Citations de Elisabeth Foch (148)
Autre vol, autre ciel : steppes d'Asie centrale. Vers Oulan Bator, l'avion est escorté par une procession de cumulus humilis, à l'image d'une cane et de sa couvée : "Solitaire, je parcours des milliers de kilomètres et demande mon chemin aux nuages blancs", Bouddha.
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Ensuite, la descente. Bousculé comme un gain de sable dans un sablier, on s'enfonce dans le paysage. On dégringole pour rejoindre ces torrents qui d'en haut avaient la brillance et l'immobilité d'un sillage d'escargot.
Et dans cet isolement sauvage, au sens étymologique dérivé de silva, la forêt, l'homme éprouve physiquement le cycle de la vie et se sent appartenir au monde.
La beauté et l'esprit des lieux proviennent de la conception même de ce vaste territoire d'expérimentation de l'âme et du corps, qui vise à favoriser les interactions entre la nature et les êtres.
Les hommes choisissent leurs Escales pour ancrer leur vie ou partager, l'espace d'une nuit, l'intimité de l'altitude.
Si nous savons depuis 1852 quelle est la plus haute montagne du monde -- le pic XV sur le schéma de triangulation, appelé Everest en l'honneur d'un patron du Survey of India --, il revient au capitaine Noël l'honneur d'être le premier à s'en approcher et à le photographier (1913).
Mais le sacré est vénéré différemment selon les latitudes et le regard que portent les Japonais sur la montagne, loin d'être sacrilège, est empreint de vénération.
C'est grâce à un art de vivre qui respecte les liens presque symbiotiques de l'homme avec la nature que les Indiens atteignent une dimension sacrée.
J.M.W. Turner est en effet l'un des plus grands peintres du paysage alpestre -- même si sa gloire est ailleurs. Il donne un nouveau sens à la couleur et au mouvement, marque la réalité par sa vision intérieure et mêle le romantisme à l'impressionnisme.
Comme un cadran solaire
Heure après heure, l'ombre de la maison fait sa ronde, veille sur le jardin, la cour, le verger, le coin de la rue. La maison, elle, demeure immobile. Ancrée en terre mais la tête dans les astres, elle offre un modèle ambigu fait de stabilité et de révolutions.
Face à la "candeur" des montagnes, beaucoup d'artistes ont éprouvé le vertige de la page blanche.
Pour les Aborigènes, la réalité physique existait avant la création mais n'avait pas de forme. Ce sont les esprits qui lui en donnèrent une : tels des artistes, ils modelèrent le paysage, les animaux, les hommes et les lois en traversant l'Australie.
A force de fréquenter héros, cimes et dieux, il sait que la sérénité ne s'acquiert qu'après avoir traversé la tourmente.
Au Puy-en-Velay comme ailleurs, les pèlerins savent que les puissances du ciel se manifestent de préférence sur les hauteurs et, dans le cas du christianisme, bien souvent par l'intercession de l'archange saint Michel.
Sur les hauts plateaux d'Ethiopie, l'Histoire sainte se lit à fleur de terre : au XIIe siècle, une nouvelle Jérusalem est creusée dans le roc, près d'une rivière appelée Jourdain. Au total, onze églises monolithes reliées par des galeries. Onze, pas douze; tout comme la tribu perdue, l'apôtre perdu, la douzième ne voit jamais le jour.
Des arbres séculaires retournent à la terre tandis que les graines "semées" par les oiseaux apportent le renouveau.
Loin d'être des lieux de superstitions, les montagnes sacrées représentent pour les japonais des êtres vivants dotés de forces telluriques.
Et l'espoir naît d'atteindre l'apostrophe blanche d'un col neigeux perdu en plein ciel, avec la grâce des disciples tantriques qui maîtrisent leur souffle au point de se mouvoir comme une volée de perdrix.
Et puis encore ces pierres ramassées en chemin pour leur forme, leur couleur, leurs strates. Depuis le temps, c'est tout un éboulis qui vient s'échouer chez moi.
Voyager, c’est : confronter « son » monde au monde ; se découvrir tel qu’on est lorsqu’on n’est pas chez soi ; faire usage de ses cinq sens, mêler saveurs et savoirs ; être heureux d’arriver quelque part puis soulagé d’en partir – pour- tant le lieu n’a pas changé ; tendre l’oreille à l’esprit des lieux : s’il vous dit de déguerpir, surtout ne pas le contredire ; accepter qu’on ne pourra jamais tout voir, tout connaître : on sera toujours incomplet d’un bonheur volé à une étape encore inconnue ; aller voir et laisser dire.