Richard Burton, traducteur des Mille et Une nuits non expurgées, de textes orientaux érotiques, premier européen à entrer, déguisé en afghan, à la Mecque, premier à entrer, pire encore, non déguisé, à Harar, lieu sacré d'où les étrangers ne sortent pas vivants, pratiquant 40 langues, initié au soufisme, pratiquant l'hypnose et enfin, découvreur des sources du Nil.
Obligée que je suis par honnêteté de convenir qu'il n'a pas vraiment découvert les sources du Nil, ni son accompagnateur Speke non plus, et que ces recherches qui ont passionné les géographes du XIX siècle viennnent de trouver une issue ( mais, est elle la dernière ?) en 2005, car il y a de multiples sources du Nil blanc.
Fawn Brodie , née dans une famille mormone, nous donne une bibliographie très détaillée de la vie de Richard Burton. La préface de Michel le Bris met en évidence son caractère énigmatique, d'où, passionnant.
Extravagant, anti-victorien, original, exceptionnel, homme à part, un diable, un démon, un génie.
Pourquoi se précipite-t-il en Afrique ? Fawn Brodie pense que la perte de gens aimés ( pour Bruce, orphelin, puis veuf, pour Burton, décès de sa mère, pour Livingstone, mort de sa femme) en est le moteur .
C'est un militaire, passionné par l'Orient, puis par l'Afrique, et expérimentateur passionné de la plupart des perversions humaines.
Borges dit de lui qu'il expérimenta « toutes les manières d'être un homme que connaissent les hommes ».
Mais sous l'Angleterre victorienne, son érotomanie est bien évidemment mal vue : s'il parle de pratiques sexuelles, c'est qu'il y a participé. S'il mesure la longueur du pénis des hommes d'Afrique, c'est qu'il doit être un peu homosexuel… et aussi pédophile ...et pourquoi pas assassin. S'il a visité un bordel homosexuel de Karachi, s'il décrit avec précision les rites de castration, d'infibulation, de scarification, de sacrifices humains, les « mille et une inventions de l'homme pour tuer, avilir, faire souffrir, rendre fou », c'est qu'il est concerné.
Mais pourquoi ?
Parce que, pour Burton, rien de ce qui est inhumain n'est étranger à l'homme. D'autres explorateurs se sont contentés de ne rien voir, de ne rien essayer de comprendre. Lui, si.
Comment vous sentez-vous après avoir tué quelqu'un? » lui demande-t-on le jour de son mariage. Richard Burton réplique :
« Oh, le mieux du monde, et vous-même ? »
Il est, aussi, selon le Bris, « négociant persan, médecin hindou, marchand arabe, derviche initié, consul, époux attentionné », fou de voyages.
Burton, l'explorateur.
Fawn Brodie nous raconte ses démêlés célèbres avec Speke, avec qui il part depuis Zanzibar vers le lac Tanganyika. Autant Burton, peu regardant à la morale, même s'il condamne la pratique, peut communiquer avec les trafiquants d'esclaves arabes, autant Speke, qui aime chasser et dépecer les bêtes, ne peut que se sentir exclu. Alors ce dernier part seul, prétend avoir vu, de ses yeux vu, la source du Nil, rentre à Londres en catimini et pense triompher, sauf que, pas de chance pour les pauvres types, non seulement il a trahi Burton, il a essayé de triompher seul mais il s'est trompé sur les latitudes…. Et se suicide.
Burton, lui, consul à Fernando Poo (l'actuelle Guinée Equatoriale)en profite pour remonter le fleuve Niger, pour escalader la montagne camerounaise, pour aller dans le royaume redouté d Abomey, puis au Nigéria, et au Gabon, avant de revenir à Londres, enfin consul à Damas, dans cet orient qu'il connaît si bien.
Dire aussi qu'Isabel, sa femme, a passé plusieurs mois à brûler ses écrits par trop brûlants.
Commenter  J’apprécie         4717
Dépaysement spatio-temporel garanti avec cette passionnante biographie par laquelle on se laisse happer et dans laquelle on s’enfonce comme dans une jungle redoutable et inexplorée, dans un mi-temps du 19ème siècle où le monde recelait encore des secrets et des terres inconnues au conquérant occidental.
C’est un joli tour de force de la part de l’auteur d’avoir réussi à habiller de chair et de vie un homme qui, toute aventureuse que soit sa vie et toute imposante que soit sa production littéraire, n’a laissé derrière lui que peu de traces de sa personnalité profonde et de ses zones d’ombre, son épouse ayant mis le feu à ses écrits les plus intimes et ses narrations les plus compromettantes afin de tenter de sauvegarder par -delà la temps la respectabilité de son image de gentleman.
Peine perdue, tout au long de sa vie cet homme aura senti le soufre, et ce parfum exhale de chaque page de cette biographie vibrante et très immersive, de l’Inde coloniale aux confins inconnus des sources du Nil, des cités interdites aux mécréants de La Mecque et de Harar aux comptoirs moites de Zanzibar et du Brésil, autant de contrées sous domination anglaise que le lecteur a la sensation de découvrir en même temps que Sir Richard Burton, voire de souffrir avec lui des mille souffrances dues à la chaleur, l’épuisement, la nature hostile et autres dangers ahurissants de ces voyages vers l’inconnu.
