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Critiques de Evelio Rosero (20)
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Le Carnaval des innocents

"La carozza de Bolivar",de son nom original, est l'histoire du docteur Proceso, gynécologue de Pasto, petite ville du sud de la Colombie ,"ville dont l’histoire était truffée de farces, qu’elles fussent militaires, politiques ou sociales, d’alcôve ou de trottoir, légères comme une plume ou lourdes comme un éléphant" , et de son char de Bolivar.



Par un concours de circonstances, grâce à son voisin Arcangel de los Rios,alias don Furibard du Klaxon , Proceso, qui comme passe-temps écrit depuis des années,"Le Grand Mensonge de Bolívar ou le mal nommé Libérateur –Biographie", l'histoire d'un homme qui a convaincu ses contemporains puis les générations suivantes ,qu'il était ce qu’il n’était pas, qu’il avait fait ce qu’il n’avait pas fait, et qu’il était entré dans l’histoire comme le héros qu’il n’était pas, va avoir l'idée d'une farce sordide. Un char de carnaval burlesque ,initialement construit pour moquer son voisin, au défilé du 6 janvier 1966, sera transformé à sa demande, en celui de Simon Bolivar (1783-1840)pour révéler la face caché du "grand héros révolutionnaire"de l'Amérique du Sud.

Il tombe alors avec fracas dans la dure réalité : personne ne sait ou ne veut rien savoir des réalités sur Bolívar, sauf les mensonges officiels appris à l’école....faire ce qui lui chante de ce héros national sur un char de carnaval, cela porte un nom : irrespect à l’égard du père de la patrie, et pour ces oiseaux-là c’est pire que de bafouer le bouclier, le drapeau et l’hymne national,une tentative qu'il va payer au prix fort.....



Côté vie privée pour le docteur ,ça ne va pas aussi, trés fort .Sa relation avec femme et enfant est au point mort, bien qu'il semble idolâtrer sa belle femme sensuelle ,objet de convoitise de toute une ville.....mais dans ces contrées, l'amour a des règles plus souples , aussi bien pour l'homme que la femme....



Dans la Colombie des années 60, alors qu'émergent des guérillas marxistes qui se réclament de Bolivar, l'auteur interroge la notion de héros national et le besoin de s'y référer.

En parallèle avec une relecture critique de l'histoire de l'indépendance latino-américaine ( un tout petit peu long....),il nous propose aussi le portrait brillant, d'une société provinciale tiraillée entre conservatisme de bon aloi et libération des moeurs et de la pensée.

Le burlesque ,l'ironie des situations,le tempérament bouillonnant sud-américain arrosé d'aguardiente ( eau de vie) et la plume sans concession de l'auteur ,donne un livre époustouflant ,où la tragédie se noie dans la farce ! Le carnaval ! des innocents? pas vraiment.....



Muchas gracias,Pecosa !











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Le Carnaval des innocents

Un immense merci à Babelio et aux éditions Métaillé pour l'envoi de ce livre que j'ai dévoré en 2 jours.



Cette simple information devrait suffire à dire à quel point ce roman a été - pour moi - un coup de foudre, mais Masse Critique mérite bien mieux que cela alors je vais développer.



Tout commence par un "simple" carnaval, tradition très importante dans beaucoup de pays d'Amérique latine, qui commémore souvent des événements en rapport avec l'esclavage et qui permet - encore aujourd'hui - dans ces pays marqués par de très fortes inégalités sociales, de mettre tout le monde au même "niveau" : celui de la folie et de l'amusement !

Et pourtant, ... le protagoniste de cette histoire, Justo Pastor Proceso, va découvrir à ses dépends qu'il y a des sujets avec lesquels on ne rigole pas, même le jour du carnaval !



Pour oublier sa famille qui n'a pas (ou vraiment très peu!) d'affection pour lieu, son mariage qui n'est rien de plus qu'une immense farce usée jusqu'à la corde, notre gynécologue amateur d'Histoire se lance comme défi de dévoiler la véritable face de Simon Bolivar - un héro très proche du zéro, peut-être même en dessous.



