Quelle ironie, que ce soit justement des pensées aussi claires, aussi nettes qui lui permettent de s'évader. Gabriel se sentait plus intelligent quand il buvait, plus rationnel, plus décidé. La nuit allait peut-être pouvoir le satisfaire, tout compte fait.
Au cours des deux ans où il avait arpenté cette terre en tant que veilleur, il avait absorbé la puanteur des souffrances et de la misère humaines qui l'entouraient jusqu'à ce qu'il ne puisse plus supporter le sentiment d'impuissance et le désespoir qu'elles lui inspiraient. Tous ces regards suppliants, tristes, accablés étaient plus faciles à affronter lorsque ses sens trop aiguisés d'ange étaient affaiblis par le whisky, l'opium et surtout sa belle fée verte, l'absinthe, qu'il adorait.
Alors que, autrefois, il dégainait son épée au moindre problème, il comprenait aujourd'hui la valeur de la négociation et de la démocratie. Désormais, il était prêt à se conduire en diplomate.
L'important, ajouta-t-elle en secouant la tête, c'est que tu l'aimes - c'est le cas - et qu'il t'aime - c'est sans doute aussi le cas s'il t'a demandé de vivre avec lui. Pourquoi passer à côté de cela? Vas-y, Alex. Autorise-toi à être heureuse.
L'ennui, c'est qu'elle n'était pas du tout sûre de savoir comment faire. Heureuse? Elle avait du pain sur la planche.