
Qu’y pouvait-il si, malgré toute son admiration pour les nouveautés de l’époque et les mille possibilités qu’offrait le génial ordinateur posé devant lui, il n’était toujours pas capable d’écrire, ne serait-ce que des notes, un brouillon, une esquisse, un premier jet, autrement qu’avec un stylo-bille dans des cahiers d’écolier tels qu’ils existaient dans son enfance, des cahiers lignés de quarante pages à fine reliure marron au verso desquels étaient reproduites les tables de multiplication ? Cela faisait des années qu’il se promettait d’essayer, progressivement certes, de s’habituer à écrire sur un ordinateur comme le commun des mortels. De temps en temps il changeait même son vieil appareil contre un plus récent avec lequel – ainsi le lui promettait-on – l’écriture serait plus fluide et plus agréable. Mais il revenait toujours à ses cahiers qu’il achetait chez un ancien grossiste, dans une petite boutique d’une ruelle du centre-ville.
Yoel regarde la toile où Van Gogh s’est peint en train de peindre et il comprend que dans son nouveau roman il cherche la même mise en abyme en se décrivant en train d’écrire. Il aimerait faire cela avec la même précision que lorsque Van Gogh a peint. Avec la même sincérité. Celle d’un saut à l’élastique irréversible. D’un champ de blé mûr sous des nuages menaçants, ou d’une bande de corbeaux tournoyant au-dessus de lui comme s’il était déjà mort. Jusqu’à n’être plus, comme dans l’un des derniers tableaux du peintre, que souches et racines.
Yoel rêve la nuit qu’un gros poisson l’a avalé. Il ignore comment cela s’est produit, mais il se retrouve couché sur le flanc, genoux repliés, dans des entrailles palpitantes aux parois molles. Il est certain d’avoir été avalé par un cétacé, bien qu’à l’inverse de ses prédécesseurs, du prophète Jonas à Pinocchio, cela ne provoque en lui aucun sentiment d’oppression particulier. Tout au contraire : il y puise de la sérénité. Il se sent protégé, aimé, il voudrait rester dans ce poisson à jamais. Quand il se réveille, ses membres sont encore tout imprégnés d’une incroyable douceur.
La semaine dernière, comme Bat Ami a été émue en découvrant que le surnom d’Amsterdam dans la bouche des Hollandais était Mokum (avec l’accent sur la pénultième), un nom issu du mot hébraïque makom, signifiant « lieu, endroit ». Mais également que haver, « ami » en hébreu, se disait en néerlandais haber (avec l’accent également sur la pénultième), et que méshouga, qui signifie « fou », avait son équivalent en méshigué.
Ils étaient postés devant le comptoir de la compagnie El Al, qui, comme dans tous les aéroports, est relégué tel un honteux ghetto assigné au peuple élu tout au bout du hall d’embarquement : les couleurs de son drapeau l’acculent dans un coin comme Joseph avec sa tunique de couleur précipité au fond d’un puits par ses frères.
Yoel regarde la toile où Van Gogh s’est peint en train de peindre et il comprend que dans son nouveau roman il cherche la même mise en abyme en se décrivant en train d’écrire.
Il ne sait comment lui dire que son mari si précis, si organisé, ignore désormais quel jour il est. Que le désordre ne le dérange plus, ne le perturbe plus du tout depuis qu’il a découvert qu’il n’y a pas vraiment de différence entre le passé, le présent et l’avenir. Qu’en réalité le temps ne faisait qu’un. Un tout indivisible.
Pour parvenir à me confier à autrui, elle avait été obligée de se blinder, de se détacher totalement du monde, et elle n'est plus parvenue à éprouver quoi que ce soit. Bien après la fin de la guerre, elle est restée dans cet état d'indifférence totale, à regarder sa propre existence de l'extérieur sans rien ressentir.
En tant qu'auteur vivant dans la réalité israélienne, il me semble naturel d'y faire vivre mes personnages. Néanmoins les histoires que je raconte parlent de l'homme qui, où qu'il se trouve, respire, aime, est en proie à la nostalgie...
Elle ne vit pas, elle maintient un fragile équilibre pour ne pas mourir. Tu as des enfants, se rappelle-t-elle à chaque fois qu'elle inspire ou expire. Tu as des enfants.