Dans ce roman, Evelio Rosero nous parle d'Histoire et des impostures et "mensonges utiles" que permet l'historiographie. Chaque peuple a besoin de héros, et quand les légendes ne suffisent plus, l'Histoire façonne des mythes vivants... mais à quel prix ! Ces impostures historiques sont mises en parallèle avec les faux-semblants et les apparences que l'on tente de maintenir en société pour cacher les divers délitements familiaux et échecs conjugaux. L'auteur se montre d'ailleurs très critique vis-à-vis de ces hypocrisies en tous genre de la société colombienne. La palme du pire va peut-être aux jeunes communistes d'ailleurs. Le tout est toutefois dit avec beaucoup d'humour (souvent noir..) et d'ironie pour rendre moins lourds les sujets tragiques abordés ici.



Il faut bien dire aussi que la construction du récit est parfaitement maîtrisée : que ce soit les différents niveaux de narration avec différents narrateurs, les allers-venus entre le temps du récit et le temps historique, ou le rythme tantôt haletant comme le souffle d'un boxeur entre deux rounds, piquant comme dans un vaudeville ou plus lent comme dans un thriller.



Et ce que j'ai aimé par-dessus tout, c'est bien sûr cette ambiance purement latino-américaine : entre bigoterie, fanatisme (religieux ou politique) et blasphème extrême. Comme Evelio Rosero le fait dire à l'un de ses personnages : la vie est courte et souvent tragique, alors autant en rire et en savourer chaque goutte !
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Le Carnaval des innocents

Nous sommes à San Juan de Pasto, Colombie en 1966, et le carnaval bat son plein. Le gynécologue et père tranquille Justo Pastor Proceso décide de se déguiser en gorille pour effrayer quelques passants lorsque lui vient une idée saugrenue. Obsédé par la figure du héros Simón Bolívar El Libertador qu'il exècre, le bon docteur décide de faire construire un char (titre original du roman, La carroza de Bolívar), non pas pour célébrer le grand homme lors du défilé du Carnaval de Negros y Blancos mais pour jeter à la face des festivaliers les erreurs militaires du Général et toutes ses impostures. D'autant que San Juan de Pasto est le lieu symbolique de la cruauté des troupes de Bolívar car il fut le théâtre en 1822 de saccages, meurtres, et autres atrocités commises par les hommes de Sucre.



Hélas pour ce brave praticien, on ne touche pas impunément à une figure historique aussi emblématique, non seulement en Colombie mais sur tout le continent américain. Pour de nombreux citoyens il est un héros, une icône, une figure révolutionnaire, chanté dans les écoles: « On a fait efficacement digérer aux gens la belle histoire de la Colombie avec sa ribambelle d'anges et de héros. (…) Ce Bolívar était un sacré fils de pute. » Les habitants de la ville qui ont eu vent du projet n'entendent pas laisser impuni ce crime de lèse-majesté. Le destin de Justo Pastor Proceso est en marche.



J'ai lu ce roman avec un peu d'appréhension. Comment évoquer la figure de Simón Bolívar quand un autre Colombien, Gabriel García Márquez, nous a déjà offert Le Général dans son labyrinthe ( et Álvaro Mutis, Le dernier visage)? Le talent de conteur d'Evelio Rosero nous fait oublier un instant le grand Gabo. Il dresse les portraits acérés des notables d'une ville de Colombie dans les années 60, et met en scène le déboulonnage en règle du mythe du Libertador ( Rosero s'appuie sur les écrits de José Rafael Sañudo, Estudios sobre la vida de Bolívar.) Mais c'est lorsque la folie carnavalesque atteint son paroxysme, emportant avec elle des vérités difficiles à appréhender pour notre héros que Le carnaval des innocents prend toute son ampleur. Justo Pastor Proceso brûle d'envie de clamer une vérité qui va à l'encontre de celle de ses compatriotes, profitant des vertus cathartiques du carnaval, qui permet aux hommes de se déguiser de faire peur, de renverser l'ordre établi au moins pendant quelques heures. S'ils effrayaient les institutions, les rites subversifs dans la plus grande tradition carnavalesque étaient les instruments de l'équilibre social. Avec son char de carton pâte , il n'est pas certain que le gynécologue colombien soit le garant de la paix sociale, ni dans sa ville ni dans son pays.

Merci aux éditions Métailié pour ce voyage en Colombie.
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Le Carnaval des innocents

Tout d'abord, je tiens a remercier Babelio pour leur opération masse critique ainsi que les éditions Métaillié pour l'envoi de ce roman.



