Citations de Eugénio de Andrade (77)
“bien sûr, tu les désires, ces corps
où le temps n’a pas encore planté
ses cornes profondes — le désir n’est-il pas
l’ami le plus intime du soleil ?
Oui, tu les désires, comme si chacun
d’eux était le dernier, le dernier corps
que ton corps ait le pouvoir d’aimer.”
J'inventerai le jour où avec toi
et l'automne j'irai courir par les rues.
La lumière que nous foulons est si parfaite
qu'elle ne peut mourir, comme ne meurt
l'éclat du regard qui t'a vu te dévêtir.
CE QUI NE PEUT MOURIR
Dis-moi, redis-moi encore ce qui ne peut mourir:
la lumière, qui dans le sud est innocente
et grimpe aux troncs des pins;
le trot menu des matins de juin;
le bleu à pic du faucon;
les dunes, avec encore les traces
d'un autre été à porter aux lèvres.
Il est urgent d'inventer le bonheur, de multiplier les baisers, les moissons .
Il est urgent de découvrir des roses, des rivières et de clairs matins ...
Introduction au chant
Lève-toi en moi,
substance pure de mon chant.
Lumière terrestre, parfum.
Elève-toi, jasmin.
Lève-toi, et attise
la pierre et la chaux
les mains et l’âme.
Inonde, règne, enlumine.
Sois au moins oiseau,
printemps excessif.
Lève-toi en moi :
chante, délire, brûle.
Traduction libre: Creisifiction
Introdução ao canto
Ergue-te de mim,
substância pura do meu canto.
Luz terrestre, fragância.
Ergue-te, jasmim.
Ergue-te, e aquece
a cal e a pedra,
as mãos e a alma.
Inunda, reina, amanhece.
Ao menos tu sê ave,
primavera excessiva.
Ergue-te de mim:
canta, delira, arde.
in "Coração do dia" ("Coeur du jour"), 1958.
..
C'est un petit persan
bleu le chat de ce poème.
Comme n'importe quel autre, mon amour
pour cette âme ténue est maternel:
une caresse lèche son pelage
une autre met le soleil entre ses pattes
ou une fleur à la fenêtre.
Avec griffes, dents,et obstination
il fait une fête de ma vie.
Je veux dire, ce qui me reste d'elle.
Par un matin de juin je m'en irai pour la dernière fois.
Je m'en irai sans savoir où mène la route.
Ni la soif.
Même le plus friable
des mots
a des racines dans le soleil
comme le matin
des barques sur la mer.
Je ne sais si je t’écoute ou si seulement
la monotonie des grillons envahit la maison.
Un jour je serai moi-même ce chant,
le corps délivré, semblable
à la musique qui des cordes se détache.
L’air est mon élément, l’air.
J'ai aimé ces endroits
où le soleil
secrètement se laissait caresser.
Où étaient passées des lèvres
où les mains avaient couru innocentes,
Le silence brûle.
J'ai aimé comme on brise la pierre;
comme on se perd
dans l'insensible floraison de l'air.
Le silence
Quand la tendresse
paraît déjà fatiguée de son office,
et que le sommeil, la plus précaire des barques,
tarde encore,
quand tes yeux jaillissent
bleus
et recherchent
dans les miens une navigation sûre,
c’est que je te parle des mots
désemparés et déserts,
par le silence fascinés.
- - -
O Silêncio
Quando a ternura
parece já do seu ofício fatigada,
e o sono, a mais incerta barca,
inda demora,
quando azuis irrompem
os teus olhos
e procuram
nos meus navegação segura,
é que eu te falo das palavras
desamparadas e desertas,
pelo silêncio fascinadas.
« Obscuro Domínio », 1972.
Traverser le matin jusqu'à la feuille
des peupliers,
être frère d'une étoile, ou son fils,
ou peut-être père un jour d'une autre lumière de soie,
ignorer les eaux de mon nom,
les secrètes noces du regard,
les charbons et les lèvres de la soif,
ne pas savoir comment
l'on finit par mourir d'une telle hésitation ,
un si grand désir
d'être flamme, de brûler ainsi d'étoile
en étoile ,
jusqu'à la fin.
Je viens à la fenêtre pour regarder les cèdres
une dernière fois cet été ;
tu dors encore ; le jour se lève
dans la rumeur lointaine des sonnailles ;
ils se font plus proches, les sentiers
lents de l'automne,
les écharpes de brume,
le ciel brouillé au ras des collines.
p. 85
Avec le soleil grimpant aux arbres,
sans retard
le matin jaillira plus pur
et pourra se boire
MATIÈRE SOLAIRE 1980
I
Tu pourrais apprendre à la main
un autre art,
celui de traverser le verre ;
tu pourrais lui apprendre
à creuser la terre
dans laquelle tu suffoques syllabe après syllabe ;
et même à devenir eau,
là où, à force d'être regardées,
les étoiles tombaient.
p.23
La vérité, c'est que je n'ai jamais su le nom
de cette fleur qui dans certains regards
s'ouvre dès l'aube
maintenant il est trop tard pour le savoir.
Ce que je sais, c'est que même dans le sommeil
il y a une rumeur qui ne dort pas,
une manière pour la lumière de se poser, la trace
d'une larme brûlante.
Même le plus friable
des mots
a des racines dans le soleil-
comme le matin
des barques sur la mer.
J'inventerai le jour où avec toi
et l'automne j'irai courir par les rues.
La lumière que nous foulons est si parfaite
qu'elle ne peut mourir, comme ne meurt
l'éclat du regard qui t'a vu te dévêtir
Comment dormir,
comment dormir avec la pluie
tombant syllabe
après syllabe sur les yeux?
Jamais je n’ai désiré ainsi,
jamais :
les doigts, tous les doigts aveugles.
Couronné d’écume -
ainsi devrait être
le corps.
Et le feu.
Avec les sept couleurs, tu dessines un enfant,
la lampe, la lumière à l'entour,
Il n'y a rien sinon ce regard,
la branche d'aubépine, un soleil de soie,
impatient d'être fleur,
La nuit pour confidente.
MATIÈRE SOLAIRE 1980
III
Il y avait
un mot
dans l’obscurité.
Minuscule. Ignoré.
Il martelait dans l’obscurité.
Il martelait
dans le socle de l’eau.
Du fond du temps,
il martelait.
Contre le mur.
Un mot.
Dans l’obscurité.
Qui m’appelait.
p.25