieux wharf creusant le jour loin des regards, du soleil et des mouvements de la ville. Par-delà les plans et les folies de l'heure et de l'histoire, viré, le wharf, des remous du présent, un machin dont personne ne veut, jeté sur le sable, le trottoir, un disque rouillé dont le soleil, la ville et les badauds ont oublié les tours et retours. les badauds du Port ne peuvent d'ailleus pas évoquer cette histoire, ils sont nés quand déjà le wharf écrivait son histoire solitaire, en marge du soleil et des routes. Il n'était déjà que silence et rouille lorsque cetted génération de la douleur et de la colère a posé ses yeux et son cul troué sur Port-Mélo... La colère parce qu'on retrouve bien souvent des corps flottant dans l'eau autour du wharf.

Le pays est une joue traversée par un méchant coup de lame, il en porte la cicatrice comme un refus de l'oubli.

Cependant, bien des années plus tard, Ito devait se dire que l’enjeu, ce n’était pas la maîtrise des chiffres et des lettres, l’enjeu était autre, la question à se poser était plutôt celle-ci, « De quelle nuit du monde es-tu le fruit? Celle où l’amour dans une odeur de femme te donne des ailes ou celle qui te garde les yeux définitivement ouverts sur le néant, un enfer depuis longtemps déserté par Eurydice ou tout ce qui a le visage de la tendresse? Comment, avec quelques mots expliques-tu ta nuit? »

[L]a rencontre des mots pouvait se muer en celle des corps pour tromper l'ennui.

Elle se demande seulement si tout ce que lui raconte son ami fait partie de l’histoire de sa vie ou dans quelle mesure des décors, des choses et des êtres inventés viennent à la rescousse de la mémoire de l’homme qui, comme son corps, suit le même chemin de la dérive, jusqu’à quel point les amis, les peurs, les rues, le sang et son odeur décrits sont vrais ou faux.

... après ma rupture brutale avec Isaac, j'ai passé mars et les mois suivants à pleurer, les oiseaux revinrent de leurs migrations, les saisons s'enchaînèrent, indifférentes à mon chagrin, et tant pis pour la naïve qui attend sur le quai...

La fille croyait que Sidi avait accepté de poser pour elle parce qu'il n'avait pas peur que l'objectif fit la lumière sur son âme et ses vies multiples. Parce qu'il espérait aussi que l'objectif le figerait à jamais sur le papier et lui permettrait d'échapper à la malédiction.

Sur le chemin, il regarda la fille et sentit la question : "Qui es-tu ?" revenir dans ses yeux. Alors il pensa que, pour dire et comprendre "Qui es-tu ?", il fallait qu'il remonte encore à très loin, aux tracés et bordures de ces routes de campagne qu'il avait parcourues lorsqu'il avait quitté le Sahel avec ses parents