Je ne vois que des critiques élogieuses pour ce roman et je suis bien embêtée au moment d'écrire cette critique car pour ma part, je suis partagée.



J'ai aime le voyage en Colombie, j'ai appris beaucoup sur les croyances, les coutumes, la politique et l'histoire du pays. Le récit est richement documenté. Par contre je n'ai pas aimé le style de l'auteur. Les phrases sont longues et confuses, on s'y perd facilement et puis aucun des personnages n'est vraiment sorti du lot. Je ne me suis pas attachée à eux.



C'est une lecture fastidieuse ou je pense il faut prendre son temps, faire éventuellement quelques recherches, car pour ma part, je ne suis pas vraiment calée en Histoire sud-américaine. En tout cas, l'auteur réécrit l'histoire de manière beaucoup élogieuse notamment pour Bolívar.



Mon bilan n'est pas entièrement négatif et je vous invite a lire ce livre pour ma part, je pense que je m'attendais a quelque chose de diffèrent.
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Le Carnaval des innocents

Entre vaudeville et roman picaresque, Evelio Rosero dresse le portrait d'un médecin obsédé de Simon Bolivar et qui décide, pour le carnaval de sa ville, Pasto, au sud de la Colombie, de construire un char qui révélera la vraie nature du Libérateur. Entre optimisme burlesque et pessimisme bouffon, Evelio Rosero mélange joyeusement les genres, tourne en dérision, pousse ses personnages à se dévoiler, opte pour une construction théâtrale de son livre et nous enjoint à réfléchir sur les grands mythes qui peuplent nos cultures.
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Casa de furia

Ce roman commence fort. "La maison de la furie" démarre avec une furie humoristique pour dépeindre les personnages (la famille ultra bourgeoise, son nombreux personnel et ses invités multiples) qui sont tous des "cas". Et puis, première alerte avec une bonne page de furie qui prend la forme d'une diatribe anti cléricale. C'est moins fort que chez un autre écrivain colombien, Fernando Vallejo, mais c'est lassant car cela revient rapidement en plus long et en plus lourd. puis on arrive à la furie sanguinaire qui n'apporte rien du tout si ce n'est le sentiment que l'auteur est passé à côté d'un bon roman pour sacrifier à ses démons. (simple opinion)
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Les armées

A San José, un petit village de Colombie, les jours s'écoulent, se suivent et se ressemblent pour ses habitants que l'on pourrait croire à l'abri des conflits internes qui déchirent le pays. Ismael Pasos, septuagénaire et personnage principal du roman, s'adonne paisiblement à son (ou ses) loisirs préférés : cueillir des oranges et mater la femme du voisin - au grand dam de sa femme , Otilia. Jusqu'au jour où les enlèvements et demandes de rançons arrivent , entraînant un bouleversement total de la vie de ce petite village.



Evelio Rosero arrive en une petite centaine de pages à faire basculer ses personnages de la banalité du quotidien à la violence arbitraire et au chaos de la folie dans laquelle elle plonge les personnages. Si le récit est lent au départ, il s'accélère d'un seul coup puis devient vite morcelé, laissant plané un doute dans l'esprit du lecteur quant au fait que les personnages ont ou non franchi le seuil de "l'équilibre" psychologique.

Les armées est une bonne façon de penser et compatir au sort de tous ces pauvres gens coincés entre forces paramilitaires et autres groupes armés colombiens - rendus plus "visibles" suite à l'enlèvement d'Ingrid Betancourt.



Totalement emportée par Le Carnaval des Innocents, il me tardait de retrouver l'univers d'Evelio Rosero, mais ici , j'ai été déçue de voir que les personnages étaient moins travaillés, avaient moins de profondeur que dans son dernier roman. Ce qui est bien dommage car c'est l'un des aspects qui m'avait le plus plu, d'un part. Mais aussi parce que cela m'a donné une impression d'un roman moins travaillé, et la sensation que l'auteur s'est moins approprié ses personnages.

Toutefois, mon jugement est sans doute biaisé du fait que je n'ai pas pu me détacher de la comparaison avec son autre roman. Les armées peut donc permettre au lecteur une étape dans un voyage littéraire de la Colombie.

