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Citations de Emmanuelle Dourson (37)


Une mouche s’était posée sur le pupitre de Katia, les pattes engluées dans une tache d’encre, et plus le poème s’étirait plus la tache autour de la mouche s’élargissait. Un monde inconnu s’ouvrait à la pensée, on pouvait le prolonger à l’infini, écouter ses résonances, c’était donc ça, la culture, avait-elle pensé, une tache bleue qui se dilatait, une source où venait s’abreuver l’imaginaire. On découvrait un univers parallèle, des eaux nous portaient vers des rivages insoupçonnés, on allait vivre enfin, explorer les abysses, voguer d’un courant à l’autre puis s’échouer quelque part, épuisé et ravi. On aurait gardé sur soi les traces du voyage, la clarté pâle de « l’aurore aux doigts de rose » qu’Homère avait offerte au héros aux mille ruses. On allait pouvoir peindre des fresques, dessiner des traits sur un vase, des traits fins, ceux d’un navire, rouge sur fond noir, et Ulysse attaché au mât. Du fond du vase nos descendants entendraient peut-être un jour monter le chant des sirènes. (p.127)
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Après Barcelone, elle rentrerait chez elle. Elle aurait un cinquième enfant avec Baptiste — ou avec Yvan, c'était pareil —, cet enfant-là, elle s'en occuperait parfaitement, elle en était capable, ne m'en déplaise, et tout changerait avec lui. Ensemble ils sauveraient le monde, oui, ils y arriveraient. Elle sentait déjà ses seins gonfler et le lait couler et avec lui monter une bouffée de compassion pour l'humanité entière. C'était ainsi qu'elle sauverait la planète, avant les arbres en Éthiopie, en aimant l'enfant qui n'existait pas encore. Elle et l'enfant hissant au sommet de la terre, au-dessus des crues du Nil bleu, plus loin que la terreur et l'envie, leur amour indestructible. p. 80
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Bien des années plus tard, quand j'avais regardé l'album avec Katia, elle m'avait demandé pourquoi j'avais l'air triste sur les photos et je lui avait parlé d'Albane, de mon amour pour elle - l'enfant chérie est toujours celle qu'on ne voit pas, celle qui s'en va. À la place vide qu'elle avait laissée j'avais bâti des cités, des mondes, un univers, sur son absence j'avais tracé mille routes imaginaires. J'aurais voulu garder pour moi l'enfant prodige - mes enfants n'avaient pas besoin de gloire, d'amour seulement. Mais il n'y avait pas eu assez d'amour, il avait donc fallu la gloire.
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L'enfance de mes filles m'angoissait. Je ne savais pas comment rester auprès d'une vie qui changeait chaque jour et me rappelait l'imminence de notre fin - le murmure au bord de la peau, la fièvre au bout des doigts, les grands espaces parcourus en rêve dans la chambre endormie. Le battement sourd du temps qui passe cognait à mes oreilles alors je m'enfuyais. Je répondais à l'appel des lacs.
(p.123)
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De l'enfant, elle avait gardé l'étonnement qui creusait la soif et la capacité de boire à longs traits. Elle était prête à se laisser inoculer l'amour de l'Antiquité, le sens du sublime et de la cruauté.
(p.121)
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On a passé son existence à dénoncer les déterminismes et on réalise soudain que rien ne nous déterminait sauf ce moment ultime, ce saut qu'on fait malgré soi, sans pouvoir choisir le ton ni la manière. Il n'est plus question de choix ni de consentement. On est révoqué. Le monde continuera sans nous.
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Elle ignorait que l'âge est un mirage, une illusion dont on s'éveille à l'aube de la mort, lorsqu'on regarde l'illusion une dernière fois derrière soi.
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Une mouche s’était posée sur le pupitre de Katia, les pattes engluées dans une tache d’encre, et plus le poème s’étirait plus la tache autour de la mouche s’élargissait. Un monde inconnu s’ouvrait à la pensée, on pouvait le prolonger à l’infini, écouter ses résonances, c’était donc ça, la culture, avait-elle pensé, une tache bleue qui se dilatait, une source où venait s’abreuver l’imaginaire. On découvrait un univers parallèle, des eaux nous portaient vers des rivages insoupçonnés, on allait vivre enfin, explorer les abysses, voguer d’un courant à l’autre puis s’échouer quelque part, épuisé et ravi. On aurait gardé sur soi les traces du voyage, la clarté pâle de « l’aurore aux doigts de rose » qu’Homère avait offerte au héros aux mille ruses. On allait pouvoir peindre des fresques, dessiner des traits sur un vase, des traits fins, ceux d’un navire, rouge sur fond noir, et Ulysse attaché au mât. Du fond du vase nos descendants entendraient peut-être un jour monter le chant des sirènes.
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En cette nuit,

en cet instant de cette nuit,

je crois que même si les dieux incendiaient

le monde,

il en resterait toujours une braise

pour refleurir en rose

dans l’inconnu.



