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Citations de Erwan Larher (99)


Bientôt treize heures au Crystal, l’unique bar de Saint-Airy. On peut sans surprise s’y désaltérer, ou s’y abreuver, pourvu qu’on n’ait pas de chichiteuses exigences : inutile en effet d’y commander un spritz, un Moscow mule ou une margarita, Annie ne connaît en guise de cocktails que le Picon-bière et le whisky-Coca. Elle est la serveuse du Crystal depuis la fin des années 1980. Elle a été embauchée par le père d’Oliver, l’actuel patron. Beaucoup de clients n’ont connu qu’elle ; c’est utile quand il faut virer un poivrot véhément ou refuser de servir un dernier verre. Personne ne lui résiste, quand c’est non c’est non.
Au Crystal, on vend aussi de l’espoir sous forme de jeux de hasard, paris sur des courses hippiques ou des événements sportifs, tickets à gratter. On y trouve des cigarettes pour fumer entre deux grattages perdants. Quelques journaux et magazines s’y périment pépères, comme le sel de céleri que le client de passage trop confiant aura le malheur de mélanger à son jus de tomates. L’endroit n’a aucun charme, pas même celui du pittoresque : éclairage jaunasse, peinture verdâtre, plafond crasseux, mobilier en plastique. Le changement le plus marquant de ces cinquante dernières années, c’est que les consommateurs doivent désormais sortir pour fumer.
Si Annie est bien lunée, elle vous préparera une omelette, décongèlera un croque-monsieur ou composera un sandwich. Le pain provient de l’unique boulangerie du village. Il n’est pas très bon. Le mardi, le jeudi et le samedi, Véro, la femme du patron, cuisine un plat du jour peu élaboré. Le mercredi, elle a ses gosses, et du dimanche midi au mardi matin, le bar est fermé. Aujourd’hui, bavette à l’échalote. La viande n’a pas été achetée chez Renaut, le boucher de Saint-Airy, mais au supermarché, où elle est moins chère. Si on veut garder un plat du jour à un prix raisonnable et sa marge, il faut faire des choix. Eddy et Géraldine Renaut mettent rarement les pieds au Crystal.
– Je vous jure, je ne sais pas si c’est un homme ou une femme !
Victor libère son rire tonitruant. Quelques têtes se tournent aux tables voisines.
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Le vieux qui perd la boule, sa femme et sa mère emportées par des cancers, Victor n’est pas idiot : il se doute que les engrais et les pesticides dont il asperge sols et cultures déglinguent le corps humain. Combien de fois est-il descendu du tracteur après une journée d’épandage avec une migraine à hurler et du sang dans son mouchoir ? Il se doute aussi qu’il pollue les rivières et les nappes phréatiques. Mais ce n’est pas sûr. Si ces produits sont nocifs, pourquoi sont-ils autorisés ? C’est bien la preuve qu’on ne sait pas, non ? Seuls quelques écolos enragés qui n’ont jamais mis les pieds dans une ferme réclament leur interdiction, selon le président du plus puissant syndicat d’agriculteurs, qui ne manque jamais une occasion de ridiculiser ces ayatollahs.
– Ton président, Victor, il est aussi patron d’un groupe d’agroalimentaire qui pèse sept milliards de chiffre d’affaires. Une interdiction de certains produits serait mauvaise pour ses rendements.
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Paysage bucolique à tendance bocagère, relief vallonné, revêtement routier récent – à l’oreille, probablement un béton bitumineux drainant. Comme sur la plupart des voies carrossables hors agglomération, la vitesse maximale autorisée insulte la puissance, la tenue de route et les équipements de sécurité des automobiles récentes. Ces vingt dernières minutes, Sam a failli se faire flagrant délinquer deux fois par des radars mobiles de type Vitronic PoliScan F1 HP. Et maintenant que le moindre quidam à penchants délateurs peut prêter serment pour moucharder ses semblables, rien ne dit qu’un radar embarqué, dont sont friands les collecteurs de taxes, n’ait pas croisé sa trajectoire infractionnelle.
Sam aime rouler vite. Sous le capot de son van, un V8 de 7,3 litres et 430 chevaux ; boîte de vitesses anuelle, on sera vieux bien assez tôt.