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Le Carnaval des innocents

Début intéressant, Bolivie, le carnaval des innocents , blagues de toutes sortes, déguisement, personnages truculents mais qui ne servent en fait qu'à introduire l'opinion politique de l'auteur via des racoleuses anecdotes sur le fondateur, le sanguinaire 'libérateur' Simon Bolivar.



J'aime l'Histoire bien racontée. Amin Maalouf me régale avec 'les croisades vues par les arabes' mais ici ce côté 'ragot' ne m'a pas plu.



Style touffu, ça n'avance pas. Détails sans intérêt.
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Le Carnaval des innocents

Je viens de terminer ce livre qui m'avait attiré par le coté Amérique du sud, années 1960, et un certain style décontracté de ce roman.

J'ai aimé le début, cette décontraction dans cette ville de Pasto.

J'ai aimé la construction de ce char représentant toutes les perversions de ce "héro" : Bolivar, avec les explications historiques d'un professeur d'histoire.

Les démêles de ce Docteur avec sa famille sont assez décontractés.

Cette petite ville est en liesse on a l'impression de l'être aussi avec eux (pas mon genre) mais cela me paraît un peu gros.

Au final je n'en garderai pas de souvenir impérissable, car la fin me laisse sur ma faim.

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Le Carnaval des innocents

Roman passionnant qui permet d'en savoir plus sur la période d'indépendance latino-américaine, j'ai aimé découvrir la Colombie à travers les pages de ce roman de qualité. Qu'est-ce qui fait que les nations et le peuple ont besoin de héros national ? C'est une question intéressante à se poser. Une véritable tragédie où se mêle la grande histoire et la petite histoire. Lors de ce carnaval très important où riches et pauvres se retrouvent sur un pied d'égalité tout le monde n'est pas innocent.



Ce livre parle des impostures, du mensonge et comment ont crée des héros, il parle aussi de la famille où là aussi il y a tant de mensonges, de postures, d'arrangements avec la vérité. L'auteur se sert de tout cela avec brio pour nous conter l'histoire de Justo Pastor Proseco, qui est mal dans sa vie personnelle qui est un fiasco sa famille se fiche de lui, son mariage est une mascarade tout ceci agrémenté d'une bonne dose de cynisme et d'humour très noir . Un pur bonheur, il y a beaucoup d'ironie mais beaucoup de tragédie aussi et ça marche bien pour happer le lecteur et le tenir en haleine.



En tout cas, je pense que ce type de roman ne laissera personne indifférent c'est soit on aime vraiment soit on passe tout à fait à coté.



VERDICT



Tout les fans d'Amérique du Sud devraient adorer et d'histoire dans l'Histoire.
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Juliana les regarde

Mais qui est cet immense écrivain colombien, Evelio Rosero ? Un magicien apparement.



Je ne veux pas chercher à savoir d’où il vient, ce qu’il a écrit, déjà. Je veux prolonger le rêve.



Je viens de lire la nouvelle traduction française de son tout premier roman : Juliana los mira (paru initialement en 1986). Nouvelle traduction brillante de l’espagnol (Colombie) vers le français, par François Gaudry.



En quelques mots, voici Juliana, dix ans, fille d’un ministre colombien et d’une mère de famille alcoolique et décadente. Je ne sais pas si on peut dire qu’Evelio Rosero a une « écriture colombienne ». Je ne crois pas connaitre la littérature colombienne suffisamment pour en juger, et peu importe. D’ailleurs, cette histoire aurait pu se passer n’importe où au sein d’une famille qui meurt d’un ennui doré. Si ce n’étaient quelques apparitions du président de la Colombie, la mention d’un costume de narcotrafiquant porté par Camila, l’amie de Juliana et les menaces récurrentes d’enlèvements — banals en Colombie dans les années 1980 — cette histoire aurait pu se passer n’importe où.



Revenons à la petite Juliana, qui fête son anniversaire.



Elle rencontre Camila, une jeune fille riche, enfant de l’amie de sa mère, à peine plus âgée qu’elle, mais qui semble avoir tout vu, tout fait : « capable de boire des vodkas, de s’envoler ». Ensemble, elles découvrent les jeux de l’amour, et de la peur, la sexualité précoce et morbide, la terreur qu’elle engendre.



