Fernando Savater

A l'origine,l'interdiction de désirer la femme du prochain - ou de s'en emparer - était étroitement liée à la question de l'héritage et de la transmission de la propriété.

Le dieu gentil déclare : "aimez-vous les uns les autres ,vous n'aurez pas besoin de lois",et cela est vrai.
Malheureusement,nous ne nous aimons pas les uns les autres .
Nous devons donc nous rabattre sur un autre précepte plus brutal : "Craignez-vous les uns les autres et acceptez les lois."

Il nous incombe donc de réfléchir sur des situations qui,hier encore,étaient inconcevables.
Il ne s'agit pas là d'une nouvelle morale mais des nouveaux champs d'application de principes existant depuis des millénaires .

Les lois de Moïse représentent une réponse à une série de comportements que l'homme était susceptible d'adopter à son époque.
Dès lors ,la prise en compte des situations nouvelles auxquelles nous sommes confrontés peut parfaitement nous conduire à élaborer de nouvelles règles.

D'une part : où commence la mort ; qu'est-ce qui la provoque ; quand pouvons-nous considérer comme irrémédiable la disparition d'un individu ?
De l'autre : quand commence la vie ; quand y a -t-il naissance ; quand est-ce qu'un ensemble de cellules , un embryon,se transforme réellement en un être humain ?

Le cinquième commandement interdit-il l'élimination,à l'aube de son existence,d'un être qui deviendra un jour un individu à part entière ; autorise-t-il,d'une façon ou d'une autre ,la suppression d'un être en fin de vie ?

Le cinquième commandement interdit de tuer un être humain.
La question est de savoir si le foetus est un individu à part entière ou simplement un ensemble de cellules qui,au terme de leur développement,se transformeront en être humain.

Comment se fait-il que des pays signataires de conventions internationales qui excluent la peine de mort l'appliquent sur leur propre territoire pour des crimes moins graves que le génocide ?

L'une des plus grandes aberrations de notre époque est assurément que la peine de mort y demeure encore bien vivace,y compris dans certains illustres pays démocratiques.

Au cours de l'histoire,il y eut des périodes de patriarcat où l'on honorait le père par-dessus tout et où la mère occupait une position marginale,mais il y eut également des époques et des groupes humains qui privilégient le système matriarcal et confinèrent le père dans un rôle secondaire.

Tu honoreras ton père et ta mère,mais les honoreras-tu autant l'un que l'autre ?
La réponse varie suivant les époques.

Pour moi,les commandements révèlent des carences,ils nous parlent de ce qu'un grand nombre de gens se refusent à faire de leur propre chef.

Tu nous prescris d'honorer père et mère.
qu'une personne bien née tend presque spontanément à aimer ses parents,tout comme les parents aiment leurs enfants.

Force est de reconnaître que les commandements actuels n'ont rien à envier à ceux des Tables de la Loi : "Tu payeras tes impôts,même s'ils augmentent et si tu ignores où va l'argent " ; "Jamais tu ne te plaindras des services publics,car de toute manière rien ne changera " ; "Tu t'efforceras de trouver comment te distraire pendant tes moments de loisirs ".

Plus que la parole de Dieu lui-même,les pauvres mortels que nous sommes craignent aujourd'hui les contraintes découlant des multiples lois élaborées par les bureaucrates et les fonctionnaires de service,sans parler des prescriptions de modes passagères.

Mais à vrai dire,les obligations écrites et non écrites se sont tellement multipliées de nos jours que certains commandements ont perdu de leur poids.

Ces lois qui,il y a des milliers d'années,furent communiquées à Moïse au milieu du désert,et dont on retrouve l'équivalent sous des formes diverses dans toutes les cultures,énoncent un ensemble d'exigences que les hommes doivent respecter à la lettre s'ils ne veulent pas s'exposer aux terribles châtiments divins.

Si on les aborde généralement aujourd'hui de façon fort légère,les dix commandements n'en font pas moins,depuis de très nombreux siècles,partie intégrante du patrimoine de l'humanité,et les idées qu'on y trouve ont,d'une manière ou d'une autre,accompagné dans son développement une bonne moitié du monde civilisé.

S'interroger sur l'actualité des dix commandements en plein XXIè siècle peut apparaître comme une activité anachronique ou,à tout le moins,comme une perte de temps.

Faire de la philosophie, c'est réfléchir sur la vie. La vie, c'est le cinéma, la littérature, la politique, l'amour, les drogues... Réfléchir sur tout ça, c'est ce que doit faire le philosophe, et de la manière la plus claire possible. La philosophie doit pouvoir intéresser aussi les concierges, et n'importe qui. L'important, ce ne sont pas les instruments, c'est la musique !