Elowen Maé

Plus je m’approche de la maison, plus j’ai l’impression qu’elle est inhabitée, à moins que les gens qui y vivent n’aiment pas du tout prendre soin de l’extérieur. Des mauvaises herbes recouvrent la cour, les haies ne sont pas entretenues. Si Christian voyait sa maison dans cet état, il en serait malheureux, car malgré son métier très prenant, il faisait en sorte que sa maison et son extérieur soient toujours bien entretenus. Même les jolies roses qui faisaient sa fierté ont disparu. La maison en elle-même n’a pas du tout subi de changement et les volets n’ont pas connu de ponçage et de peinture depuis bien longtemps. Je m’approche de la porte d’entrée et décide d’y aller au culot et de frapper.

Yuna n’est pas votre petite-fille et n’est pas non plus ma fille, car elle a été échangée à sa naissance ou dans les jours qui l’ont suivie. Je voudrais savoir quand vous vous en êtes rendu compte. Tout de suite ou aviez-vous seulement un doute ? En tout cas, ce que je retiens c’est que vous ne nous l’avez pas dit à cette époque alors que ça aurait été plus facile de réparer cette erreur. Nous n’avions pas encore créé de liens solides. Il nous a fallu un moment pour nous apprivoiser. Yuna pleurait beaucoup et je n’arrivais jamais à la calmer. Cette petite fille sentait que je n’étais pas sa maman.Ma voix, mon odeur, les battements de mon cœur ne pouvaient pas la rassurer…

J’ai l’impression de me retrouver enfant ou adolescente quand il était plus facile de fuir que d’affronter les remarques, les questions, les disputes avec les amies ou les engueulades des parents. Après, j’avais toujours du mal à revenir et à m’excuser.
On peut appeler ça de l’intuition maternelle ou le sixième sens… Peu importe ! Mais en tout cas, je le sentais ! Je savais qu’elle voudrait aller la voir. Toutes mes craintes étaient fondées.

Yuna est une jeune fille assez timide, avec un manque certain de confiance en elle, mais depuis quelques mois, elle m’étonne. D’abord, sa décision de devenir infirmière, un métier où l’on est en relation constante avec les autres, puis le choix de partir loin pour ses études, et enfin la décision de la cohabitation alors qu’elle aime sa tranquillité. Elle mûrit et grandit.

C’est quand même incroyable de penser qu’il y a eu un échange de bébés, un acte rarissime, et que ma fille en a été victime. En même temps, je ne devrais pas être surprise, c’est le seul bébé qui devait passer autant de temps à la nurserie, en attendant que ses parents soient là pour s’en occuper.

J’ai appris plein de choses, mais je ne te cache pas que prendre en charge des personnes âgées n’est pas toujours facile… Ma plus grande difficulté a été de faire les soins d’hygiène et surtout les toilettes. Rentrer dans l’intimité d’une personne m’est difficile, enfin tu sais ce qu’il en est…

Ma mère a toujours eu du mal à me parler de ma grand-mère et elle ne l’évoque jamais en ma présence. C’est un sujet tabou. À tel point que je n’ai pas osé évoquer mes véritables raisons quant à l’envie de faire mes études précisément à Lannion.
À chaque fois que je posais des questions sur mes grands-parents et que j’essayais de savoir pourquoi nous n’allions plus les voir, ma mère me répondait que c’étaient des histoires d’adultes et que je comprendrais plus tard. À force de la voir se renfermer sur elle-même quand j’abordais ce sujet, j’ai arrêté de poser des questions. Puis, voyant mes dix-huit ans et mon indépendance pointer le bout de leur nez, je l’ai prise au mot.

Je disais que c’était étrange ce besoin que les mecs ont toujours de reparler de leurs exploits sportifs. Nous étions là, nous avons vu le match donc pas besoin de tout commenter à nouveau…

Je me fais l’impression d’être une voleuse ou une espionne dans un thriller et je me surprends à regarder au-dessus de mon épaule au cas où quelqu’un me surprendrait en pleine action. La première clef ne rentre même pas dans la serrure du  cadenas. J’essaye la deuxième, mais j’ai les mains si froides que je peine à la rentrer dans la serrure. Je force un peu, je finis par y arriver et je tourne la clef. Première effraction réussie !… Je fais la fière, mais j’appréhende un peu…

Eh oui, être une étudiante infirmière, c’est tout de même manquer un peu de féminité : cheveux attachés, parfois aidés de barrettes pour les mèches récalcitrantes, ongles courts et sans vernis, et aucun bijou au niveau des mains. Seules sont tolérées les boucles d’oreilles, courtes évidemment. Nous serons en veste et pantalon blancs avec des tennis ou des sabots. Le top de la féminité… Vive le fantasme de l’infirmière…