Mais qui est Camila ? La part d’ombre de Juliana ? Qui est Juliana ? Une petite fille riche ? Un garçon manqué, comme le lui répète sa mère ? Qui est l’ami de Camila avec qui elle a découvert des jeux érotiques à Mexico ? On ne sait pas ce qui est mirage ou réalité. Les sons, les couleurs, les bruits se mélangent dans un tourbillon anxiogène et chatoyant jusqu’à mener à la souffrance.



Rosero est un immense écrivain.



Ce qui est remarquable dans son écriture, c’est qu’elle n’assiste jamais le lecteur. A lui de lire entre les lignes. Rosero ne nous dit pas que penser : « c’est mal, c’est bien », il ne s’embarrasse pas de morale.

Sa prose est sonnante et poétique, les mots sont répétés identiques, ou déclinés, à l’envi. Le flux de parole est ininterrompu, comme un monologue débité d’une traite, sans presque de pause. Comme des refrains incessants. Tant et si bien, qu’on ne sait ce qui est vrai ou fantasmé, vu ou imaginé.



Et finalement, quelle importance ?



La narratrice observe les autres et s’observe les regarder. C’est terrifiant. Ce qu’elle voit est halluciné. Elle ne semble pas exister pour les adultes, pas vraiment, elle les dérange. Elle n’est que spectatrice, étrangère à son propre corps.



Disons, que deux petites filles s’enferment dans une chambre, imitent les adultes et réinventent le monde en découvrant leurs corps.



Très vite, en lisant le texte, j’ai pensé à L‘Amant de Marguerite Duras : une jeune fille qui raconte son histoire, l’érotisme, la peur de perdre l’autre et le rapport au corps : ne plus savoir si l’on investit son propre corps ou si l’on est l’autre. L’amour et la cruauté, la fièvre, le temps figé et beau, l’eau.



Tout est suggéré, par les mots simples d’une petite fille. Comme chez Duras, l’amour se fait dans la douleur. Quand les corps s’unissent, ils ne s’apportent aucun réconfort, mais plutôt une immense prise de conscience du vide incommensurable entre les êtres. Personne ne se comprend, c’est un dialogue vain.



Il y aurait beaucoup à dire sur le texte de Roserio. Du point de vue du style : très sonnant, déconstruit, oral ; des thèmes : le genre, la sexualité, l’amour, la haine, le suicide… mais l’on risquerait de gâcher le texte à trop vouloir le psychanalyser, le disséquer.



Ce qu’il faut retenir, c’est la beauté terrible des mots, j’ai eu envie de tomber, je me suis fait happer par les lignes que j’ai lues d’une traite. Tout est halluciné, délirant, juste et triste.

Les adultes, seuls, malheureux et lubriques n’offrent aucun secours aux enfants, livrés à eux-mêmes, brinquebalés de ci, de là, par leurs domestiques. Les adultes se brisent, et se déchirent de l’intérieur. L’enfant impuissante, assiste à la chute de sa mère, au temps qui se fige et aux coeurs qui se fendent.



Juliana observe impuissante ce manège morbide de la haute société colombienne. On devine la prise de cocaïne et d’amphétamines, l’alcool et le cannabis. Rien n’est dit explicitement, c’est cela la force. C’est indicible, c’est tabou. On regarde par la serrure. Voyeurisme et exhibitionnisme : tout le monde est tour à tour victime et agresseur, passif-agressif, mais toujours abhorré.



Juliana les regarde.



Tout est sexualisé, c’est extrêmement dérangeant : les femmes ivres qui se roulent dans l’herbe et dont on découvre qu’elles n’ont pas de culotte, le curé qui confesse Camila et semble avide de découvrir comment elle se tripote sous le lit, le président de la République qui étouffe sous ses bras les petites en les embrassant, Esteban le chauffeur et l’amant de la mère de Juliana qui observe la petite quand elle met son pyjama, l’odeur « des putes » qui recouvre le père …



Enfin, l’eau est partout, à la piscine, dans les yeux fluos des canards, pupilles liquides et pitoyables, dans l’aquarium à l’eau imaginaire de Camila, dans son lit qui se fait comme une mer, dans les yeux mouillés de larmes de Juliana qui meurt d’amour…

On se noie, on s’étouffe, on menace de sombrer.



Conte macabre, périple à l’intérieur d’une conscience délirante, Rosero fait surgir intensément un monde oublié. C’est un texte brillant et une grande découverte pour moi.