Ce n’est pas loi qui l’ai pensé ni qui l’ai dit,

mais cette nuit d’hiver,

mais un instant, passé déjà, de cette nuit d’hiver.


Philippe Jaccottet
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A la place vide qu'elle avait laissée j'avais bâti des cités, des mondes, un univers, sur son absence j'avais tracé mille routes imaginaires. J'aurais voulu garder l'enfant prodige.
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L'accord ultime résonna encore - inépuisable et sacré comme un mot unique qui aurait contenu à lui seul tout le langage -
puis fut dissous dans le silence. Quelque chose a eu lieu, semblait dire ce silence, et les applaudissements n'osaient pas le briser. Chacun écoutait la rémanence de la musique diffuser au fond de soi la promesse d'un retour vers le lieu où, avant que le temps ne dilate l'univers et ne lui donne une histoire, tout était noué, indissoluble et éternel. (P.242)
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Tout cela n'était que dunes de sable déplacées par les tempêtes minuscules de mondanité.
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J'aurais voulu garder pour moi l'enfant prodige - mes enfants n'avaient pas besoin de gloire, d'amour seulement. Mais il n'y avait pas eu assez d'amour, il avait donc fallu la gloire.
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Elle ignorait que l'âge est un mirage, une illusion dont on s'éveille à l'aube de la mort, lorsqu'on regarde une dernière fois derrière soi. On se retourne, on n'aperçoit plus qu'un chemin étroit à l'écart de tous ceux qu'on aurait pu prendre et nulle âme ne suit le sillon creusé par nos pas. On marche seul vers la porte obscure, naïf jusqu'au terme, ignorant qu'on a été libre. (P.136)
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Se détourner et se rassurer. Reprendre le présent où elle l'avait laissé, le plier à sa guise. Guetter autour d'elle la toile du réel que ses mouvements faisaient trembler - bouger une main, lever les yeux pour voir si le chauffeur la regardait encore, suivre de l'index le dessin de son sourcil, déplacer une mèche de cheveux pour la glisser derrière l'oreille. Elle s'appliquait. Chaque geste altérait le monde et lui rappelait son existence. (P.74)
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C'était là, à Barcelone, qu'Albane donnerait son prochain concert. C'était là que Jean voulais aller. Revoir sa fille, l'entendre et l'admirer. Observer le fruit de ses entrailles. Car même pour un homme vieux et un père délaissé, l'enfant qu'il avait conçu restait la chair de sa chair, et si celle-ci se détachait de lui, elle laissait une blessure. Jean voulait retrouver l'enfant et refermer la plaie.
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Pouvait- on demander à une écrivaine de penser aux autres ? Elle avait tant à faire avec les personnages qu'elle portait en elle, ces égo de fiction cachés dans les replis de son âme.
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Après un concert j'ai besoin de calme, je me cache dans ma loge et j'éteins tout, parfois j'allume une bougie, je dois recueillir tous ces fragments qui sont sortis de moi, je dois les rassembler, c'est une opération longue et douloureuse, je suis exangue, mais le public ne comprend pas, il vient frapper à ma porte, il a besoin de se répandre, surtout ne rien garder, et il pleure son émotion à mes pieds.
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Toi, Mona, tu n’as pas été une mère suffisamment bonne, tu n’as pas ouvert devant moi le chemin qui conduit à la vie, tu m’as laissée seule avec mes monstres et mes désirs, mes nuits blanches, tu aurais dû les effacer une à une, patiemment, jusqu’à ce que chaque soir je puisse creuser le gouffre salutaire où enfouir l’angoisse et la fatigue.
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Le soir je les voyais revenir, père et filles dans leur combinaison blanche. J'observais leur lente procession monter les marches du perron. Albane avait six ans. À l'avant, elle tenait l'enfumoir, une sorte d'encensoir qui semait une odeur de feu dans leurs cheveux et sur leurs lèvres. Derrière elle, Clélia et Jean marchaient solennellement sans dire un mot, comblés par l'observation qui avait unis leur tête au-dessus des alvéoles, des ouvrières et du déclin de la reine.De leur visage émanait quelque chose qui ressemblait à la paix. Moi, Mona, j'étais restée à l'écart et je buvais mon amertume, mais pas jusqu'à la lie. Au fond de la coupe restait un peu de miel : j'étais le fier témoin de leur complicité. Il fallait bien quelqu'un hors du cadre pour décrire le lien qu'ils venaient de tisser. Plus tard, je pourrais dire à quoi ressemblait le paradis perdu. Trois têtes penchées sur une ruche au fond d'un cimetière. (P.92)
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