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Comment un fou pourrait-il écrire les deux phrases ci-dessous ?
« Mon pinceau va entre mes doigts comme serait un archet sur le violon et absolument pour mon plaisir. »
« Hier j’étais au soleil couchant dans une bruyère pierreuse où croissent des chênes très petits et tordus, dans le fond une ruine sur la colline, et dans le vallon du blé. C’était romantique, on ne peut davantage, à la Monticelli, le soleil versait des rayons très jaunes sur les buissons et le terrain, absolument une pluie d’or.
Et toutes les lignes étaient belles, l’ensemble d’une noblesse charmante. On n’aurait pas du tout été surpris de voir surgir soudainement des cavaliers et des dames revenant d’une chasse au faucon, ou d’entendre la voix d’un vieux troubadour Provençal. Les terrains semblaient violets, les lointains bleus. J’en ai rapporté une étude d’ailleurs, mais qui reste bien en dessous de ce que j’avais voulu faire. »
Ni psychanalyste ni critique d’art, le professeur François-Bernard Michel dans son livre « La face humaine de Vincent Van Gogh » s’attaque à l’énigme Van Gogh. Pourquoi cet artiste universellement apprécié nous est le plus souvent présenté comme un être tourmenté, caractériel, malade, au bord de la folie. Pour cela le professeur va faire parler Vincent, utiliser sa correspondance pour réhabiliter l’image de l’artiste.
J’ai beaucoup écrit sur Vincent Van Gogh. Ma passion pour ce peintre m’avait incité il y a deux ans à écrire un roman « Que les blés sont beaux » sur l’artiste. J’ai donc retrouvé avec plaisir dans l’excellent livre du professeur de nombreux extraits des courriers du peintre à son frère Théo, sa sœur Willemien ou à son ami le peintre Emile Bernard, sur lesquels j’avais travaillé. Le soir après sa journée de travail, il racontait son mal-être, sa mélancolie, ses doutes sur cette peinture que peu de personnes comprenaient.
Personnellement, le livre ne m’a rien appris car la face humaine de Vincent je la connaissais si bien, depuis longtemps. Je savais qui était cet homme intelligent, sensible, cultivé, amoureux de la beauté.
Au début de l’année 1888, l’auteur nous emmène en Provence sur les pas de l’artiste. C’est un long cheminement. Un parcours qui se terminera dramatiquement en région parisienne à Auvers-sur-Oise le 29 juillet 1890. Tout au long du livre la pensée de Vincent est finement décortiquée, analysée. Quelles sont les raisons qui ont pu mener cet homme si doué à une fin aussi tragique ? Pourquoi parlait-on de folie ?
À Arles, Vincent est heureux de retrouver le soleil du Midi après les grisailles de Paris où il habitait depuis deux ans chez Théo. Sa vision picturale : réinventer l’art « Je veux créer un art qui sera celui de l’avenir » et fonder un atelier du Midi avec ses amis peintres.
La venue de Gauguin à la fin de l’année 1888, leur dispute, et c’est le drame. À partir de ce moment, Vincent sera durablement perturbé. Il se tranche le lobe d’une oreille et les crises commencent, douloureuses. Les médecins à Arles sont inquiet : on parle de schizophrénie, épilepsie. Les Arlésiens ont peur de cet étranger. Il est devenu fou dangereux, disent-ils. À la demande de l’artiste, il est interné dans un asile à Saint-Rémy-de-Provence où les crises vont continuer. Il peint des toiles exceptionnelles de beauté.
Cette période de souffrance met en lumière la pseudo-folie de l’artiste qui le poursuit depuis plusieurs années. Sur les conseils de son frère Théo qui l’a recommandé au docteur Gachet, Vincent part pour Auvers-sur-Oise. Dans cette charmante commune, durant tout le premier mois, il semble heureux. Gachet l’invite souvent chez lui et lui donne un remède d’une simplicité extrême : s’alimenter correctement, cesser de boire, beaucoup dormir, et, surtout, peindre, ce que Vincent s’empressera d’appliquer à la lettre. Il peint plus de 70 toiles en deux mois.
Le spleen va finir par le rattraper : son frère a des problèmes financiers dont Vincent se sent responsable. À nouveau, il ressent une grande solitude artistique, sentimentale, et morale « Mon travail à moi, j’y risque ma vie et ma raison y a sombré à moitié ». Sa peinture n’intéresse personne. Invendable. Désespéré, il met fin à ses jours devant un champ de blé.
Le professeur François-Bernard Michel tente d’expliquer les raisons de ce naufrage. Les médecins qui se sont occupés de lui depuis Arles étaient des médiocres. Le dernier, à Auvers, le docteur Gachet, passionné de peinture, s’intéressera davantage au peintre qu’au malade et ne saura pas lui tendre la main : « Un médecin aussi malade et ahuri que moi ».
Peintre de génie et écrivain de talent, Vincent était un hypersensible : « Les émotions qui me prennent devant la nature vont chez moi jusqu’à l’évanouissement ». Antonin Artaud considérait que Van Gogh était « Un homme que la société n’a pas voulu entendre. » Cet artiste qui fut souvent rejeté : Gauguin, les habitants d’Arles, Gachet, voulait tant être aimé « Nous avons besoin de gaîté et de bonheur, d’espérance et d’amour. Plus je me fais laid, vieux, méchant, malade, pauvre, plus je veux me venger en faisant de la couleur brillante, bien arrangée, resplendissante. »
La peinture de Vincent à Auvers exprime sa mélancolie profonde : « J’ai fait le portrait du docteur Gachet avec une expression de mélancolie ». « La mélancolie me prend fort souvent avec une grande force, (…) et faire de la peinture qui nous coûte tant et ne rapporte rien, même pas le prix de revient, me semble comme une folie, une chose tout à fait contre la raison. Alors je me sens tout triste. »
L’un de ses derniers paysages « Champ de blé aux corbeaux » a un aspect hallucinant.
Le professeur révèle la véritable image de Vincent, diagnostique sa maladie : la mélancolie. Vincent Van Gogh nous apparaît tel qu’il était : généreux, sensible, vivant pour son art.
« Je peux bien dans la vie et dans la peinture aussi me passer de bon Dieu, mais je ne puis pas, moi souffrant, me passer de quelque chose plus grand que moi, qui est ma vie, la puissance de créer. »
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