Sam aime rouler vite et voue volontiers aux gémonies, majeur dressé à l’appui et appels de phares en renfort (le klaxon, trop vulgaire, ne s’actionne qu’en cas de danger), les absentéistes du clignotant, les pépères-voie-du-milieu, les déboîteurs intempestifs. Ceux qui doublent par la droite ou ne respectent pas les priorités, Sam les poursuit parfois en posant son gyrophare bleu sur le tableau de bord. Il sort ensuite sa fausse carte de policier et leur fait la morale – il déteste les incivilités. Les conducteurs penauds en sont quittes pour une bonne frayeur ; avec les trop véhéments, Sam joue parfois des poings.
– Vous êtes un humanoïde XT 352 ! s’exclame, l’air ravi, le gamin assis à l’arrière. Programmé pour le maintien de l’ordre !
– Ça n’existe pas les humanoïdes, petit, rigole Sam.
– Papa dit que si !
Sam plante son regard dans celui du père, assis au volant.
– Il ne faut pas croire tout ce que te dit ton papa. Comment faire confiance à quelqu’un qui jette son mégot par la fenêtre ?
Sur sa gauche, en sortie de virage, à une centaine de mètres, Sam en repère une. Encore. Au moins la dixième du trajet. En piteux état. Un chemin y mène qui part de la route, enroncé à hauteur d’homme, exubérant d’herbes folles, effacé bientôt d’être inemprunté – les mûres poussent en barquettes, désormais. Sam a ralenti, les larmes aux yeux déjà. Pourtant, ce ne sont que quelques murs (certains éboulés), des poutres et des tuiles (là où il en reste, la moitié de la toiture est effondrée). Pourtant, ce n’est qu’une longère abandonnée comme il s’en désagrège tant en périphérie de nos panoramismes. Ce ne sont que les vestiges de temps révolus, d’existences ante-écrans, hors champ, de vies sans avatars, de rythmes saisonniers, de mots démodés – blutoir, maie, souillarde, écuellier. Sam a beau se raisonner, détourner le regard, serrer les dents, ou les mains sur le volant, chaque fois s’ébroue l’ontologique chagrin, l’alpaguent d’irrépressibles sanglots.
Sam se souvient avec une précision très haute définition du moment où la malédiction se déclara, à l’adolescence, dans la Citroën paternelle, lorsque apparut dans son champ de vision, immédiat et violent choc esthétique, Collonges-la-Rouge. Depuis, la moindre fermette croulante en bordure d’autoroute lui fissure les paupières. Idem pour un presbytère déserté, une chapelle désaffectée, un logis ébouleux, un manoir croulant, mais aussi les églises, les châteaux, les lavoirs, les granges, bref tout ce qui a plus de cent cinquante ans, reflète le génie bâtisseur de l’homme et périclite. Sam n’a jamais parlé à personne de son hypersensibilité aux vieilles pierres négligées. Sans cette faiblesse structurelle, on pourrait juger parfaite sa maîtrise émotionnelle. C’est tellement saugrenu de pleurer à cause d’une ruine ! De pleurer les vies qui s’y sont succédé ? De pleurer l’ablation du passé ? La médiocrité du présent ? L’excision de la beauté ? L’avènement du fonctionnel ?
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Sylvain bosse pour Sam l’Escargot. On le questionne sans cesse : Il est sympa ? Bizarre ? Qu’est-ce qu’il fait dans la vie ? Est-ce qu’il vit seul ? C’est un homme ou une femme ? Hein ? hein ? Allez, Sylvain, tu peux me le dire, à moi !
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Sam sait qu’ils finiront par s’habituer. Par ne plus læ considérer comme une curiosité. Tous continueront à se demander ce qu’iel a entre les jambes, parce que la dichotomie féminin/masculin est un horizon difficile à dépasser, mais pour la plupart, la question stagnera en arrière-plan...
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Écrire. C'est comme vomir un soir de cuite : un acte irrépressible, désagréable, dont en même temps on espère un soulagement.
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Pour Grégoire, l'existence se construit. Dès l'enfance, on élabore un plan et une stratégie, que l'on suit sans dévier. Quand petite on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais : "Manger des pâtes au gruyère."
- Non mais comme métier, Jane.