"Esteban coince maman près du miroir, une chauve-souris noire, elle son cou une veine, les bras en T, droite, sa jambe fait comme un triangle pour qu’il soit dedans, je comprends, pour qu’il puisse pas s’échapper, je comprends, pour qu’il ne s’envole pas d’ailleurs, pour que lui seul vole en elle, je comprends qu’il l’envole éternellement, maman est une cage, tous les deux éclatent, se démolissent, il la tue en dedans et elle aussi encore plus dedans, ils se tuent, tue-moi Esteban, tue-moi maintenant, mais moi je ne suis pas morte, maman si, elle a les yeux du canard mourant, Esteban lui mord les seins et c’est moi qui sent la douleur des morsures, il lui parle à l’oreille et j’écoute, il lui lèche et lui relèche la poitrine et moi je le sens, touche-les Camila, ils sont durs, ils sont froids, il suce, il mange, il avale, les peaux les plus secrètes s’ouvrent sous ses dents, on crie tous les trois dans le miroir, maman, moi, lui, un froid descend de ma nuque sur mon dos, à l’intérieur de moi et se transforme en goutte et c’est papa qui me serre, qui me lève et me descend, et j’ai une peur de mille ans, la goutte sort, là, papa est le monstre caché, mais je ne pleure plus en pensant à toi, papa, même si je vois dans le miroir que maman se moque, tordue, retordue, et je me vois aussi dans le miroir en train de les regarder eux et moi-même, c’est mes yeux, Camila, mes yeux qui les regardent, maman comme si elle voulait l’avaler tout entier […]"



Juliana les regarde, Evelio Rosero (traduit par François Gaudry).



Un roman à paraître le 12 avril 2018 chez Métailié.
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Les armées

Un auteur que je ne connaissais pas, je continue mes découvertes dans la littérature Hispanique et j'aime plutôt bien jusque là. C'est ici un roman court qui commence légèrement, tout est beau et tout à coup tout bascule dans la violence. Et là j'ai eu du mal à suivre, tant de factions différentes. On suit Ismael qui a 70 ans et qui est le narrateur de l'histoire, il revient dans son ancien village et ne reconnait plus rien.



Ce qui est terrifiant c'est de se dire que la population colombienne de nos jours vit encore dans ces conditions et subit la violence de la guerilla. Il y a malgré tout dans ce chaos de l'espoir et le narrateur ajoute une touche d'humour nécessaire tant le reste est désespérant.



Un livre suffoquant, dur et qui fait tristement écho aux événements actuels. J'ai bien aimé mais je ne pense pas que je le relirai.



VERDICT



Devrait plaire aux lecteurs de drame et de roman où la violence a une grande part.
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Le Carnaval des innocents

Nous sommes à Pasto, petite ville du Sud de la Colombie, dans les années soixante, quelques jours avant le carnaval des Noirs et des Blancs, la grande fête annuelle attendue par tous, avec son célèbre défilé de chars.

Si vous imaginez déjà la salsa et les cocotiers, détrompez-vous vite: l'ambiance, dans cette ville andine, c'est plutôt froid, brouillard et forêts d'eucalyptus, et une sorte de mélancolie de vivre toujours sous-jacente, qu'on noie dans l'aguardiente.



Le docteur Proceso Lopez est un raté. Malgré son succès professionnel, sa maison confortable, son mariage stable, il est méprisé autant par sa femme qui le trompe allègrement, que par ses deux filles qui l'ignorent. Il faut dire que lui même n'est pas des plus sympathiques ou admirables.

Désabusé, il se conforte dans la seule idée qui éveille encore en lui une lueur d'intérêt: un jour, il va prouver au monde que Simon Bolivar, le grand libérateur, héros des guerres d'indépendance et leader de la Grande Colombie, n'était en fait qu'un salaud. On a chacun les consolations qu'on peut...



Le récit commençait bien, sur les chapeaux de roue, et j'ai été au départ séduite par l'humour pince-sans-rire, la galerie de personnages et la succession de scènes cocasses qui nous plongent dans la vie quotidienne de cette petite ville. Mais je me suis retrouvée assez vite à m'ennuyer, et à me sentir découragée par les longueurs et les détours de cette histoire qui finalement ne tourne autour de pas grand chose.



