Rencontre avec Emma Marsantes autour de Les fous sont des joueurs de flûte paru aux éditions Verdier.
Emma Marsantes est née en 1960, et a grandi en région parisienne. Elle a publié aux éditions Verdier Une mère éphémère (2022).
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27/02/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
Ceux qui nous abandonnent s'enfoncent dans nos crânes comme des clous. A croire que leur absence nous lié plus que n'eut fait leur amour.
Ma vie est construite en étages. L’enfance à Neuilly est le socle. Immeubles bien rangés, pierres agrafées, balcons modèles. Doubles rangées de marronniers. Mémoire lisse, trous structurels. L’enfance. Le viol. La violence. La peur. La soumission. Le luxe. L’art. Le mysticisme. La démence. Le silence. La culpabilité. La haine. La honte. Les traversées vers Calvi, dans les grandes tempêtes d’été, en voilier, dans la nuit. L’incompréhensibilité du réel. Une réalité hachée. Séquentielle. Ancrée dans la prémonition. Sentant qu’elle songeait à se tuer et sachant qu’il était psychotique. Ou sachant qu’elle était psychotique et sentant qu’il songeait à nous tuer. Vivre en attente. À leur merci. En sursis.
Faut-il commencer par la scène du meurtre ?
Il y a des gens qui nous croisent, d’autres qui nous effleurent, et certains nous transpercent.
Ceux qui nous abandonnent s’enfoncent dans nos crânes comme des clous. À croire que leur absence nous lie plus que n’eût fait leur amour.
Ces figures du passé nous surprennent aux abords des rivages, au détour d’une rue, à l’occasion de rien : morceau de papier laissé par terre, coin de porte enfoncé, inscriptions sur un mur. Ils hantent, et sous leur règne, nos présents ne sont plus que de la mémoire.
Quelques disparitions magistrales m’ont laissée dans cet état d’esprit. C’est de cette conscience intrusée et de son désordre que témoigne ce texte.
Quelques mots.
En mémoire de cécité.
Je ne sais plus ce qui s’est passé mais je sais que cela s’est passé. Dans le seul fait que je ne puisse pas me souvenir tient la véracité de mon récit. Cela a existé parce que je ne m’en souviens plus.
Nous restons muettes dans notre ronde folle, et marchent à nos côtés sexualité, maternité, secrets de famille, obscénités, transgression, filiation, impuissances, fuites et mensonge.
Je saigne. Je saigne la détestation. La tienne et la mienne, entremêlées, sauvage, inaudibles. Et rouges, pour que je me souvienne. Je saigne ron visage encastré dans le satin onctueux du cercueil. Je saigne que tu sois entrée dans ma chambre armée d'un couteau de boucher. Je saigne que tu te sois étranglée pour me clouer la bouche. Je saigne ma mére folle, la menteuse, la martyre, pendue en croix, avec son sang qui ruisselle sur mes jambes.