Je ne comprenais pas la question. "Plus tard" n'a jamais voulu dire autre chose pour moi que "avant de faire dodo". (p. 150)
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Qui s'arrête pour faire le point ? Un vrai point, vu du dessus, un panoramique sur sa vie étriquée, sa vie de merde, sa vie sans intérêt.
Le faire, un jour.
Le faire et prendre peur.
Un jour le faire, puis tout quitter.
Et découvrir que de pourpres profondes peut s'érafler la nuit. (p. 50)
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Elle a l'impression que ça n'existe pas quelqu'un. Il y a des moments de quelqu'un, des facettes de quelqu'un, des instantanés de quelqu'un. Elle n'est jamais une, elle se sent multiple, mouvante.
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La littérature n'arrête pas les balles. Par contre, elle peut empêcher un doigt de se poser sur une gâchette. Peut être. Il faut tenter le pari. p237
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...les musiciens se figent puis quittent la scène en courant, des cris, du mouvement, ce ne sont pas des pétards, "Couchez-vous ! Couchez-vous !"
Je me jette au sol.
Là commence le roman à moins qu'il n'ait commencé sans me prévenir.
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Tu es un romancier qui invente des histoires, pas qui romance sa propre histoire. Tu as besoin de liberté. Tu ne veux pas décrire. L'odeur. Les HURLEMENTS. Au-delà des mots. Au-delà de l'imagination. Vous n'en saurez jamais rien, des HURLEMENTS, quelle que soit la plume.
Et puis tu as tendance à oublier ce qui t'as fait souffrir. A embellir. Enjoliver. Optimiser. C'est bien foutu, tout de même, le cerveau humain !
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Pareil quand ils nous gavent avec leurs classiques en cours de français. Je m'en tape de Zola, Hugo et Molière, moi. Pourquoi ne pas nous faire lire des trucs d'aujourd'hui, qui se passent aujourd'hui avec des gens d'aujourd'hui? Y'a que de la daube aujourd'hui, c'est ça? Les classiques de demain, ils sont pas écrits aujourd'hui, peut-être? Remarque non, les classiques de demain, y'en aura pas tellement ceux d'aujourd'hui nous ont dégoûtés de la lecture. En cours, on étudiera les séries, ce sera plus funky pour tout le monde. Et l'Ecrivain sera au chômage.
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Elle a toujours évité de penser à ce qu'elle aurait pu vivre, partager avec sa mère. elle côtoyait un fantôme, dont on vient d'arracher le drap. Et dessous, une femme qui a eu son âge assistait à des concerts, faisait la fête. Une inconnue.
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Un village, c’est réel; Paris, c’est un concept gore.
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le corps ne se retape pas sans amour ; il faut lui donner une raison de lutter. Tu bénis ton naturel jovial, qui te fait non pas prendre mais recevoir l'épreuve à la légère. Il existe un mot en occitan : lou ravi
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u crois que politicien, c'est médecin. Mais pas du tout. Le politicien c'est celui qui détourne l'attention de la douleur, pas celui qui fait la piqûre » . Ce n'est pas parce-que les gens geignent qu'ils veulent que les choses changent – et encore moins faire changer les choses, l'humain est paresseux. Combien se plaignent de leur conjoint mais restent en couple ? Combien se plaignent de leur patron mais ne démissionnent pas ? La démocratie, t'aperçois-tu, c'est la liberté de rouscailler. Jusqu'à la fin du XXe siècle, des citoyens descendaient dans les rues avec des slogans pour faire part de leur mécontentement. Jamais de leur joie, jamais de leur reconnaissance, jamais pour dire qu'ils étaient heureux... / ...Et que déjà au XVIe siècle, on savait que la forteresse des tyrans c'est l'inertie des peuples... / … Hélas, l'ère de l'éternelle actualité interdit la mise en perspective et tout le monde se moque que le mensonge d'aujourd'hui contredise celui d'hier. Comme sur le fil déroulant des réseaux sociaux, le passé est absorbé hors de vue, hors de l'écran, hors de l'actualité. Profondeur est devenu un grand mot. »
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Le jour où tu eus la révélation que tu étais aussi con que les autres, tu décidas de te retirer du monde.
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Comme si tu lisais des romans, je lui ai répondu. Il m’a envoyé un selfie avec sa bibliothèque en arrière-plan, comment il m’a châtiée le bâtard !
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L’hiver t’est merveille, à présent. Lactescente pureté tavelée de crissements…
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