La langue est belle, j'ai apprécié le voyage à Pasto et je lirai sûrement un autre livre d'Evelio Rosero pour me faire une meilleure idée de cet auteur. Mais le sujet de ce livre en particulier m'a semblé trop rébarbatif et le ton tellement cynique que ça en devenait lourd.
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Juliana les regarde

Difficile de critiquer un bouquin pas aimé qui n’est sûrement pas dénué de valeur tant il montre bien ce que je n’avais pas vraiment envie de voir. Car là, c’est pas passé.



Un fille de dix ans découvre le trouble dans une atmosphère glaucasse entre l’alcoolisme de sa mère qui baise avec le chauffeur, une copine qui avale les pilules roses et bleues de ses parents, au milieu du fric, des piscines…



Un mélange entre attirance et répulsion très bien rendu mais qui laisse une sensation désagréable.
Lien : http://noid.ch/juliana-les-r..
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Les armées

out commence comme une belle chronique villageoise, paisible, agréable, et puis l'histoire bascule : il est difficile de ne pas se perdre entre toutes les bandes armées en action. Celles qui attaquent. Celles qui défendent. Sont-ce des militaires, des para-militaires, des narco-trafiquants, des guérilleros, ...? Et somme toute, peut importe. La chronique du village devient un enfer, les maisons des ruines et les habitants des fantomes qui préfèrent s'en aller ailleurs, sans malgré tout être sûrs de rester en vie.

Roman qui fait froid dans le dos lorsqu'on pense qu'il est écrit très récemment (paru en 2007 et traduit en 2008) et qui décrit la réalité des villages colombiens....
Lien : http://lyvres.over-blog.com/..
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Le Carnaval des innocents

Ce roman est une farce colombienne. Le personnage principal est un char de carnaval burlesque, et toute l’histoire tourne autour de ce char, prétexte à raconter la véritable histoire de Bolivar. Le personnage principal médecin aisé, amoureux de son épouse (pas trop fidèle), père de 2 filles (assez méprisantes), est obsédé par la face cachée du grand héros révolutionnaire. En toile de fond, l’auteur dresse un portrait brillant de la société, des croyances, des coutumes et de la politique. J’ai assez bien aimé ce roman. Le style est toutefois un peu emberlificoté avec de longues phrases. YR
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Le Carnaval des innocents

Fin décembre 1966, la petite ville de Pasto, située dans le sud de la Colombie, non loin de la frontière avec l’Équateur, est en effervescence : la population s’apprête à célébrer le Carnaval des Noirs et Blancs, l’un des plus importants carnavals du pays et qui a été inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2009 – rien que ça ! – et dont la dernière journée, nommée le Jour des Blancs, est marquée par des jets de talc ou de mousse à raser sur la foule, suivi par un défilé de chars et de figures en papiers mâchés. Le roman s’ouvre alors sur la journée du 28 décembre 1966, la journée des Saints-Innocents, où la tradition donne lieu à un arrosage collectif de la population, en signe de purification et qui marque le début des festivités.



Le docteur Justo Pastor Proceso López, gynécologue apprécié pour son doigté par la gente féminine et surnommé par sa femme adultère « le docteur Bourricot », s’apprête à prendre part aux festivités, laissant temporairement son hobby de côté, hobby qui consiste à enquêter et à écrire une immense biographie sur Simón Bolívar, le « Libertador », véritable mythe dans l’Amérique latine ainsi que dans le monde, dont le projet politique notable fut la création d’une Grande Colombie, réunissant alors quatre pays, à savoir le Panamá, la Colombie, l’Équateur et le Venezuela.



Plus qu’un simple divertissement pour le lecteur, on sent qu’Evelio Rosero s’amuse lui-même, en jonglant avec les genres littéraires, passant du vaudeville au roman picaresque, avec un détour par le document historique, pour se terminer, comme toute bonne comédie, par le tragique en présentant au final un homme abandonné de tous et qui déambule dans un carnaval qui prend des allures orgiaques. Avec ses phrases longues et son style léger, Le carnaval des innocents est un excellent roman qui amène le lecteur à réfléchir sur ses obsessions mais aussi sur la représentation des mythes qui nous entourent.
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Les armées

Perché dans un oranger de son jardin, Ismael regarde sa jolie voisine prendre un bain de soleil de l’autre côté du mur. Ismael a toujours aimé regarder les femmes, Otilia son épouse pense que c’est une honte, un instituteur à la retraite ne doit pas devenir un vieux voyeur.

