Citations de Françoise Viatte (36)
Il y a dans certains dessins de Leonard de Vinci un effet d'anticipation permanente qui révèlerait, si les interprétations formulées à leur propos pouvaient se vérifier, un dépassement du sujet traité au profit d'un autre, comme si le foisonnement de la pensée sollicitait d'autres projets, nés des notations du moment présent et tributaires d'une sorte d'approbation a posteriori pour être validées.
Magistrales et muettes comme tracées de toute éternité, elles contiennent déjà en puissance tout l'oeuvre à venir.
Exercice sur la vision, sur l'imitation, dessinées à partir de l'observation d'objets réels, ces études sont à la fois contours et ombres.
C'est par le dessin, mais sur toile fine, avec le seul recours du pinceau trempé dans le pigment brun, gris ou blanc, que s'accomplit l'art du peintre à ses débuts.
Marani a montré que texte et dessin se tissent étroitement dès le début de la redaction des notes et sont des moyens d'expression interchangeables, tout en ayant des rôles et des significations différents.
Ses formes apparaissent mais elles étaient déjà prêtes dans son esprit.
Le dessin de Léonard ne s'attache pas aux certitudes, c'est à dire qu'il se dégage de la notion habituelle de projet: il accompagne sa pensée, il la dépose, comme pour s'en défaire.
En quelque sorte il dépersonnalise le peintre, il brise avec l'identité de sa personne, de son projet en cours, en nous introduisant dans la forme la plus active de sa pensée avec force, avec mobilité, en nous plaçant à l'intérieur de son entreprise qui est elle même sans fin, ou plutôt qui n'a pas pour objet la finitude des représentations de la nature auxquelles elle s'adonne
Ainsi, l'oeuvre entier de Leonard de Vinci s'est il confondu peu à peu avec son objet.
C'est en effet par le dessin que Leonard nous conduit à nous interroger sur ce mythe du génie universel, mais en même temps, à nous en affranchir, car le dessin révèle non pas l'intervalle, le temps différé, mais l'origine, la clarté, la pertinence de sa recherche.
de façon paradoxal alors qu'aucun portrait, à l'exception de celui que peignit Titien, ne parvint à plaire à la marquise de Mantoue, une sorte d'iconographie de fantaisie se développa bientôt autour de ses prétendus portraits.
au delà de la commande reçue et qu'il ne parvient pas à satisfaire, Leonard de Vinci chercha moins, peut être, à répondre à l'attente de son modèle, qui se voulait très naturelle, qu'à poursuivre une idée de beauté intériorisée, parfaitement accomplie dans sa fonction de représentation.
le traitement des deux visages exprime non un sentiment d'absence mais une concentration dont le peintre aurait cherché à traduire la nature par la morphologie des traits.
si l'on accepte l'idée que le portrait d'Isabelle d'Este représente à la fois la somme des expériences engagées depuis une dizaine d'années par léonard lui même et par son entourage à Milan et d'autre part qu'il peut être compris comme une anticipation de ce qu'il développera magistralement dans la Joconde, il convient peut être d'étendre ce rapprochement à une autre observation.
selon David Alan Brown, le portrait de Monna Lisa se serait pas une réalisation que l'on peut considérer comme unique, mais appartiendrait à une suite de travaux à caractère expérimental engagé dans l'entourage de Léonard à Milan.
ainsi se trouve posée la question de l'identification du modèle avec l'image obtenue: quelle est la relation qui unit les deux et comment peut on penser, plutôt qu'à une idéalisation progressive, à une conception du portrait qui s'appuierait sur la ressemblance pour créer une image, idéale et individualisée à la fois?
les premières années du XVIème siècle verront se perpétuer ce type de portraits conçus comme des médaillons ou des tondi sculptés, dans lesquels la part accordée à l'ornement filet, perles, broderies - accuse le caractère impersonnel des visages. c'est ce que David Alan Brown a désigné sous le terme " portraits inertes".
dans le portrait d'Isabelle d'Este en 1500, le visage est vu de profil et le buste presque de face, alors que le parti retenu pour la Joconde donne, au premier regard, une impression de frontalité, contredite par l'oblique qui détermine tout le tableau et suggère un mouvement qui entraine le regard vers le paysage de l'arrière plan.
la madone Litta engagerait ainsi une conception spatiale du portrait dans lequel le corps est conçu comme un volume, une structure dans laquelle il se déplace.
e portrait d'Isabelle d'este apparaît il comme un compromis entre le profil qui vaut par son seul contour, tel qu'on le pratiquait à Florence dans la tradition de Domenico Veneziano et d'Antonio Pallaiuolo, et le portrait identifiable, non plus inerte mais reconnaissable par l'attitude et l'attribut du modèle.