Musique: "Taraf de Haïdouks", orchestre 100% Rom.
«L’imprimeur est loué pour la précision, la propreté de l’impression, pour la pureté de la correction, et tout ce qui s’ensuit », disait Francesco d’une voix courroucée. « Faut-il encore qu’il s’approprie les louanges qui appartiennent à des hommes qu’on a laissés dans l’oubli, quoiqu’on leur ait l’obligation de ce que l’Imprimerie a de plus beau ? Aujourd’hui, tout le monde admire mon italique, mais moi, on ne sait plus que j’existe. Il y a même des gens pour penser qu’il a été gravé par Alde, comme si ce savant penseur savait faire cela. Je m’étonne que tous ceux qui s’extasient sur le mérite des imprimeurs ne disent mot des graveurs en caractères ; pourtant, l’imprimeur, ou plutôt le typographe, n’est au graveur que ce qu’un habile chanteur est à un bon compositeur de musique.»
"Les évangélistes intransigeants m'insupportent tout autant que les romains bigots. Pour les mêmes raisons: lorsqu'on se laisse aller aux extrêmes, ce qui est plus facile que de réfléchir, on devient idiot. Les idioties sont différentes, mais elles n'en sont pas moins des idioties. Toutes, et elles sont dangereuses. Il faut discuter, et non s'entre-tuer. Sinon l'Humanité ne s'élèvera jamais plus près du ciel."
Les fanatiques m’horripilent et, je ne sais pourquoi, le monde finit toujours par leur appartenir. Ce ne sont que quelques illuminés, des inconscients qui se sentent autorisés à agir en notre nom sans rien nous demander, et qui nous abandonnent ensuite avec le sang et les cendres qu’ils ont répandus dans leur sillage. La plupart de ceux qui paient ne sont pas responsables, ils ne savaient rien de ce qui se passait.
Par rapport à l’original, un texte traduit n’est rien sinon ce que le dessin est à la nature, le portrait à l’original, l’ombre à la substance
Sans l'espérance on n'atteint pas l'inespéré, qui est par définition inaccessible et introuvable, dit Héraclite. J'espérais, je ne sais trop quoi.
Et mon but, c'est la plénitude. Je n'ai plus le temps à perdre en malheurs.
Maître Beda n'y est pas allé de main morte : dans la préface déjà, il insulte les humanistes à grands coups de sabelliens, eunomiens, donatistes, hérétiques honteux, vaudois, hussites, wiklefistes déclarés, blasphémateurs, impies, immoraux. Qui plus est, il se vantait de ne pas avoir lu les livres qu'il condamnait. Douze ans après leur parution, il découvrait soudain cent quarante -trois propositions hérétiques, pas moins, dans les Commentaires sur les Epîtres de Paul, qu'il prétendait pourtant ne pas avoir lus !
“Je veux être écrivain. Mais je veux écrire sur tout, il faut que je fasse mes expériences.ˮ
“Alors, si tu écris sur les Chinois, il faut que tu deviennes chinoise ?ˮ
(p. 214)

D’un crayon agile, il a tracé les lettres :
MISET…BALI…RIBITORIAD
« Celles-ci étaient sur une pierre brisée, le reste manquait. Elles me plaisaient tout particulièrement, à cause de leurs proportions. Je n’avais pourtant jamais entendu parler de calligraphie humaniste, à l’époque. Tout juste de typographie. »
Maître Lefèvre les a contemplées, d’abord de près, puis de loin.
« Et maintenant, on vous envoie à Venise ? Je trouve l’idée excellente. »
« C’est essentiellement pour trouver des textes à publier. »
« Profitez-en pour apprendre ce que Venise peut transmettre. Vous ramènerez n France ce que notre compatriote Nicolas Janson, qui a quitté Paris pour apprendre l’imprimerie et n’y est jamais revenu, a laissé là-bas. » Il s’est soudain ressouvenu de moi. « Toi aussi, tu pars pour Venise, à ce qu’il paraît. N’oubliez pas, mes enfants : la manière dont l’Écriture sera couchée sur le papier, le fait qu’elle soit ou non lisible, cela est aussi vital que la pureté même du texte. »
Il a fouillé dans ses papiers.
« Puisse le paysan au manche de sa charrue en chanter des passages, le tisserand en moduler des bribes dans le va-et-vient de ses navettes, le voyageur alléger la fatigue de sa route avec des histoires ; puissent celles-ci faire les conversations de tous les chrétiens ! C’est beau, n’est-ce pas ? C’est mon ami Didier Érasme qui m’écrit cela. C’est une leçon qu’il faut retenir jusque dans la forme des lettres. »
« Vous devriez dire cela à Maître Estienne », a fait observer Maître Antoine. « Je crois qu’il ne le sait qu’à moitié. »
« Le simple fait qu’il vous envoie à Venise prouve qu’il le sait suffisamment. »
Là-dessus, nous nous sommes remis aux corrections. J’avoue ne pas avoir été tout à mon affaire. Ce qui s’était dit, le rôle que Maître Lefèvre attribuait à la typographie, me troublaient. Le métier que j’étais sur le point d’embrasser m’apparaissait soudain, pour la première fois, non plus comme un travail artisanal, mais comme une aventure de l’esprit.
Écrire, c’est un effort inouï. Être tout le temps à la hauteur de cet effort… j’en crèverais. Je ne peux pas toujours être au sommet de ma forme. Je revendique mes moments de médiocrité. Je revendique même une médiocrité constante, car je ne suis pas sûre du tout que pour écrire il faille des dons particuliers, que certains d’entre nous auraient et d’autres pas : je crois que seul l’acharnement à vouloir, et non la capacité de tenir une plume, distingue ceux qui publient de ceux qui ne publient pas. Ça et une dose de chance due à une série de hasards.