Mais le bonhomme n’a pas que le seul attrait de l’explorateur ni le livre celui de l’aventure : ce qui colle le lecteur au récit, c’est d’abord la force d’un caractère aussi attirant que répulsif, très loin des codes victoriens, ne serait-ce que parce qu’il a grandi en France (shocking) et se sentira toujours plus proche du monde arabe que de ses compatriotes britanniques. Rétif à la tiédeur et à la retenue, impulsif, puissant, Burton est un type doué d’une capacité d’apprendre phénoménale, curieux de tout savoir des espaces comme des hommes qui les habitent, et prêt à tout pour satisfaire cette curiosité : apprendre près de quarante langues et dialectes, se faire passer pour un autre, enfreindre les ordres, marcher des semaines entière dans des contrés hostiles puis, quand il ne pourra plus marcher, passer du défrichage des terres à celui des grands textes orientaux avec une attirance particulière pour les plus sulfureux.
Ajoutez à cela une improbable Madame Burton mi- bigote mi-pétroleuse, des trahisons et des amitiés hors normes au sein du petit monde des explorateurs, quelques vers sauvés des flammes qui laissent apparaitre en creux une âme plus torturée et profonde que ne le montre son personnage social : un diable d’homme, en somme.
Commenter  J’apprécie         284
Richard Burton est sans aucun doute l'un des personnages les plus singuliers ayant vécu sur Terre. Aventurier né, toujours prêt à expérimenter et découvrir, il a voyagé tout autour du monde à une époque où le moindre déplacement était une épreuve. Et sa vie privée étant à la hauteur de ses exploits publics, sa biographie ne pouvait qu'être extraordinaire. Fawn Brodie fait de cette biographie un des plus formidables romans d'aventure qui soit. Idéal pour les baroudeurs en manque de lecture.
Commenter  J’apprécie         61
"La mâchoire d’un démon et le front d’un dieu."
C'est ainsi que le chétif Swinburne décrivait Richard Francis Burton, précisant cependant:
«Pas la moindre gentillesse dans le regard. Ses mâchoires puissantes, son menton dur, lui donnent l’air d’être capable du pire.»
Sans même parler de ses invraisemblables compétences martiales et intellectuelles, le capitaine Burton, Dick, est avant tout un beau gars bien bâti, regard pénétrant, port altier, bronzage agricole, moustache de conquérant et épaules quadrangulaires.
Un gars hyper-virile qui en impose tout de suite, et pas con avec ça .
Fawn McKay Brodie, magnétisée par son sujet, dresse un bilan passionnant de la vie de ce géographe et linguiste parlant une quarantaines d'idiomes, explorateur libertin, bretteur exceptionnel, pionnier de l'ethnographie, écrivain de talent et remarquable traducteur, un humaniste de cape et d'épée qui un jour tonna: "Mieux vaut l'or, que la géographie!".
Comme d'autres, ses vieux jours ne seront pourtant pas tout-à-fait épargnés par le racisme colonial de son époque puritaine, déjà penchée sur le XIXème siècle.
La vie de Burton se lit comme le roman que Kipling ou Conrad n'ont jamais osé écrire, mais s'achève dans la grisaille d'une relation contradictoire avec son épouse dévouée, Isabel Burton, bigote pudibonde sous l'influence de laquelle le fringuant explorateur s'enkystera dans une existence bourgeoise, et qui brûlera d'inestimables manuscrits pour laver la postérité de son défunt mari…
La vieillesse est un naufrage comme disait l'autre, et si on veut avoir la classe internationale jusqu'au bout, mieux vaut partir comme un prince - c'est-à-dire assez tôt, de préférence célibataire, et le sabre au clair.
"Prototype personnel de Dieu, mutant à l’énergie dense jamais conçu pour la production en série. Il était le dernier de son espèce: Trop bizarre pour vivre mais trop rare pour mourir…" (Raoul Duke).
Tel fut Richard Francis Burton.
p.s.: Seul film potable avec Dick au générique, "Aux sources du Nil", de Bob Rafelson.
Commenter  J’apprécie         40
La lecture du « Fleuve de l’éternité » de P.J.Farmer m’a donné l’envie de mieux connaître cet homme dont il avait fait un personnage important de son cycle romanesque . Et en lisant cette biographie très fouillée , je ne suis pas loin de penser que la réalité surpasse la fiction . Aventurier incroyable ( il visite la Mecque sous déguisement) explorateur (il découvre les sources du Nil) ,érudit (il parle un quarantaine de langues et idiomes , traduit les Mille et une nuits..) , esprit puissant et sans préjugés , briseur de tabous et de conventions dans la prude Angleterre victorienne…Quel Type !Quel diable d’homme…
Commenter  J’apprécie         10
Fascinant, incroyable, inimaginable… voici quelques adjectifs pouvant être utilisés après la lecture de ce livre. Ça pourrait être un roman si tout n’était réel, la vie de Richard Burton, ce grand aventurier avide de connaître la planète au delà des frontières connues, de découvrir de nouveaux peuples et d’apprendre constamment les langues des peuples rencontrés ont fait de sa vie celle que vous découvrirez dans ce livre.
Commenter  J’apprécie         00