San José était une jolie petite ville colombienne avant que des gens ne commencent à disparaître et que des hommes en armes que personne ne peut identifier ne patrouillent dans les rues et se battent sur les places.

L’atmosphère du village se dégrade et Ismael perd confiance dans ses capacités. Un matin au retour de sa promenade il apprend que ses voisins ont été enlevés et qu’Otilia, inquiète, est partie à sa recherche dans le village.

Les habitants s’enfuient mais il décide de rester pour attendre Otilia.Evelio Rosero nous montre le monde du point de vue du vieil instituteur dont la stabilité mentale s’effondre lorsque le village est dévasté, il nous donne à voir ce qu’est la violence arbitraire et irrationnelle exercée sur des otages anonymes par la guérilla colombienne.

Mais Rosero aborde ce thème usé de façon radicalement différente. Parce que le narrateur est un vieillard et le cadre des ruines, le style est hésitant, syncopé, toujours au bord de l’hésitation. Au lieu de raconter la dégradation et la violence, l’auteur compose un roman dégradé et violent.Ce livre à reçu le premier prix Tusquets à Guadalajara en 2006, dont le jury était présidé par Alberto Manguel.
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Les armées

Dans le village tranquille de San José, Ismael, instituteur à la retraite, cueille des oranges. Mais selon sa femme Otilia, c’est surtout un prétexte pour découvrir le corps de leur jeune voisine, Geraldina, qui aime se balader nue au soleil. Ismael se défend mais il découvre surtout qu’en vieillissant, il est de moins en moins discret. Cette innocence presque enfantine, une fois passer les murs, est bouleversée par des enlèvements successifs. Des maris, des épouses et ses enfants disparaissent du village colombien. C’est ainsi que la menace extérieure envahit peu à peu le village soit disant tranquille. Le vieil Ismaël est atteint avec la disparition de sa femme, Ottilia, qu’il ne cesse de chercher en errant dans les rues de San José.



Ce livre est passionnant par le climat oppressant et la folie qu’il installe. Cette histoire commence sur un ton très léger pour mieux s’engouffrer dans la pesanteur des menaces. Ces armées mentionnées dans le titre sont autant celles du pouvoir en place que celles des opposants. Elles s’immiscent partout, détruisant le paradis que chaque famille a créé. Au milieu de ces hommes et femmes meurtris, nous suivons la recherche d’Ismaël. Malgré la vieillesse et les douleurs physiques, il recherche son amour et toute sa quête devient alors la plus belle des déclarations. Sa vie a perdu tout son sens. Son esprit se perd tranquillement. N’ayant que son point de vue comme repère, nous ne savons pas si ses descriptions sont réelles ou complètement imaginaires. Le ton est poignant et le lecteur ne peut qu’accompagner cet homme qui révèle son courage. Face à la violence des armées, à la perte de ses proches et à la désertion des autorités, Ismaël ne baisse ni les bras ni le regard. En filigrane, l’auteur pose la question du courage et de la meilleure façon de se protéger de la terreur.
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Les armées

Evelio Rosero est né en 58 à Bogota.Auteur de nombreux romans il a reçu le Prix national de littérature et pour Les armées le Prix Tusquets mais je ne sais pas ce que c'est.Je ne suis pas un très gros client de la littérature sud-américaine,son baroque ayant parfois tendance à me fatiguer.Notamment les fleuves écrits de certains,un peu de la logorrhée pour moi.Mais j'ai assez aimé Les armées court roman de 156 pages.Pas bouleversant d'originalité et traitant comme presque tout écrit de là-bas de guérilleros et de disparitions Les armées touche pourtant du doigt cette folie qui guette le continent entier à travers le vieil instit Ismäel,qui perd sa femme,ne retrouve plus sa maison dans son village et finit par voir sa raison tanguer entre assassins et policiers et réciproquement.

Inférieur cependant au beau livre,plus riche et plus fouillé de Daniel Alarcon Lost city radio..Mais il y a quelques fulgurances autour de certains personnages comme le vendeur d'empenadas ou le vieux guérisseur.Me confirme toute fois que cette littérature n'est pas la plus proche de moi.Ou vice-versa.
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