Je suis en route pour les chantiers mythiques où c’est qu’y’a l’air de faire toujours frette: Mont-Wright, Eastmain, La Romaine… Du pareil au même quand j’étais ti-cul. Pis encore aujourd’hui… Des pays lointains qui nous transforment tranquillement de l’intérieur. Je suis en route vers le mur qu’il a construit et qui nous sépare encore, vers là où il a sauvé notre peau. Parce que l’absence c’était notre méthadone pour passer au travers.
Je fais de la poésie qui chauffe le cœur un peu parce que ça fait vingt-ans au-dessus que chaque fois que mon père revient du Nord, il traîne un grand vent avec lui, un grand vent frette de février qui t’engourdit la gueule pis t’empêche d’ouvrir les yeux.
La montagne, les arbres centenaires, les racines dans la terre, le mur de roches bien droit ... Transformés par les hommes de chez nous en un chemin d'équerre. Comme un bus qu'on tire avec ses cheveux: ça sert pas à grand-chose, mais c'est impressionant.
j'attends la traverse
habillée
de colliers de varech
ma mort sent ta belle jeunesse
ça attire
les bélugas
personne ici
achève
de vouloir que j'y passe
Je resterais en l’air encore longtemps. Ça demande pas d’effort, le trajet, c’est le bout passif du voyage. C’est pour ça que j’adore faire de la route. Ça donne bonne conscience, ça te convainc que tu passes pas ton temps à te pogner le cul alors qu’en réalité, ça engage à rien. T’es toujours entre deux, sur la route. En attente.
Chez Air Inuit, les hôtesses montrent en vrai comment mettre notre flotte si on s’écrase. C’est pas une vidéo. Celle qui l’a fait tantôt avait la face d’une fille qui venait de perdre à pile ou face; elle avait pas un beau sourire comme dans Elvis Gratton, dans le boutte du film où il s’en va à Santa Banana. Elle regardait le plafond, évitait les yeux des gars qui souriaient en coin.
C’est faite. Je suis dans l’avion. Un Dash-8. J’ai l’air de connaître ça, mais pas pantoute, c’est juste écrit sur le dépliant dans la poche du siège d’en avant. Un Dash-8, ça sonne moins bas de gamme que je pensais. Ça fait moins peur… Un peu… Mettons que c’est moins pire que l’avion de brousse avec les portes qui ferment pas que je m’étais imaginé. Tu m’avais tellement dit que ce serait une petite machine…
J’ai le cœur gros. Je braillerais comme dans une scène de film avec un train qui part, mais je me retiens. C’est plein de goons autour qui partent pour quarante jours, je vais certainement pas pleurer pour même pas le quart de ça. Je regarde par la fenêtre pis je vois l’hélice. Quelqu’un qui passe en dessous quand ça tourne au sol, que je me dis, il se fait scalper c’est pas trop long. Je me change les idées.
Au décollage, t’étais là, l’autre bord de la grille, à côté d’une madame qui arrêtait pas de faire des tata. Elle était sûrement plus habituée que toi à ces départs-là. J’ai fait tata aussi, de mon hublot, en espérant que tu me verrais. Tu m’as envoyé la main rapidement, un coup. Tu faisais plus pitié que la madame. Le p’tit était pas avec toi. Je me suis dit qu’il devait dormir dans le char. Plein de temps entre vous autres tout seuls. Vous allez avoir du fun, je suis pas inquiète. Pensez pas trop à moi, là.
Je pars pas pour La Romaine le cœur léger. Je suis pas grosse dans mes shorts. Je sais pas de quoi ça a l’air, je suis pas trop manuelle, j’ai même pas de permis de conduire. J’espère que les gars vont être cool avec moi.
Je suis en route pour les chantiers mythiques où c’est qu’y’a l’air de faire toujours frette: Mont-Wright, Eastmain, La Romaine… Du pareil au même quand j’étais ti-cul. Pis encore aujourd’hui… Des pays lointains qui nous transforment tranquillement de l’intérieur. Je suis en route vers le mur qu’il a construit et qui nous sépare encore, vers là où il a sauvé notre peau. Parce que l’absence, c’était notre méthadone pour passer au travers. «Faites-vous-en pas, votre père est su’l’bord de repartir», que maman disait au bout de dix jours.
au fond de nos abîmes
nous danserons fracassés
mais heureux finalement
ma mère a découvert
qu'elle pouvait mettre ses jours
dans des pots mason
c'est noël partout
mais il y a juste chez nous
qu'on emballe la fin du monde
C'était lui, l'étranger, mais c'était nous autres qui étaient de trop
on me fait cadeau d’une poupée noire
pour me rappeler que je suis moins belle
que cette cousine qui part
tous les automnes
se baigner dans le déluge
la route a disparu
on dit qu'elle passe sur le haut de la côte
près des vestiges
de ce grand oncle géologue
qui aimait vivre
pour chercher l'or
au creux des femmes
Je suis juste une auteure qui vit sur des subventions pour écrire un livre de poésie pis qui s’est fait payer un voyage dans le Nord sur le bras des contribuables. Là, je vous entends penser. Vous vous dites : « Des poèmes ? Mes taxes payent ça, des poèmes ? » Ben oui, monsieur, ben oui, mais je vais vous répondre qu’au nombre d’appartements mal isolés que j’ai loués dans ma vie, c’est aussi un peu moi qui paye votre salaire.
Je suis en route vers le mur qu'il a construit et qui nous sépare encore, vers là où il a sauvé notre peau. Parce que l'absence, c'était notre méthadone pour passer au travers.
on entre au moment où
tu dégouttes encore
tous tes rêves canadiens
jusqu'où la neige est négligeable
un peu cher pour pas beau
mais c'est grand
trop
de petit mis ensemble