Elisabeth Cadoche

C’est un signe de notre époque que d’avoir du mal à débattre, d’être dans la culture du clash ou du buzz, autant de termes anglais qui masquent notre difficulté à sortir d’une pensée binaire, à faire dans la nuance, comme si tout n’était que blanc ou noir, bien ou mal, pour ou contre.

Oser, c'est perdre pied momentanément, ne pas oser, c'est se perdre soi-même.
Soren Kierkegaard.

Nous passons notre vie à juger les gens sans les connaître vraiment, profondément. Et nous blessons impunément ceux que nous aimons, simplement par manque d'attention.

On s’en défend, on est dans le déni, on le sait: ressentir de l’envie ou de la jalousie, ça ne se fait pas, et en parler, encore moins. On fait semblant de compatir ou de se réjouir et on pose un sourire factice sur une grimace intérieure. Parce qu’on a appris à être une gentille fille et qu’on ne veut surtout pas ressembler aux demi-sœurs de Cendrillon.

Il faut pratiquer la compassion avec soi-même et avec les autres et réaliser que les mots ont un pouvoir

Une femme, c’est doux, ça coopère, c’est solidaire. Sinon c’est une mégère (version Shakespeare) ou une hystérique (version Freud).
Mais comme on l’a vu, la rivalité fait partie de la vie, elle est naturelle. Pourquoi faudrait-il donc la refouler et que se passe-t-il si l’on nous contraint à la taire? C’est là que les choses se gâtent, car quand l’envie de gagner vient aux femmes, leur énergie devient agressivité et se retourne contre l’autre qu’on veut voir échouer.

Les témoignages que nous avons recueillis étaient glaçants: ils nous ont révélé la réalité de la jalousie entre femmes et des dégâts de la rivalité. Nous ne pouvions pas en rester là. Il nous fallait y voir plus clair, comprendre ce qui se passait vraiment, sans complaisance; dans quelle mesure les femmes entrent-elles dans le jeu de la rivalité? Pourquoi? De quelle façon? Est-ce positif ou négatif?

La rivalité nous fascine, nous révulse ou nous attire. Elle touche à quelque chose d’assez instinctif en nous, un état dans lequel on peut se sentir menacées. Nous avons toutes croisé sur notre chemin une femme plus belle, plus jeune, plus drôle ou talentueuse – ces attributs nous l’ont rendue insupportable, et nous ont inoculé le poison de la jalousie.

L’envie peut donc mener à une compétitivité féconde, mais aussi à la rivalité. Si elle est envisagée comme un défi, d’ordre sportif ou professionnel, elle encourage la compétition, le dépassement de soi. Mais elle devient malsaine et destructrice quand elle se mêle de jalousie ou quand elle génère une insatisfaction permanente.

Les femmes ont pris conscience que la parole partagée était plus audible, que l’expérience mutualisée était plus fondatrice et que l’agrégation de leurs douleurs les rendait plus visibles. Finie la souffrance individuelle, intime, on allait connaître l’avènement de l’universel et ses effets antalgiques.