Elly Rosemad

Sous le bandeau qui recouvrait ses yeux bleus, les cils de la jeune femme bruissaient d’une manière particulière.

Comme les ailes
Des papillons
Plongeant
Dans l’agonie.

Antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères, tout y était passé.
Sans succès. Elle n’avait récolté que de la frustration et le poids d’une douleur qui ne faisait que s’intensifier. Quand ce cauchemar allait-il s’arrêter ? Quand son esprit trouverait-il du repos ? Pourrait-elle de nouveau goûter au plaisir d’une nuit sereine ? À la perspective d’un avenir meilleur ?

[…]

Pour espérer un peu plus de légèreté et de sérénité, elle n’avait plus d’autre choix que d’enterrer son passé, le plus profondément possible. Elle en était persuadée.
À bien y réfléchir, c’était un véritable comble pour une psy. Mais Maddy n’était qu’un être humain qui souffrait et qui ne pouvait plus attendre. Elle ne pouvait plus accepter l’état psychique qui était aujourd’hui le sien.
Être presque morte, alors que sa vie n’attendait qu’elle.
Cela n’avait aucun sens.

C’était fascinant. Gabriel se délectait de la manipuler. De les manipuler tous.
Personne ne pouvait savoir ce qu’il avait fait, à l’abri des regards, il y avait quelques semaines. Et tout cela grâce à la loi qui autorisait l’euthanasie.
Baiser une femme pouvait être intense, dans une certaine mesure, mais la tuer... Cela n’avait rien à voir. L’excitation. Le plaisir de voir souffrir. Le sentiment de pouvoir que cela distillait en lui pendant et après l’acte. Il n’y avait rien qui pouvait être à la hauteur d’une telle intensité. Aucune œuvre qui ne pouvait égaler la sienne.

Tuer était son obsession.
Tuer serait sa compulsion.

(...) Il était médecin anesthésiste. Chef de service des soins intensifs du centre hospitalier de Capitale Sud. Référent du projet « Euthanasie pour tous », qu’il avait mis en place dans cet hôpital, pour que l’euthanasie soit accessible même aux patients les plus démunis. La sécurité sociale n’existait plus et sans ce projet certains patients comme Frances n’auraient pas pu la demander. Dès leur première rencontre, elle avait eu confiance en lui.
Maintenant elle le trouvait étrange. Il continuait de la regarder, intensément. Il prenait son temps. Plus il la fixait, silencieux, plus le sang de Frances se glaçait. Sa gorge et ses tripes se nouèrent dans un éclat d’angoisse. C’était tout ce que son corps lui permettait de ressentir.
Pourquoi ne disait-il rien ? Pourquoi son visage exprimait-il tant d’excitation ? Et s’il était venu la délivrer, pourquoi était-il seul, sans aucun collègue pour l’assister comme cela était prévu ?
Frances sentait le danger. Ses jambes voulaient l’emmener ailleurs, loin d’ici, dans un autre monde. Mais la paralysie l’emportait nettement. Dévorante. Monstrueuse. Ce qui se passait était ironique.

(...) Elle était simplement aveuglée par son passé au point de ne plus voir l’impact qu’elle avait sur les autres. Hank le savait, les souffrances de Maddy avaient fini par muer en de véritables obsessions. Ses blessures la bouffaient de l’intérieur. Elle était devenue une femme blessée, ce qui donnait encore plus envie à Hank de la prendre dans ses bras. De la rassurer. De l’aimer.
Maddy, elle, conservait cet air tendu que Hank n’aimait pas voir sur son visage.

Les expressions de Maddy suintaient l'ironie. Elle transpirait cet air désinvolte qui cache les failles les plus profondes. Les plaies les plus ouvertes. Maddy n'avait jamais eu la langue dans sa poche et se démarquait par sa grande énergie, ce qui lui avait valu certains surnoms comme "la psy qui fonce" ou "six speed" en lien avec le nombre de vitesses de sa bécane.

Maddy n’avait jamais eu la langue
dans sa poche et se démarquait par
sa grande énergie, ce qui lui avait valu
certains surnoms comme « la psy qui
defonce » ou « six speed » en lien avec
le nombre de vitesses de sa bécane.

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Ça y était. Tout était fini pour elle. Ses yeux fixes et froids distinguaient enfin ce que le médecin voulait exactement qu’elle regarde. Pour l’éternité. Il savait qu’elle les voyait. Les rayons du Soleil Noir. Déposant à jamais leur obscurité sur son âme. Même dans la mort, ils lui rappelleraient ce que le Scorpion était en train de lui susurrer, dans son dernier souffle vital. Des morts qui coulaient comme une dernière goutte de venin mortel et suave, juste dans le creux de son oreille : « Gabriel Chrysopolis. Celui qui vient de faire de ta mort une œuvre d’art. »