Leurs regards d'enfants perdus cherchent une approbation, un réconfort, une assurance, mais ne croisent que des doutes et d'autres regards d'enfants perdus. Ils voient la fin du monde que leurs ancêtres leur avaient confié et se rendent compte, ce soir-là, qu'ils vivront désormais avec le sentiment d'avoir trahi une confiance millénaire et absolue. Ils resteront à jamais les derniers, ceux qui n'ont pas su transmettre à leurs enfants ce que leurs parents leur avaient donné. Ceux qui ont cassé le fil. Qui ont éteint le feu. Ou qui l'ont laissé s'éteindre.
(Les Saint-Kildiens) n'affrontent pas les hivers, ils vivent avec. Ils font corps, se ferment et les laissant glisser, attendant que passent ces nuits où hurlent les tempêtes, en se réchauffant à la lourde fumée de tourbe. A peine quelques prières pour demander une protection qu'Il va de toute façon nous accorder ; Il a décidé que nous devions vivre ici, Il ne va pas nous laisser tomber maintenant, alors acceptons cette épreuve, nous l'avons méritée.
Lui qui n'a jamais pleuré quand ses enfants ne passaient pas la première semaine. Combien en a-t-il perdu ainsi, après quelques jours de souffrance ? Mais c'était Son dessein, que voulez-vous. Le Seigneur décide de la vie, de la mort, de tout. Pleurer chaque fois qu'Il reprend un enfant, pour des raison que Lui seul connaît, mais qui Lui sont forcément légitimes, pleurer parce qu'il faut faire un nouveau trou et y placer ce petit corps que nous n'avons pas eu le temps de connaître, pleurer alors que ça arrive si souvent et que même les femmes ne versent plus de larmes pour cette douleur si banale, préférant attendre, pour lui confectionner des habits, que le petit ait passé la première semaine et évité la "maladie des huit jours"... C'est le temps qu'il faut au Seigneur pour décider si vraiment le gosse a sa place ici, sur cette île qu'Il semble parfois avoir oubliée, même si personne n'oserait le formuler ainsi. Pleurer un enfant mort reviendrait à contester Sa toute-puissance. Pas un, ici, ne songerait même à commencer de l'imaginer.